Prise du pouvoir le 3 avril 1984 : Biro Kanté (PDG-RDA) dénonce un « coup d’Etat crapuleux »

Le 03 avril 1984, une semaine après la mort du président Sékou Touré, l’armée guinéenne prend la pouvoir après 26 ans de règne du PDG-RDA. Trente quatre ans après ce coup d’Etat, les anciens dignitaires du PDG-RDA continuent de parler de cette intrusion de l’armée sur la scène politique nationale. C’est le cas du doyen Elhadj Biro Kanté, ancien gouverneur de région et ancien ambassadeur en Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie et Hongrie.

Rencontré par un reporter de Guineematin.com, hier mardi 03 avril 2018, Elhadj Biro Kanté continue de dénoncer ce « coup d’Etat crapuleux », perpétré à l’époque par le CMRN (Comité Militaire de Redressement National).

Dans cet entretien, Elhadj Biro Kanté s’est aussi exprimé sur la gestion du pays au temps du premier régime dont il dit ne rien regretter.

Guineematin.com : cela fait jour pour jour 34 ans depuis le CMRN prenait le pouvoir en Guinée. Des militaires qui étaient dirigés à l’époque par le colonel Lansana Conté. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?

Elhadj Biro Kanté : je vous remercie très sincèrement. Bien que je sois un peu souffrant aujourd’hui, je me prête à vos questions car ; vous me rappelez une triste journée, un triste moment de notre histoire. Le coup d’Etat crapuleux du 03 avril 1984, était une véritable catastrophe pour la Guinée. A la mort du président Sékou Touré, un Etat, une Nation était née, elle existait déjà. Il y avait l’unité nationale, ce qu’on dit aujourd’hui réconciliation nationale n’existait pas, parce qu’il n’y avait pas de guerre entre Malinké, Soussou et Guerzé. Le coup d’Etat crapuleux du 03 avril a tout détruit. Même les acquis que le colonialisme a laissés en Guinée, et ce que la révolution que le président feu Ahmed Sékou Touré a pu mettre en place, tout a été détruit à partir du 03 avril. Vous me parlez du Colonel Lansana Conté à l’époque, puisqu’il est devenu Géneral après. Lansana Conté n’est rien dans cette histoire, je crois qu’il a été mis devant le fait accompli. C’est le fait d’un petit groupe, même d’un homme qui, par esprit de vengeance, de haine personnelle, a trahi l’armée elle-même et à trahi le peuple de Guinée. Ce frère, il est aujourd’hui Général, il était à l’époque capitaine, Facinet Touré. Le coup d’Etat a été préparé par esprit de vengeance, je ne vais pas rentrer dans ce détail parce que lui et moi avons conclu un accord. Je ne dois plus parler de son passé et lui, il ne doit plus attaquer le président feu Ahmed Sékou Touré et son régime.

Guineematin.com : la jeune génération a besoin de savoir ce qui s’est réellement passé. Pourriez-vous revenir sur ce pan de l’histoire de notre pays ?

Elhadj Biro Kanté : à la mort du président Sékou Touré, je disais tantôt, qu’une nation existait. Sur le plan social, organisationnel, économique et culturel, la Guinée était en avance sur tous Etats de l’Afrique de l’Ouest. Et, tous les Etats africains s’inspiraient de l’organisation de la Guinée. Et vous verrez que tout ce que le président Alpha Condé est en train d’ambitionner aujourd’hui, surtout sur le plan économique, social était déjà mis en œuvre par la première République. A la mort du président Sékou Touré, aucun enfant ne payait ses études, du primaire à l’université ; et, dès que vous sortez de l’école vous avez votre travail. En tous cas, le minimum vital était assuré. Donc, on ne parlait pas de chômeurs, et d’étudiants sans travail.

Guineematin.com : mais doyen, beaucoup de personnes pensent qu’à l’époque il n’y avait pas assez d’étudiants comme c’est le cas aujourd’hui ?

Elhadj Biro Kanté : mais non, écoutez la démographie est galopante. La Guinée ne comptait pas à l’époque six (6) millions d’habitants, aujourd’hui on est à presque 12 millions d’habitants. C’est que l’enseignement était tellement bien organisé que tout le monde allait à l’école, personne ne payait quoi que ce soit, ni fournitures, ni scolarité, tout était aux frais de l’Etat. Alors en conséquence, il n’y avait pas de chômage.

Guineematin.com : vous semblez imputer le coup d’Etat du 03 avril 1984 au Général Facinet Touré. Dites-nous réellement qu’est-ce qui s’est passé ?

