Affaire d’évasion à Kindia : Moussa Moise sur l’émouvant récit d’un assassinat et la fuite du présumé auteur (interview)

moussa-moise-sylla-journaliste« Demba Camara devrait partir au Sénégal, avoir son visa et voyager pour les Etats Unis. Ils vont jusqu’au niveau de Kindia, ils prennent la route qui mène à Télimélé, ils dépassent le district de Bangouyah et vont vers Sankaréla. Mais, avant d’arriver là, il faisait déjà nuit. Karamako Sylla fera croire à Demba Camara qu’ils sont sur la route de Koundara et qu’ils sont même proches de Koundara… », a notamment expliqué notre confrère.

Comme on le sait, l’enquête de nos confrères et partenaires de la radio Espace Fm (Les Grandes Gueules) a poussé les autorités judiciaires du pays à sanctionner deux magistrats à Kindia. Le juge d’instruction, Oumar Diallo, et le procureur, Ansoumane Keita, qui étaient en charge du dossier d’un présumé assassin (Aboubacar Kémoko Sylla) qui s’est évadé de la prison civile de Kindia, le lundi 06 juin 2016, aux environs de 14 heures.

Pour vous aider à mieux comprendre ce qui s’est réellement passé, Guineematin.com est allé à la rencontre du journaliste des GG qui a mené l’enquête. Moussa Moise Sylla a reçu notre reporter dans les locaux de sa radio dans la soirée d’hier, mercredi 28 septembre 2016.

Décryptage !

Guineematin.com : Moussa Moïse Sylla bonsoir. Merci d’avoir accepté de nous recevoir. Pour commencer, vous avez soulevé un dossier concernant l’évasion d’un présumé assassin dans la prison de Kindia. Et, finalement, le gouvernement a décidé de suspendre les deux magistrats. Expliquez-nous ce qui s’est passé ?

Moussa Moïse Sylla : En fait, nous avons été approchés par un groupe de jeunes pendant nos vacances. On nous a informés d’un cas d’assassinat et d’une évasion. Lorsque j’ai été appelé par Lamine (PDG du groupe Hadafo médias, ndlr) qui a reçu ces gens, il les a conduits vers moi. Je les ai écoutés et j’ai compris d’abord qu’il s’agissait d’une famille pauvre : la famille Camara. J’ai compris que c’est une famille dont la voix ne portait pas parce que, vrai semblablement, elle ne bénéficiait pas de soutien assez solide. Elle n’a pas de bras long comme on le dit très souvent. J’ai compris également que tout avait été investi dans ce prétendu voyage que la victime, Demba Camara, voulait effectuer sur les Etats Unis. Je me suis dit que la moindre des choses à faire, c’est de creuser pour voir réellement ce qui s’est passé, d’aller  jusqu’à Kindia, rencontrer le juge d’instruction en charge du dossier, le procureur du TPI de Kindia, mais aussi les gendarmes qui ont procédé à l’arrestation du présumé assassin du nom de Karamoko Sylla.

Guineematin.com : Décrivez-nous un peu la scène ?

