Une action de sensibilisation contre le virus Ebola a tourné au drame mardi 16 septembre dans le petit village de Womé, en Guinée forestière. Médecins, politiques et journalistes ont été lynchés par des habitants qui refusaient d’admettre l’existence du virus. Une rescapée témoigne…
Mardi après-midi, une délégation d’une quinzaine de personnes s’est rendue à Womé, sous-préfecture de la région de N’zérékoré, dans le sud-ouest de la Guinée Conakry. Parmi eux, des représentants du personnel de santé de l’hôpital de N’zérékoré, un pasteur, des représentants de l’État guinéen et plusieurs journalistes venus couvrir l’opération. L’objectif de la délégation : informer sur les risques d’une propagation du virus Ebola dans une région qui connaît un regain d’épidémie ces deux dernières semaines.
C’était chacun pour soi : certains ont réussi à s’enfuir avec leur véhicule, ils ne se sont pas préoccupés de moi [des véhicules ont été caillassés avant de réussir à s’enfuir, notamment celui du gouverneur et du préfet, ndlr]. J’étais terrorisée, et j’ai couru aussi loin que j’ai pu pour me cacher dans un buisson. Ça a été de très longues heures d’angoisse à attendre, les yeux rivés sur mon téléphone portable, à la recherche de réseau pour prévenir mes proches. Au milieu de la nuit, j’ai réussi à envoyer un texto pour leur dire qu’il s’était passé quelque chose de grave à Womé, mais que j’étais vivante. Je leur ai indiqué que l’endroit où j’étais cachée. Ils ont réussi à venir me chercher et je suis rentrée saine et sauve mercredi à Nzérékoré.
Derrière moi, j’ai laissé des amis, sans pouvoir les aider. Ceux qui s’en sont pris à la délégation n’ont fait aucune distinction entre médecins, journalistes ou politiques : pour eux, nous étions tous venus pour les contaminer. «
Cynthia a effectivement échappé au pire : jeudi 18 septembre, les autorités guinéennes alertées sur la gravité de l’événement ont retrouvé sept corps sans vie dans une fosse commune, dont certains présentent des blessures à coups de machette. Parmi eux notamment, le sous-préfet de Womé, le chef de la santé régionale, et trois journalistes. 21 personnes ont été blessées et deux personnes sont toujours portées disparues.
« Des SMS disent qu’Ebola est une invention du gouvernement guinéen »
Plusieurs cas d’opposition virulente à des actions de sensibilisation ont eu lieu dans la région de Guinée forestière ces dernières semaines, mais c’est la première fois qu’une rébellion de la population fait des morts. Jeudi18 septembre, le Premier ministre guinéen a condamné avec « la plus grande fermeté [cet] acte de cruauté intolérable et injustifiable « et annoncé l’ouverture d’une enquête de police. Six personnes auraient déjà été interpellées.
Nixon (pseudonyme) connaissait bien un des journalistes stagiaires d’une radio locale qui a été tué lors de la couverture de l’événement.
Le problème, c’est que la désinformation bat son plein dans la région : depuis plusieurs semaines, des SMS circulent sur les téléphones portables pour dire qu’Ebola est une invention du gouvernement guinéen pour décimer la population de Guinée forestière. Les habitants de ces zones rurales n’ont pas du tout confiance dans les représentants politiques. »
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste aux Observateurs de FRANCE 24.