Faire un master 100% gratuit en Angleterre : Diouldé Camara parle des conditions à remplir

Depuis plusieurs années, le gouvernement britannique offre une bourse 100% gratuite aux ressortissants des pays en voie de développement. Chaque année, un grand nombre de personnes venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique bénéficient de 12 mois de formation dans de grandes Universités de l’Angleterre.

La bourse est entièrement gratuite et elle porte sur divers domaines. Mais, malgré son importance, ce programme reste encore très peu connu en Guinée. Et, c’est pourquoi, Guineematin.com a reçu Amadou Diouldé Camara, l’un des bénéficiaires de ce programme dénommé « Chevening » l’année dernière. Avec lui, nous parlons de cette bourse, les critères à remplir pour bénéficier de cette formation et bien d’autres questions.

Décryptage !

Guineematin.com : l’an dernier, vous avez bénéficié du programme « Chevening » qui est une bourse offerte par le gouvernement Britannique, vous êtes rentré récemment de l’Angleterre où vous avez suivi un Master d’un an. Parlez-nous de cette bourse, c’est quoi au juste le programme Chevening ?

Amadou Diouldé Camara : le programme Chevening, c’est un programme qui a été initié et qui mis en œuvre par le gouvernement britannique. Il a été initié je pense il y a une décennie, et depuis son initiation, je pense qu’il y a eu plus de 50 000 bénéficiaires à travers le monde. Il est initié en faveur des ressortissants des pays non britanniques, non européens, essentiellement les pays en voie de développement. Alors, j’ai bénéficié de cette bourse pour l’année 2017-2018 et malheureusement depuis que ce programme a été initié, pour la Guinée on est qu’à la troisième vague. Chaque année, il y a une vague qui participe et qui bénéficie de cette bourse qui est ouverte à tout le monde. Mais la Guinée, comme je l’ai dit, n’est qu’à sa troisième fois.

Pour ceux qui veulent postuler au compte de la Guinée, les critères sont : être de nationalité guinéenne, avoir un diplôme d’études universitaires, avoir un niveau décent en anglais, avoir au minimum un niveau professionnel de 2 ans. C’est ça de façon essentielle les critères pour participer à ce programme. Vous pouvez aller sur le site www.chevening.org pour avoir plus de détails. Sur ce site, vous trouverez tous les détails concernant la bourse, l’ensemble du processus du début jusqu’à la fin.

C’est un programme très convoité et extrêmement compétitif. En 2017, il y a eu plus de 64 000 postulants à travers le monde et 1700 environ ont été retenus. Parmi les retenus, il y avait 80 africains. Malheureusement j’ai été le seul Guinéen retenu, j’ai été touché donc de voir que parmi tout ce beau monde, il y a qu’un seul guinéen retenu, sachant que la Guinée a d’énormes potentialités surtout des ressources humaines très qualifiées. Je pense qu’il y a des milliers de guinéens qui sont qualifiés plus que moi. J’ai pris donc l’engagement personnel de faire en sorte que le programme soit davantage connu en Guinée notamment par les jeunes.

Guineematin.com : selon vous, c’est parce que le programme n’est pas bien connu dans notre pays que beaucoup de guinéens n’ont pas bénéficié de cette bourse ou alors c’est la barrière linguistique puisqu’ il faut bien parler anglais pour participer au programme ?

Amadou Diouldé Camara : je ne peux pas connaître tout. C’est que je sais, comme je vous l’ai dit, je m’engage à faire en sorte que les Guinéens connaissent l’existence du programme. Peut-être, comme vous l’avez si bien dit, si le maximum de jeunes guinéens savait l’existence de ce programme, beaucoup de gens auraient tenté. Je fais vraiment confiance et j’ai foi en la qualité et au potentiel des jeunes guinéens, je pense que s’ils tentent, ils vont réussir. L’année passée, des pays comme la Gambie avaient 5 représentants, le Sénégal en avait 8. Donc j’étais très jaloux et je leur disais souvent, sachez que dans les années à venir il y aura plus de guinéens.

