Mémo sur Karamoko Alfa Mo Labé, fondateur du royaume de Labé

Au-delà des rois mandingues comme Sundiata Kéita et Soumangourou Kanté, l’histoire de la Guinée est surtout connue pour la bravoure de ses héros de la résistance à la pénétration coloniale : Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo Roi de Labé, l’Almamy Bocar Biro, Alo Tène, Dinah Salifou, Zébela Togba… Aux côtés de ceux-ci ou avant eux, d’augustes figures, du reste moins connus, mais non moins méritants, ont également marqué l’histoire de la Guinée durant la période précoloniale.

Les Almamys et les Princes du Fuuta dont le plus illustre est Alfa Mamadou Cellou dit Karamoko Alfa mo Labé, le Saint, le Guerrier et le Bâtisseur est de ceux-là. La particularité de ce personnage né vers 1690 à Dioba dans la sous-préfecture actuelle de Popodara, préfecture de Labé, réside dans l’exceptionnelle dimension de son œuvre, l’envergure des résultats obtenus dans un contexte historique et social difficile et complexe, où toute initiative de ce genre relève de l’opiniâtreté, de la témérité, et du sacrifice de soi.

Acquérir l’instruction, organiser la société, diffuser la culture et le savoir, diriger le djihad, instaurer et faire respecter les prescriptions de l’islam, telle est la ligne de conduite que s’est assigné dès son jeune âge, Alfa Mamadou Cellou. En tant que membre éminent parmi les fondateurs du Fuuta théocratique, il contribua largement à semer les futurs germes de la conscience collective fouta-dyalonkée. La culture de l’esprit participatif et d’ouverture, soutenue par l’implication de toutes les composantes sociales dans la mise en œuvre de ses projets, sa hauteur de vue et son niveau d’instruction lui vaudront la confiance, le respect et la gloire.

Toutefois, parler ou décrire les hauts faits de ce personnage, sans les restituer dans leur contexte pour une meilleure compréhension des réalités géographiques, économiques et socio-culturelles du terroir à l’époque, reviendrait à passer à côté de la trame historique authentique. Par ailleurs, il importe de souligner que l’histoire du Labé a été, d’une façon générale, peu étudiée jusqu’à présent.

Après une vingtaine d’années passées dans les contrées voisines comme le Bhoundou, le Fouta Toro, le Guidimaka et le Macina pour parfaire sa formation coranique, il retourna dans sa terre natale avec comme objectif premier, la soumission et la conversion de gré ou de force des populations allogènes. Après de rudes et âpres batailles, il parvint à créer le Diwal ou province de Labé. Ce Diwal de Labé s’étendra en direction de l’Est, du Nord et de l’Ouest. La pacification progressive de la contrée aboutit à la formation du plus grand Diwal du Fouta Djallon. Il s’étendait jusqu’à Gadha Woundou (frontière avec la République du Mali à l’Est ; à Koumbia (frontière avec la Guinée Bissau à l’Ouest), Niokolo Koba (frontière avec le Sénégal au Nord). Vers 1770, le Diwal comprenait en tout 12 provinces : Labé, Koubia, Sigon, Yembéring, Tamgué, Singuetti, Binâni, Kinsi, Bowè-Guèmè, N’Dama, Badiar et Koumbia. Aujourd’hui, ce Diwal recouvrirait les préfectures de Labé, Tougué, Koubia, Lélouma, Mali, Gaoual, Koundara l’ouest de la préfecture de Télémélé et la partie orientale de la préfecture de Boké.

Comment en homme d’Etat averti, l’Alfa Mo Labé, choisit un site approprié pour capitale, organisa l’administration du Diwal pour en faire un cadre de référence au plan politique, économique, juridique, spirituel et militaire ? Comment Labé devint, après Timbo, une des pièces maîtresses au Fouta ?

En fait, au cours de la fondation de la cité de Labé, de l’extension et de la gestion de son Diwal, Karamoko Alfa Mo Labé fit preuve de son génie créateur, de grand guide spirituel et d’homme d’Etat. Il réussit à mettre en place une organisation administrative structurée, solide, hiérarchisée et forte. Son originalité vient aussi de son sens du partage. Il initia et développa l’esprit participatif et inclusif au niveau de la phase opérationnelle des activités afin que le génie créateur de chacun soit à profit au bénéfice de la collectivité. Il aimait écouter les avis des et des autres avant toute prise de décisions engageant l’avenir de la société.

