Licenciement collectif à Forêt Forte : les explications de Jean-Marie Petit, DG de la société

Un licenciement de plus de 1 500 employés de la société Forêt Forte, basée à Nyampara, dans la sous-préfecture de Samoé, préfecture de N’zérékoré, est en cours. Après nos échanges avec le syndicat des travailleurs et les autorités locales, Guineematin.com a reçu monsieur Jean-Marie Petit, le Directeur Général de ladite société, dans l’après-midi d’hier, lundi 11 décembre 2017. Fondamentalement, trois raisons sont évoquées par le DG de Forêt Forte pour expliquer ce « licenciement collectif ». 

Guineematin.com : la société Forêt Forte connait aujourd’hui un licenciement de bon nombre de ses travailleurs. Expliquez-nous de quoi il s’agit.

Jean-Marie Petit : effectivement, depuis maintenant près de deux mois, une démarche pour l’entame d’une procédure de licenciement collectif pour raison économique, a été effectivement déposée ; et, aujourd’hui en cours.

Guineematin.com : quelles sont les raisons majeures de ce licenciement ?

Jean-Marie Petit : les raisons majeures qui ont poussé les propriétaires de la société Forêt Forte à déposer est que nous avons, la dernière année, nettement travaillé à perte. Nous n’avons pas pu vraiment faire de bénéfices ; et, aujourd’hui, la société n’a pas d’avenir. Depuis sa création, la société Forêt Forte est venue s’installer dans le cadre d’une convention qui a été établie entre la COUJY Corporation et l’Etat guinéen. Cette convention, depuis 15 ans maintenant, n’a pas pu être réalisée conformément à ce qui était prévu, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un plan d’exploitation industrielle de bois d’œuvre à l’intérieur des forêts de l’Etat de Ziama et de Diecké en vue d’approvisionner l’usine et d’assurer son fonctionnement durable pendant des dizaines et des dizaines d’années. Donc, cette condition qui avait été acceptée n’a toujours malheureusement pas pu être mise en œuvre. L’autre élément qui est plus récent est l’augmentation à la fois abusive et prohibitive des taxes et notamment de la taxe de coupe. Elle avait déjà été augmentée de 200% en 2005 et de 500% en 2010. Dernièrement encore, entre septembre et octobre, je crois, un nouvel arrêté conjoint a encore multiplié cette taxe de 300 à 400 %. C’est vous dire que les taxes déjà multipliées par 10 ont été décuplées dans l’ordre de 30 à 40 fois les taxes de départ. Là, c’est clair, c’est insupportable. On ne peut pas continuer à travailler avec des charges aussi lourdes. La troisième raison, qui est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le débrayage brutal de l’ensemble des travailleurs de la société qui est survenu en juin de cette année.

Guinematin.com : ce débrayage brutal était dû à quoi ?

Jean-Marie Petit : on n’a pas très bien compris. Bien sûr, par après on a fait une liste de revendications dont la principale était une augmentation des salaires de l’ordre de 200%.  Alors qu’en fait, nous n’avons commencé cette dernière campagne qu’entre décembre 2016 et janvier 2017 sur la base de promesses de revoir la taxation à la fois par les autorités de Conakry, qui avaient promis de se pencher sur ce problème, et parce que nous sentions une responsabilité morale vis-à-vis de nos travailleurs. Pas de travail, pas de salaire.  Sur la base d’une promesse, de la confiance que nous avions, que nous pensions avoir de nos travailleurs, avec l’espoir que tout cela allait se résoudre. Malheureusement, ça s’est très mal passé. Les débrayages ont évidemment créé d’autres pertes pour la société et donc, on s’est retrouvé à la fin de la campagne, pas de mise en œuvre de la convention, le problème de taxation, un débrayage des travailleurs avec une revendication qu’ils ont ramené à 100%. On ne pouvait pas continuer dans ces conditions et notre nouvelle campagne, qui démarrait au mois d’octobre, on a dit qu’on ne peut pas. C’est à ce moment qu’on a décidé  de mettre en place un processus de licenciement collectif pour motif économique.

Guineematin.com : parmi les raisons que vous avez évoquées précédemment il y a la non-exécution de la convention qui lie Forêt Forte et l’Etat guinée. Parlez nous de cette convention.

Jean-Marie Petit : cette société, il faut savoir qu’elle a été créée en 2002. Le propriétaire, monsieur Kim n’a pas créé cette société par hasard. C’est un projet d’exploitation industrielle qui était en élaboration, qui est déjà bien avancé au niveau du centre forestier et concernant deux massifs parmi ceux qui étaient confiés à sa gestion. Il y avait un projet de mise en œuvre d’une exploitation rationnelle, durable. Donc, avec des techniques d’exploitation et éventuellement la recherche d’une certification  de niveau international. Ce projet d’exploitation industrielle existait. C’est le centre forestier qui devait mettre en œuvre ce plan d’exploitation industrielle. Mais, il n’avait jamais eu l’ambition de réaliser lui-même l’exploitation industrielle et cherchait un partenaire pour réaliser cette exploitation. La convention a été signée, d’une part ont demandait à l’investisseur de créer une usine pour la production de contreplaqués et de créer un minimum de 400 emplois. En contrepartie, l’Etat s’engageait à lui fournir l’accès aux ressources objets de ce plan d’exploitation de manière à lui assurer durablement son approvisionnement en bois. Mais, jusqu’à aujourd’hui, la convention n’a pas été mise en œuvre comme elle est prévue dans les textes. Elle a été ratifiée par l’Assemblée nationale. Donc, elle a valeur de loi. Elle devrait être normalement appliquée. On n’en est pas là encore, malheureusement.

