Dr N’diouria tire la sonnette d’alarme : « la tranche 15-24 ans est la plus touchée par l’hépatite B en Guinée »

L’humanité célèbre ce samedi 27 juin 2018 la journée mondiale de lutte contre les hépatites. Les hépatites virales B et C sont de graves problèmes de santé qui touchent 325 millions de personnes dans le monde, selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Elles comptent parmi les causes premières du cancer du foie qui entraîne 1,34 millions de décès chaque année, ajoute la même source. L’OMS  a choisi pour thème de la journée mondiale contre l’hépatite 2018 « Agir contre l’hépatite : dépister, traiter ».

En prélude à cette journée, un reporter de Guineematin.com a échangé avec le Dr Abdourahmane N’diouria Diallo.  Ce médecin de renom est maitre de conférences, hépato-gastro-entérologue, chargé des cours de gastro-entérologie à la Faculté de Médecine de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry depuis 1992. Dr N’diouria est également président de l’association SOS Hépatites Guinée.

Guineematin : qu’est-ce qu’une hépatite, comment se transmet-elle ?

Dr Abdourahmane N’diouria Diallo : l’hépatite est une inflammation aigue et chronique du foie. Toutes les hépatites sont des inflammations du foie. Pour ce qui est de l’hépatite A par exemple, la contamination se fait par voie alimentaire. On peut le contracter aussi à travers les eaux souillées, les matières fécales des personnes infectées. L’hépatite B aussi se transmet par voie sanguine et par voie sexuelle. Les personnes atteintes peuvent la transmettre à travers certains fluides. Les personnes qui sont dans les services hospitaliers peuvent aussi contracter la maladie à travers les infections nosocomiales. Les tatouages à travers les seringues, les objets souillés, les coiffeurs avec les mêmes lames de rasoir, l’excision, la circoncision… sont autant d’éléments qui favorisent la contamination.  Pour l’hépatite C, c’est aussi pareil par exposition du sang contaminé. Quand on prend l’hépatite Delta ou D, il ne se présente qu’en combinaison avec l’hépatite B. Il est toujours masqué par l’hépatite B, mais ils ont les mêmes modes de contamination. Il y a l’hépatite E aussi qui atteint les femmes enceintes. Il a le même mode de contamination que l’hépatite A.

Guineematin.com : comment se manifestent les hépatites virales ?

Dr Abdourahmane N’diouria Diallo : les hépatites sont des maladies graves qui évoluent le plus souvent de manière silencieuse. Dans 90% des cas, elles sont asymptomatiques, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de symptômes, le malade ne ressent rien.  C’est ce qui est plus grave puisque les malades viennent ici à un stade grave.  Concernant l’hépatite E, ça crée des problèmes chez les femmes enceintes, ça provoque des avortements à répétition parfois même des morts nés. Les plus graves et les plus sérieux concernent l’hépatite B et l’hépatite C. Avant que les yeux deviennent jaunes, le patient peut ressentir une fatigue  chronique, des grippes répétitives, des douleurs articulaires… C’est des maladies qui peuvent évoluer pendant 10, 20 voir 30 ans. Un stade peut arriver où les yeux deviennent jaunes. Les urines deviennent foncées et c’est ce qui pousse le plus souvent les malades à venir vers nous. On peut ressentir une douleur au niveau du côté droit du ventre, la partie devient plus dure, dure comme un caillou. C’est une modification qui commence à s’installer au niveau du foie, on parle de fibrose. Après la fibrose, il y a la cirrhose. Quand elle s’installe, on peut remarquer de l’eau qui commence à s’installer sur le ventre. On parle d’acide. On peut aussi avoir des œdèmes, les pieds qui peuvent s’enfler qui entraine même une encéphalopathie, autrement dit une dépression, une anxiété.

Guineematin.com : que peut-on retenir de la lutte contre les hépatites en Guinée ?