L’éducation et la formation étaient aussi au centre de ses préoccupations. La lecture du coran, le développement de la foi islamique, la compréhension et l’application à la lettre des lois et règles régissant la société et la multiplication des foyers islamiques étaient pour lui les bases de renforcement de l’édifice social. Cet esprit fédérateur s’est concrétisé au niveau de plusieurs actions et tâches réalisées.

Ainsi, vers 1118 de l’hégire (1740-1741), il procéda à la création de sous-provinces placées sous le commandement de ses fils, frères et talibés méritants. Constant dans ses positions d’homme de consensus et de partage, il impliqua les principales composantes de la communauté vivant à Labé dans l’administration du Diwal. A titre d’exemple, Labé fut commandé par les Kalidouyabhés, Diari par les N’Guériabhés, Lélouma par les Séléyabhés, Koubia par les Diembéléyabhés, Dalein par les Séléyabhés, Bouroudji par les Ousseinyabhés, Koundou Dhaggui par les Djimbalabhés, Tountouroun par les Séléyabhés.

Sur un autre plan, Karamoko Alfa eut d’illustres compagnons. A Deimbin, il offrit l’hospitalité à un grand marabout du nom de Thierno Malal du clan Douyébhé dont les ancêtres venus du Macina, s’étaient arrêtés à Diafouna pour enseigner le coran. Il fut désigné Imam par Alfa Mamadou Cellou. A sa mort, il fut remplacé par son fils Thierno Abdourahamane qui s’acquitta honorablement de sa tâche.

A la même époque, il reçu Modi Bakar Bolâro chef du clan des Walorbhés venant de Bakounou (Macina). Karamoko Alfa lui attribua l’espace se situant entre les rivières Donghora (Sud-Est) et Garambé (Sud-Ouest). Modi Bakar construisit une mosquée à Koulidara et fonda plusieurs villages dans cette contrée. En répartissant les tâches, il lui fut confié le rôle d’introduire et de guider les orateurs à l’occasion des assemblées locales. Cette fonction fut héréditaire chez les wolarbhés dans le Labé.

Arrivé après tous les autres, il installa un autre marabout Fodouyé Diallo, chef du clan des Djimbalabhés à Maléya côté Nord de Labé. Il eût pour rôle de conclure les séances des assemblées locales. Les Djimblalbhés continuent de jouer ce rôle dans les mosquées et les assemblées dans le Labé. Ces personnalités furent intégrées dans le Conseil des Sages du Diwal.

Karamoko Alfa n’a fait aucune discrimination entre musulmans du fait de leurs origines ou de leurs clans et il est resté fidèle à ses amitiés. C’est ainsi qu’il a entretenu d’excellentes relations avec les Jakankés, les Sarakolés, les Toucouleurs et les Malinkés reçus à bras ouverts dans le Diwal de Labé. C’est ainsi qu’un grand marabout Jakanké, Gassama, venant de Kankan, s’installa dans la région de Wôra (Mali) où il fonda le village de Touba-Bako. Karamoko Souman Fodé fut son grand ami qui l’assista dans la construction de la mosquée de Labé. Plus tard, les Jakankés fondèrent plusieurs villages à travers le Fouta, surtout dans le vaste Diwal de Labé, notamment à Touba, Bakôni, Fétoyambi, Soumma etc… Les Jakankés ne se cantonnèrent dans la sphère religieuse et le commerce, évitant de se mêler des affaires politiques.

Selon des informations orales, son ami Sarakolé, Silâ Makan qu’il avait connu au cours de son séjour d’étude dans le Bhoundou et avec lequel il se lia d’une grande amitié, vint le rejoindre définitivement à Labé après avoir séjourné dans plusieurs contrées du Fouta, notamment à Timbo et à Kolladhé où il fonda respectivement les villages de Sârè Bowal et Silaya.