D’ailleurs, j’ai été parmi des invités du Ministère en charge du développement international qui a invité l’ensemble des boursiers africains en Grande-Bretagne pour échanger sur le partenariat entre l’Afrique et la Grande-Bretagne. Donc, j’ai saisi l’opportunité pour plaider en faveur de l’augmentation du nombre de boursiers guinéens dans le cadre de ce programme Chevening et je l’ai fait partout où l’occasion s’est présentée. Ici à Conakry, j’ai demandé à l’ambassadrice de la Grande Bretagne qu’est-ce qu’il faut pour que la Guinée ait plus d’une seule personne, elle a dit qu’il faudrait d’abord que les Guinéens s’intéressent au programme, qu’ils se préparent pour postuler et compétir avec les autres.

Ella a dit si cela est fait, les candidats qui auront la nécessité d’être pris, qu’elle fera de son mieux pour que plus de Guinéens soient retenus. Je suis engagé pour que le maximum de jeunes ait connaissance de la présence de cette bourse pour qu’ils postulent et qu’ils réussissent. J’ai appris récemment que le gouvernement britannique a décidé d’augmenter le nombre de places pour les africains, on devrait passer de 80 à 100 ou plus. Je me suis dit donc que si on s’engage à participer, la Guinée pourra avoir beaucoup de places. Déjà, il y a 4 personnes je crois qui sont retenues cette année au compte de la Guinée. Je ne dis pas que c’est forcément à cause de ma campagne qu’on a eu ce nombre, je sais que l’Ambassade de la Grande Bretagne a fait énormément d’efforts dans ce sens aussi. Moi je me suis dit que c’est un engagement, c’est obligation citoyenne de ma part pour que les gens aient connaissance de ce programme de bourse.

Guineematin.com : si je comprends bien, c’est une bourse qui est à 100% gratuite ?

Amadou Diouldé Camara : la bourse, elle est gratuite à 100%. A commencer par le billet d’avion aller-retour en Angleterre, les frais d’études sont payés et aussi la prise en charge est payée, c’est-à-dire les besoins fondamentaux sont pris en charge du début à la fin de votre cycle. Même l’argent de poche, quand vous arrivez, on vous une allocation pour que vous puissiez vous préparer. Tout cela est pris en charge.

Guineematin.com : combien de temps dure cette formation ?

Amadou Diouldé Camara : je pense que c’est une question pertinente parce que traditionnellement, beaucoup d’Universités dans les pays avancés d’Europe, d’Asie et des Etats-Unis offrent un Master de 2 ans. Mais il y a des cas d’exceptions notamment en Grande-Bretagne où les Universités font un Master d’un an. Cette formation dure donc une année. Et il y a des avantages avec cela. Si vous avez par exemple des engagements avec un employeur, vous lui dites, je voudrais prendre une disponibilité d’un an pour aller suivre une formation, vous avez plus de chances d’obtenir sa permission que vous si vous partiez pour 2 ans. Donc, c’est un programme de formation orienté vers des théories et surtout la pratique. En 12 mois, vous pouvez réaliser le programme de formation.

Guineemation.com : est-ce qu’il y a des domaines spécifiques sur lesquels porte cette bourse ?

Amadou Diouldé Camara : c’est presque indéfini. Je recommande à ceux qui sont intéressés d’aller sur le site. Mais que ça soit en Economie en Comptabilité, en Droit, en Développement et Relations Internationales, en Communication, je pense qu’il y a la santé aussi, tous les domaines d’application sont intéressés. Sur le site, on demande le pays d’origine du postulant parce que le gouvernement britannique a des priorités selon les pays. Ça leur permet de définir le programme pour lequel vous voulez postulez.

Guineematin.com : ce Master, c’est une formation académique mais aussi c’est une expérience que les participants vont avoir, parlez-nous brièvement de votre expérience en Angleterre dans le cadre de ce programme !