Guineematin.com : cela veut dire que la société n’a pas eu encore accès aux forêts de l’Etat qu’elle devait exploiter ?

Jean-Marie Petit : jusqu’à aujourd’hui, Forêt Forte n’a pas encore coupé un seul bois à l’intérieur des forêts de l’Etat. Par défaut, on nous a orientés dans les terroirs villageois. On nous a donnés un vaste espace ; mais, qui ne sont plus des forêts, ce sont des terroirs villageois où on  trouve des ressources éparses, des jachères.

Guineematin.com : quelles sont les conséquences de cette fermeture ?

Jean-Marie Petit : il y a déjà le licenciement de 1 500 personnes à terme. On ne devrait pas atteindre ce chiffre. Il pourrait rester  une équipe de maintenance, quelques dizaines de personnes. Les principaux fournisseurs d’emploi de la société, notamment la commune rurale de Samoe, dans la préfecture de N’zérékoré, c’est 1 500 personnes qui perdent une source de revenu mensuel. Ça ne manquera d’avoir des conséquences sociales non négligeables, malheureusement. En dehors de cela, on paye des taxes et cela va s’arrêter. On ne coupera plus de bois, on cessera de payer des taxes. Donc, ça ne rentrera plus dans les caisses du fonds forestier, dans les caisses de l’Etat. On peut parler des centaines de kilomètres de pistes, on a réalisé des ouvrages de franchissement, des ponts en bois dont certains de plusieurs dizaines de mètres. Aujourd’hui, les routes  de campagnes seront moins bien entretenues parce que la société Forêt Forte va  abandonner partout là où elle travaillait un minimum de réseau de pistes. Avec les taxes, nous avons construit des dizaines d’écoles, de centres de santé, des maisons de jeunes, selon les demandes des communautés. Cela va s’arrêter de la même façon. Le marché qui était alimenté par la production de l’usine, il y aura toujours besoin de contreplaqués. On va maintenant en importer. Ensuite, il n’y aura pas moins de fonctionner pour le centre forestier par manque de recettes. Il ne pourra pas accomplir sa mission et les forêts, c’est déjà le cas d’ailleurs aujourd’hui, sont de plus en plus agressées par les populations.

Guineematin.com : le processus de fermeture de Forêt Forte est déjà lancé, est-ce que des démarches sont en cours pour essayer d’empêcher cette fermeture ?

Jean-Marie Petit : avant de prendre notre décision, nous avons tiré la sonnette d’alarme où c’était possible, à N’zérékoré et même à Conakry. Maintenant, une fois que la procédure a été acceptée par l’Inspection Générale du travail, elle suit son cours conformément à ce qui est prévu dans le code du travail. Pour l’instant, je confirme qu’il y a eu une première liste de 123 personnes qui ont reçu leur notification de licenciement. Une seconde liste de 299 personnes, soit 422 personnes qui ont reçu leur notification de licenciement. Ça ne veut pas dire que le processus ne va pas se poursuivre. Pour l’instant, il est en route. De toute façon, le propriétaire n’a pas autre solution pour l’instant. Nous avons beaucoup alerté, mais voilà. On n’a pas ménagé nos efforts pour dire attention, attention… Il est vrai que des efforts sont en train d’être faits, il faut le reconnaître, même au niveau du département de l’Environnement, notamment par madame la ministre pour régler ces problèmes. Les choses ne sont pas finalisées. Même si non nous disait d’aller couper de bois là-bas, on ne peut pas. Parce qu’il y a des travaux préparatoires, il y a des documents qui n’ont pas été encore établis, une négociation tarifaire des bois, ça n’a pas été fait. Il faut savoir que nous sommes à la 5ème tentative de mise en œuvre de cette convention avec l’Etat. Il y en a eu quatre autres qui n’ont pas abouti.

Guineematin.com : vous avez un dernier mot ?

Jean-Marie Petit : c’est regrettable peut être, vraiment vous pouvez vous imaginez quand on investit des millions de dollars là-bas, au fin fond de la Guinée forestière et d’en arriver à n’avoir autre solution que de fermer son usine ; alors qu’il a construit son usine pour qu’elle fonctionne pendant des décennies et des décennies. Il n’y a pas une seule usine dans toute la sous-région et même beaucoup plus loin, qui arrive à la hauteur de celle qui était construite ici. Ça nous a été rapporté de vive voix par pas mal de clients qui achetaient tantôt en Côte d’Ivoire ou ailleurs et qui sont venus acheter chez nous. C’est vraiment un bijou mis en place, voilà qu’on le ferme. Voilà ! C’est regrettable.

La rédaction de Guineematin.com

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