Elhadj Biro Kanté : voici ce qui s’est passé. Depuis le 28 septembre 1958, la Guinée était en guerre avec la France. La France nous a livré une guerre. Il y a trois, cinq, six complots qui ont été déjoués. A la faveur de la mort du président Sékou Touré, monsieur Facinet Touré a dit que c’est lui, avec la logistique fournie par une ambassade et cette ambassade ne peut être autre que celle de la France, ont pris le pouvoir. Il avait sensibilisé tous les militaires. Mais, quand les militaires ont été éclairés sur la situation politique du pays, par le Général Lancinè Diané qui était à l’époque ministre de l’armée, tous les militaires ont dit qu’ils n’ont aucune raison de faire le coup d’Etat. C’est en ce moment que lui Général Facinet Touré s’est retrouvé avec quatre, cinq camarades pour perpétrer le coup d’Etat en arrêtant d’abord ses camarades généraux et les ministres. Et, le coup d’Etat a été consommé. Le Général Lansana Conté n’était pas dans ce complot, et difficilement il a accepté de prendre la tête. Donc, le coup d’Etat consommé, il fallait remettre en cause l’organisation du parti unique. D’abord, ils ont supprimé les sociétés, une centaine d’entreprises gérées par les guinéens. Le tissu social a été déchiré une fois que les militaires ont pris le pouvoir. Le CMRN qui n’avait jamais commandé, qui n’avait jamais fait la politique, c’était les experts français qui sont venus dans tous les ministères pour remettre en cause ce que nous avions mis en place depuis 26 ans, depuis l’indépendance.

Guineematin.com : 34 ans après la mort de Sékou Touré, l’homme fait toujours l’objet de polémique. Certains pensent que c’est un héros pour avoir aidé la Guinée à accéder à son indépendance, par contre d’autres pensent que c’est un sanguinaire, quel est votre réaction ?

Elhadj Biro Kanté : je suis choqué parce que vous ne trouverez pas un seul africain, d’abord ce n’est pas pour rien que le président Lansana Conté lui-même a donné le nom de Sékou Touré au palais présidentiel. Quand il a donné le nom du président Sékou Touré au palais il a dit « je lui donne le nom parce que c’est le plus méritant ». Et lorsque nous sommes allés lui dire merci, il a dit que nous n’avons pas à le remercier parce que c’est lui qui a libéré la Guinée et pourquoi pas l’Afrique. Vous ne trouverez pas un seul africain qui a travaillé pour l’Afrique jusqu’à l’heure où nous sommes plus que le président Ahmed Sékou Touré. Je dirai que le président Ahmed Sékou Touré a autant de mérite sinon plus dans la libération dans l’Afrique du Sud plus que Mandela car, Mandela je dirai a eu le privilège parce qu’il est resté 27 ans en prison, c’est tout. Mais, Sékou Touré a fait venir ici les militants de l’ANC à Kindia pour les former et quand Mandela est venu ici il avait son premier passeport diplomatique guinéen. Le président Ahmed Sékou Touré envoyait de l’argent tous les ans au compte de l’ANC à Genève pour l’aider dans sa lutte de libération. Il n y a pas un parti au Mozambique, en Angola, au Comores, où on n’a pas envoyé des hommes. Nous avons formé des jeunes comme vous, des médecins, des infirmiers, des sages-femmes qu’on a envoyés en Mauritanie et partout en Afrique encore. L’Algérie a été le premier pays africain à déclencher une guerre de libération, mais la Guinée a obtenu son indépendance avant l’Algérie et la Guinée a aidé l’Algérie à se libérer parce que toutes les armes fournies par les pays socialistes aux Algériens en lutte débarquaient par la Guinée et transitaient par le Mali de Modibo Keïta. Donc, le président Ahmed Sékou Touré a contribué à la libération de toute l’Afrique, c’était un héros africain. Sanguinaire quoi ? Tous ceux qui ont été arrêtés, envoyés au camp Boiro ou qui sont jugés. Moi, quand j’étais Gouverneur à Labé, c’était en 1971, à l’époque on a fait le jugement des personnes arrêtées. C’était des jugements populaires, ils ont existé partout en Guinée pendant la révolution. Et les coupables étaient exécutés. Franchement, on n’avait rien à se reprocher. Et si cela était à recommencer, nous vivons aujourd’hui, nous recommencerons.

A suivre !

Propos recueillis et décryptés par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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