Amadou Diouldé Camara : alors, il y a généralement trois grandes étapes : l’étape du processus de présentation de la candidature, celle des études et enfin l’étape d’après formation. Généralement les gens ont tendance à se concentrer sur la présentation de la candidature. Et une fois qu’on est sélectionné, les gens pensent que c’est fini. Alors que le véritable travail commence au moment où vous êtes sélectionnés parce que c’est un véritable défi. C’est un programme de 24 mois qui est réduit en 12 mois, c’est extrêmement intensif. Je ne le dis pas pour effrayer les uns et les autres.

Donc, la première des choses à laquelle il faut penser quand vous êtes retenu, c’est celle de l’hébergement, ce sont des petites choses que les gens peuvent sous-estimer mais c’est extrêmement important si quelqu’un est retenu qu’il se demande où est-ce qu’il va se loger. C’est important par exemple de prendre contact avec ceux qui sont partis et qui sont revenus, il y a un réseau qui est mis en place, nous avons individuellement des pages Facebook aussi qui permettent de nous contacter facilement. Et nous sommes prédisposés à donner des conseils au maximum pour ne pas que les gens soient confrontés à des difficultés en Angleterre.

Evidemment, cela mis de côté, il y a le fait que le programme veut que les bénéficiaires découvrent l’Angleterre dans toute sa diversité, sa culture, le domaine du business, tout ce qui est possible. Vous pouvez prendre contact avec des hommes d’affaires, avec des entreprises qui veulent venir investir en Guinée. Et au-delà, comme je vous le disais, l’année dernière il y avait 1700 bénéficiaires, et on se retrouve au minimum deux fois par an. Donc vous interagir avec eux, élaborer des projets que vous pouvez réaliser ensemble pour votre propre bénéfice mais aussi le bénéfice de vos pays d’origine.

Guineematin.com : dans le cadre de cette formation vous avez travaillé personnellement sur un projet d’étude que vous avez intitulé « Les effets de la diversité ethnique sur le développement économique : cas d’étude de la Guinée ». Pourquoi le choix de ce thème ?

Amadou Diouldé Camara : je précise que le contenu de ce programme a deux composantes essentielles : la première composante, c’est la gestion des projets, c’est-à-dire les capacités d’analyse et d’évaluation de la viabilité financière d’un projet. Que ce projet soit un projet d’investissement ou un projet de développement. Ça c’était un volet. Maintenant l’autre volet, c’est un volet du développement économique, c’est-à-dire quelles sont les conditions, les ingrédients économiques pour qu’il y ait un développement économique de façon générale. Mais en plus de ces deux composantes, il y a le mémoire. Mon thème de mémoire portait sur les effets de la diversité ethnique sur le processus de développement économique. J’ai pris la Guinée comme cas d’étude. Lorsque je suis arrivé là-bas, c’était quelque chose qui me tenait à cœur.

Comme vous le savez, la Guinée a 7 milliards de tonnes de bauxite. La Guinée a une potentialité minière infinie et riche, des terres cultivables. Moi en tant que citoyen, je me suis toujours posé la question de savoir qu’est-ce que peux faire pour la Guinée et pourquoi ça ne va pas ? J’ai été marqué par tant d’évènements sociopolitiques, historiques. Quand je suis venu à Conakry, j’ai trouvé que tout le monde parle français dans les lieux publics, cela m’a étonné. Partout où tu passes au Sénégal, c’est le Wolof que tu entends parler. C’est un évènement qui m’a choqué.

Lorsque le CNDD a pris le pouvoir, j’avais un ami qui est venu me voir, et tenez-vous bien lui c’est un imam, il m’a dit qu’il y a un Camara qui a pris le pouvoir. Mais il se demande c’est un Camara d’où, il voulait savoir en fait de quelle ethnie était issu Dadis Camara. J’ai trouvé cela aussi choquant surtout que lui il est imam. J’ai été marqué par plusieurs événements de ce genre et j’ai compris qu’en Guinée, les gens ne se regardent pas en tant que guinéens tout simplement, mais ils se regardent d’abord en tant que peul, soussou, malinké etc. Et c’est pourquoi j’ai décidé de m’intéresser à ce sujet.