Moussa Moïse Sylla : En résumé, c’est une histoire, lorsque vous l’écouter, lorsqu’on vous la raconte, vous ne pouvez pas vous empêcher d’être touché dans votre chair, d’avoir des frissons et même de verser des larmes. Imaginez un peu : Demba Camara, déjà jeune (il n’avait que 30 ans),  était marié à deux femmes et avait cinq enfants. Il décide, au regard de toutes les charges de sa famille (puisque c’est sur celui-ci que comptait la famille), de vendre une parcelle de terrain qu’il avait, de mettre en gage la seconde partie du terrain, de prendre de l’argent de gauche à droite avec des amis pour effectuer un voyage sur les Etats Unis afin de travailler pour répondre aux besoins de sa famille. Ne comprenant pas le circuit d’obtention d’un visa, le soutien qu’il a est celui de Karamoko Sylla, qui est connu des membres de la famille parce qu’étant l’époux de la fille élevé par la grande sœur de Demba Camara. C’est la marâtre de Demba Camara qui a élevé la fille que Karamoko Sylla a épousé. Donc, il n’y avait pas de doutes possibles. Tout de suite, la famille de Demba Camara a accordé à Karamoko toute sa confiance. Un montant de 45 millions a été évoqué. Une avance a été versée. Le jour du départ, Karamoko Sylla a pris une voiture de couleur rouge. Il a dit qu’il a besoin d’un peu de montant pour le carburant et tout. Il aurait eu un million de francs guinéens pour le carburant. Et, la famille Camara a fait aussi une sorte de change en euros d’un montant de 16 millions de francs guinéens qui a été remis à Demba Camara  comme argent de poche. Le deal, c’était quoi ? Selon Karamoko Sylla, tous les documents avaient été déjà réglés du côté du Sénégal. Demba Camara devrait partir au Sénégal, rentrer à l’ambassade, avoir son visa et voyager pour les Etats Unis. Ils vont jusqu’au niveau de Kindia. Ils prennent la route qui mène à Télimélé. Ils dépassent le district de Bangouyah, ils vont vers Sankaréla. Mais, avant d’arriver là, il faisait déjà nuit. Karamako Sylla fera croire à Demba Camara- puisque ce dernier était appelé à chaque fois par son grand frère qui s’appelle Morlaye Camara pour savoir où est-ce qu’ils sont exactement- il fera donc croire à ce dernier qu’ils sont sur la route de Koundara et qu’ils sont même proches de Koundara. Pour des gens qui ont quitté Conakry à 13 heures, à 23 heures, il est quand même aberrant de croire que ces personnes sont du côté de Koundara puisqu’on sait comment est la route et la distance qui sépare Koundara de Conakry.  Demba, malheur pour lui, ne connaissait pas la Guinée. Il n’avait pas dépassé la région de la Basse Côte. Donc, il ne savait pas. Aux environs de zéro heure, 1  heure du matin, Karamoko Sylla fera embarquer dans la voiture un homme inconnu et il dira que c’est un ami. Il y a un marigot qui traverse la route quelque part, il va garer la voiture et aura un bref entretien dehors avec cet inconnu. Demba est resté dans la voiture. Et là, il va se passer des choses atroces. Demba sera projeté de la voiture près de ce marigot. Karamoko prendra la voiture et la direction de Sankaréla qui est son village d’origine. Il va descendre l’inconnu qui est son ami. Arrivée dans ce village le lendemain matin, malgré le fait d’avoir effectué quelques retouches sur le siège arrière de la voiture, le nettoyage de sang et autre, son oncle se rendra compte que quelque chose d’horrible s’est passé dans la voiture. Il avait dit à son oncle qu’ils avaient été attaqué par des coupeurs de route, que lui, il a pris la fuite et qu’il a laissé son compagnon de route. Son oncle ne va pas gober cette histoire. Il va lui dire d’aller faire une déclaration aux autorités compétentes.

Guineematin.com : Mais comment les gens ont –ils su  réellement ce qui s’est passé ?

Moussa Moïse Sylla : Voilà Demba, Dieu aussi a voulu qu’il garde un dernier souffle de vie pour échanger avec un motard qui a eu le courage de s’arrêter près de lui puisque le premier taxi qui est passé avec les phares n’a pas osé garer parce qu’il faisait nuit. Il pensait peut-être que c’était un guet-apens ; mais, il a signalé au village voisin qu’il a trouvé qu’il y avait quelqu’un qui est ensanglanté et qui était couché dans une sorte de marre de sang. Avant que les villageois n’arrivent, il y avait un motard qui avait pris son courage à deux mains et qui s’est arrêté auprès du blessé. Il va donc pencher son oreille auprès de la bouche de Demba qui a réussi à se présenter pour dire qu’il est Demba Camara, qu’il est soudeur de profession et que son grand frère s’appelle Morlaye Camara. Il a dicté au motard le numéro de son grand frère. Selon les témoignages de ce dernier, difficilement il a entendu le dernier chiffre dicté par la victime. Il dira en fin de compte que ‘’Si je meurs avant qu’il ne fasse jour, dites à mon frère que c’est ceux qui devraient m’accompagner au Sénégal qui m’ont assassiné. Informé, Morlaye va venir et il va se rendre compte que c’est vraiment que son frère. Le jeune sera enterré dans un village très proche de là où il a été tué.