Dr Abdourahmane N’diouria Diallo : depuis 2012, l’ONG que je dirige, SOS Hépatites Guinée procède à de la sensibilisation, de la recherche sur les porteurs du virus de l’hépatite B et l’hépatite C, et maintenant sur l’hépatite E chez les femmes enceintes. Nous procédons également au traitement des cas d’hépatites confirmés, nous procédons à la vaccination de tous les nouveaux nés dont les mamans sont suivies dans les 24 heures. Nous procédons aussi à a vaccination de l’entourage des gens qui ont le virus de l’hépatite B, des malades qui ont la cirrhose, l’hépatite chronique, le cancer du foie et les groupes à risques. Ces groupes à risque sont les personnels de santé et autres. Ensuite, nous faisons le plaidoyer auprès des entreprises qui renvoient les cas  d’hépatite de leurs employés. Nous faisons le plaidoyer auprès de la hiérarchie militaire, ça marche très bien. Nous avons le haut commandement de la gendarmerie par exemple où des dispositions ont été prises dans ce sens pour la formation des agents.

Guinematin.com : pour ce qui est du traitement de la maladie en Guinée, que disent les statistiques ?

Dr Abdourahmane N’diouria Diallo : le bilan est très grave pour notre pays. Nous y sommes depuis 2012 avec SOS Hépatites Guinée. Du mois de mai 2012 au 26 juillet 2018, nous avons consulté et nous suivons 1303 malades porteurs de l’hépatite B et 66 malades porteurs de l’hépatite C. Soit un total de 1369 malades. Parmi ces cas, ce sont les hommes qui dominent. Nous avons 873 hommes pour 496 femmes. La prédominance chez les hommes s’explique comment ? Est-ce que c’est la polygamie ? Est-ce que les hommes ont plus de partenaires sexuels ? En tout cas, c’est un problème à rechercher. L’autre résultat très inquiétant, c’est que parmi les hommes, ce sont les jeunes qui sont le plus touchés. La tranche 15-24 ans est la plus touchée par l’hépatite B. Des jeunes qui sont en pleine activité sexuelle. En termes de métiers, on a fait un décompte. On a vu que les plus touchés sont les marchands alors que les moins touchés sont les hommes de médias : marchands (425), ménagère (292), étudiants (220), ouvriers (160), comptables (77), ingénieurs (70), gendarmes (34), enseignants (28), personnel médical (27), juristes (22), secrétaire s(9), journalistes (5). Donc, c’est un problème très sérieux surtout qu’il affecte la jeunesse, l’avenir de notre pays.

C’est pourquoi, il faut que les gens acceptent de faire le dépistage pour savoir leur statut, c’est très important. Les hépatites constituent un problème de santé publique majeur en Guinée.

Guineematin.com : est-ce que vous disposez de données sur la fréquence de cette maladie dans le monde ?

Dr Abdourahmane N’diouria Diallo : l’OMS nous apprend que depuis 2006, plus de deux milliards de personnes sont entrées en contact avec un virus de l’hépatite B ou C. Heureusement que toutes ces personnes ne font pas la maladie. C’est seulement 15 à 20% d’entre eux qui développent la maladie plus tard. L’OMS nous apprend également que 55 millions de personnes ne savent pas qu’elles souffrent de l’hépatite C. Pour ce qui est de l’hépatite B, l’OMS parle de 100 millions de femmes qui ignorent qu’elles la portent. Aujourd’hui, l’Etat commence à prendre en charge cette maladie à travers un organe qui le programme national de lutte contre le SIDA. Le ministère de la santé a confié la prise en charge des hépatites virales à cet organisme.

Guineematin.com : quel appel avez-vous à lancer ?

Dr Abdourahmane N’diouria Diallo : je lance un  appel à tous les guinéens. Chacun doit se faire dépister à l’hépatite B et l’hépatite C. A toutes les autorités, de s’occuper de l’assainissement de nos villes et villages, car il y a l’hépatite A, il y a l’hépatite E. Donc, l’assainissement à la maison, dans les rues, ça fait partie et ne doit pas être un vain mot ou une démagogie. Ça doit être une réalité pratique, concrète.

Propos recueillis par Alpha Mamadou Diallo pour Guineematin.com

Tel 628 17 99 17

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