Guineematin.com : ça veut dire donc que la diversité ethnique, au lieu qu’elle ne soit un avantage, est plutôt un frein au développement de la Guinée ?

Amadou Diouldé Camara : c’est une excellente question. Depuis 1960 jusqu’à la fin des années 90, tous les experts en matière de développement, ont ignoré les questions qui sont non économiques. En 1960, le chef des économistes de la Banque mondiale, avec des chercheurs, avait fait des prévisions par rapport à la croissance économique des pays africains qui venaient d’être indépendants. Ils ont dit que les pays africains à la fin du 20ème siècle, auraient au minimum une croissance de 7%. Mais en 1990 lorsqu’ils ont fait la réévaluation, il y a un grand nombre de pays qui n’avaient même pas une croissance de 2%, plusieurs pays dont la Guinée ont eu une croissance négative. Donc, ils étaient tous étonnés.

Après, ils se sont posé des questions, ils ont fait une étude comparative entre les pays de l’Asie du sud-est et ceux de l’Afrique sub-saharienne. Leurs recherches ont révélé 28% de différentiel en croissance économique entre les pays de l’Asie du sud-est et les pays de l’Afrique sub-saharienne pourraient être expliqués par les effets de la diversité ethnique sur les moteurs de croissance économique des pays africains. Et lorsque cette étude est sortie, ça a été comme une bombe parce que depuis longtemps, les acteurs majeurs notamment la Banque mondiale, le FMI disaient que pour avoir le développement économique il faut un certain niveau d’investissement, d’épargne, en tout cas des variables économiques. Mais, ces gens ont trouvé que la diversité ethnique était aussi un facteur important au regard des résultats de cette étude.

Guineematin.com : vous rentrez donc de l’Angleterre avec de nouvelles connaissances et de nouvelles expériences. Quels sont vos projets ?

Amadou Diouldé Camara : avant d’aller, j’avais déjà un projet à cœur, c’était l’un des objectifs de ma vie. L’objectif c’est quoi, c’est qu’un guinéen ne juge pas un autre sur la base de l’origine ethnique ou régionale, mais que tous les Guinéens se voient tout simplement comme des guinéens. Avec des amis guinéens et non guinéens j’avais lancé un projet qui consistait à promouvoir l’unité nationale à travers le sport. On a pris contact avec beaucoup d’acteurs locaux et internationaux. Je suis en train de travailler maintenant sur un projet dénommé « Engagé pour une Guinée meilleure ».

C’est une campagne de sensibilisation sur les effets de la diversité ethnique sur le processus de croissance économique en Guinée. Contrairement à ce que beaucoup disent aujourd’hui, la division ethnique n’est pas le fait des politiciens. A mon avis, elle est partie de deux facteurs majeurs. La première en 1885 à la conférence de Berlin, les grandes puissances se sont assises et ont tracé les limites entre les pays africains. Ces pays se sont partagé l’Afrique pour leurs propres intérêts sans tenir compte des ethnies, des religions… Ils n’ont pas tenu compte de ces aspects qui nous intéressent. Donc, il faut qu’on prenne conscience de l’existence de ce problème ethnique qui freine notre développement et qu’on essaye de le résoudre.

Guineematin.com : et vous, vous comptez passer par la sensibilisation pour tenter de résoudre ce problème ?

Amadou Diouldé Camara : oui, nous allons faire des campagnes de sensibilisation dans le cadre du projet « Engagé pour une Guinée meilleure ». Mais, les académiciens et experts estiment que pour s’attaquer à cette question, ce n’est pas une solution superficielle ou circonstancielle qu’il faut apporter. Il faut aller en profondeur, faire en sorte qu’il y ait une identité nationale. Il faut mettre un accent particulier sur l’éducation, apprendre et valoriser nos langues nationales. Donc, à côté de la sensibilisation, il y a aussi des réformes institutionnelles sérieuses qu’il faut aussi mettre en œuvre dans ce domaine.

Entretien réalisé par Alpha Assia Baldé et Alpha Fafaya Diallo pour Guineematin.com

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