Guineematin.com : Dites-nous comment le prévenu a été arrêté ?

Moussa Moïse Sylla : Karamoko Sylla, quittant son village, il ne savait pas qu’il y avait déjà la gendarmerie qui était à ses trousses parce qu’en passant le barrage à l’aller, il s’est présenté comme un inspecteur de police. Et, les gendarmes n’ont pas cherché à fouiller. Lorsqu’il revenait de son village, après avoir commis cet acte, il va faire la même présentation. Le gendarme va lui dire ‘’cette fois-ci, tu ne passeras pas. Quelque soit qui tu es puisque tu réponds à la description qu’on nous a faite du présumé assassin d’un jeune. Donc, tu reste là’’. Karamoko sera menotté et  Morlaye viendra pour montrer aux agents qu’il le reconnait. Il dira à Karamoko ‘’Mais, pourquoi tu nous a fais ça ? Qu’est-ce notre famille a fait pour mériter ce que tu as fais ? Karamoko sera emprisonné à la prison de Kindia. Mais, chose étonnante, c’est que le prisonnier, chaque soir, échangeait des coups de téléphone avec sa femme qui réside à Sonfonia Gare (à Conakry, la capitale guinéenne, Ndlr).

Guineematin.com : Comment vous avez a su tout cela ?

Moussa Moïse Sylla : C’est un monsieur qui a installé préalablement dans le téléphone de cette dernière un système d’enregistrement automatique des appels qu’elle reçoit. Peut-être pour des raisons de jalousie. C’est ce système qui va enregistrer toutes les conversations qu’elle aura avec son mari. Nous avons des audios dont nous avons passé quelques extraits à la radio. Ils parlent des démarches à mener pour sa libération, ils citent certains noms qui sont connus auprès des quels, sa femme et son oncle, Razak, devraient partir voir pour accélérer sa libération. En quelque sorte, ces coups de téléphone prouvent que le prévenu n’était pas réellement en prison. Il était dans une certaine liberté et qu’il pouvait se permettre de faire certaines choses qu’un prévenu ne pouvait pas se permettre.

Dans ces échanges, la famille, puisque la fille vivait encore sous le toit de sa marâtre, elle réussira à avoir les enregistrements qu’ils vont présenter au juge d’instruction, Oumar Diallo, à Kindia.  Le juge a écouté les enregistrements et il va sortir le prévenu de prison qui a reconnu sa voix après avoir écouté les enregistrements. Mais, après, rien ne sera fait pour redoubler de vigilance ou pour assurer une sécurité un peu plus grande, compte tenu que le prévenu s’adonnait à ces genres de choses. Voilà, un beau matin, la femme de Karamoko Sylla quitte Conakry et part à Kindia sous prétexte qu’elle a des informations à donner au juge d’instruction. Celui-ci, pour entendre le prévenu, demandera à ce qu’il soit conduit au TPI de Kindia. Ce qui sera fait, accompagné d’un garde pénitencier.

Guineematin.com : Dans votre enquête, quelles sont les personnes que vous avez pu rencontrer ?

Moussa Moïse Sylla : Quand nous nous sommes rendus là-bas, j’ai rencontré le procureur, l’imam qui a inhumé le jeune Demba Camara, les gendarmes qui ont procédé à l’arrestation de Karamoko Sylla. J’ai rencontré la gendarmerie de Kindia. Quand j’ai rencontré le juge d’instruction, j’avoue qu’il était surpris. Il était très mal à l’aise. Il a dit puisque nous nous sommes intéressés à ce dossier,  il sait que ça va faire mousse. Mais, il a quand même répondu à mes questions et expliqué que le prévenu, quand ils sont arrivés, il était l’heure de la prière. Il est très religieux, et, donc, il a demandé au garde pénitencier de garder le prévenu en attendant qu’il arrive. A son retour de la prière, il a trouvé le garde pénitencier endormi et le prévenu, Karamoko Sylla, n’était plus là. Il a demandé où est-il ? Le garde lui a répondu qu’il s’est un peu endormi et qu’il ne sait pas où l’autre est allé.

Après avoir recoupé certaines informations, ils se rendront compte que Karamoko Sylla n’a même pas fuit. Il a marché tranquillement pour sortir du tribunal de Kindia avant de se fondre dans la nature. C’est quand même bizarre, un prévenu, avant qu’il ne commence à être entendu dans un tribunal, il doit être menotté. Donc, les aveux du juge m’ont semblé un peu légers ; mais, puisque c’est sa version des faits, j’ai mis cela au compte des mes enquêtes que j’ai publiées à l’antenne.

Guineematin.com : Est-ce que vous êtes satisfait de la décision prise par le ministre de la justice qui a suspendu les deux magistrats, le juge d’instruction et le procureur ?

Moussa Moïse Sylla : Je suis à moitié satisfait parce que le ministre de la justice a entendu notre cri, le cri de cœur de la famille Demba Camara. Il a compris ce qui s’était passé et a diligenté une enquête et que cela permis tout de même de suspendre le procureur et le magistrat qui avaient en charge le dossier. Ce qui m’a étonné, quand je me suis rendu à Kindia, je me suis rendu compte que le garde pénitencier qui avait laissé le prévenu fuir était encore en fonction. Il travaillait comme si de rien n’était. Et, à la place du prévenu, Karamoko Sylla, sa femme était en prison. Celle qui est vrai semblablement nourrice a été mise en prison à la place de son mari qui a pris la fuite. Ce qui m’a étonné aussi, c’est que le juge d’instruction n’avait pas tout fait pour comprendre comment le prévenu, depuis la prison, a vendu son terrain du côté de Sonfonia ; et, également, sa maison construite pour une bagatelle de 57 millions de francs guinéens. On peut quand même chercher à comprendre qui a mené les démarches parce que lui il était en prison. Il passait des coups de fil ; mais, il y a quelqu’un qui menait les démarches. A qui il a remis les papiers du terrain ? Celui qui l’a acheté est encore là-bas. Pourquoi on n’irait pas lui demander qui lui a vendu le terrain afin de mener des démarches approfondies et retrouver tous les complices de cette histoire ?

Demba Camara n’a demandé qu’à aller aux Etats Unis. On aurait peut-être pu lui prendre son argent, 45 millions ; mais, lui arracher la vie ? C’était sans comprendre que la famille Camara allait, durant toutes les années à venir, vivre dans la misère, dans la pauvreté. Aujourd’hui, c’est Moralaye Camara, menuisier de son état, qui a la charge les deux femmes de son frère, des 5 enfants. Lui-même a deux femmes et 6 enfants. Tout ça, dans une maison de trois chambres du côté de Sonfonia. Je pense que c’est révoltant. La justice doit protéger les pauvres, les faibles. Elle ne doit pas véritablement engloutir des âmes qui se portent assez mal, des gens qui vivent dans des conditions difficiles. C’est bien cette suspension ; mais, il serait très bien que les enquêtes se poursuivent et que le prévenu soit arrêté, jugé et s’il est reconnu coupable, qu’il soit emprisonné, qu’il écope la sanction à la hauteur de sa forfaiture. Il faut cela pour que ces genres d’agissements cessent. C’est le cas de Demba Camara qui a été mis à la place public ; mais, je sais qu’il y a beaucoup d’autres cas. Je pense qu’il faut qu’un nettoyage soit fait dans les rangs de la justice afin que les citoyens soient rassurés.

Interview réalisée et décryptée par Mamadou Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

 

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