Dans le Labé, il préféra s’installer à l’Ouest du Diwal, dans la vallée fertile de la Komba et créa le village de Manda. D’autres membres de son clan qui le rejoignirent s’installèrent dans le voisinage, notamment à Linsan et à Badougoula au bord des rives de Bantala. Les Sarakolés s’occupaient principalement du commerce.

Les griots (Farba –Awloubhés) venus en grande majorité de Bhoundou, fins orateurs et habiles négociateurs et les Djélis, grands chanteurs et chroniqueurs (venus du pays mandingue), gagnèrent en grand nombre le Diwal de Labé. La plupart d’entre eux accompagnaient les rois au cours de leurs sorties. Ils devinrent la mémoire vivante de l’histoire du Fouta et particulièrement du Labé. (1)

Les Malinkés, comprenant des artisans et des dioulas furent bien reçus dans le cadre de l’exercice de leurs métiers consistant notamment à la vente de fusils, de la poudre à canon, des colas et de la traite des esclaves.
Tout le long de son itinéraire Karamoko Alfa a multiplié les écoles coraniques et porté une attention toute particulière à son fonctionnement. Son exemple fut largement suivi dans le Diwal et ses environs. Les effets porteurs qui en résultèrent permirent d’asseoir les fondements de l’organisation et facilitèrent la communication, élément clé de la gouvernance.

Ainsi, des foyers islamiques de référence comme Labé, Koula, Madina Nyannou, Bassara, Yéléta, Diawoya, Sagalè, Dalein etc… connurent un grand rayonnement qui se maintient de nos jours. La complémentarité et le rapprochement entre le pouvoir temporel et spirituel permirent de hisser le Fouta au rang de pays ayant atteint un niveau culturel appréciable. Les autres Diwés suivirent tous la même voie, en restant très motivés pour soutenir et encourager l’enseignement coranique.

Ce qui fit dire à l’éminent marabout toucouleur Elhadj Oumar Saïd Tall en séjour au Fouta vers 1845 : « J’ai rencontré 313 marabouts dont 300 me sont inférieurs, dix sont mes égaux et trois me sont supérieurs ».(1) Qu’un marabout de cette envergure qui a séjouné et émerveillé des érudits jusqu’à la Mecque fasse une telle déclaration, laisse imaginer le niveau d’instruction atteint dans le Fouta à cette époque. Il était ainsi posé les premières esquisses d’une administration qui régulait, pour ce départ, le fonctionnement de la société dans son ensemble. La mise en place de toutes ces mesures dont l’énumération est loin d’être exhaustive, sous l’égide d’institutions appliquant une réglementation régie par des lois, des règles et des principes, a permis le fonctionnement d’un système original fondé sur une morale, une religion, une éthique et une économie.

Ceci revient à dire que le Diwal de Labé était parvenu à capitaliser les valeurs partagées au sein de l’Etat du Fouta Théocratique et à initier en plus, dans le cadre de l’autonomie des provinces, des mesures et des actions au niveau organisationnel, en vue de rendre le système encore plus opérationnel. Les capacités managériales de l’Alfa mo Labé ont permis de faire le reste ; Labé devenant une pièce maîtresse et incontournable au sein de l’Etat. Ses capacités économiques et en ressources humaines, son niveau d’organisation, le rayonnement culturel obtenu, avaient attiré l’attention de maints visiteurs et observateurs ayant séjourné dans la région.

Karamoko Alfa Mo Labé aura réussi, non sans peine, à semer une graine qui germa et se répandit dans la région, servant à la fois de repère, de base arrière et de source d’inspiration pour bâtir un système identitaire propre, organisé, devant traiter d’égal à égal avec les autres. C’est pourquoi, le système résista à toutes les tentatives internes et externes de déstabilisation. Ses continuateurs élargirent continuellement les limites du Diwal au risque d’en faire un Etat dans l’Etat.

Pour mieux apprécier cette œuvre, il est toujours important de se reporter dans le contexte d’alors avec le niveau technique et technologique encore rudimentaire. Karamoko Alfa a réussi à réunir et à mettre en synergie de villages jadis dispersés, des populations d’horizons divers autour d’une organisation administrative, politique et religieuse jouissant de droits similaires et astreints à des devoirs précis pour la préservation de la patrie et la perpétuation de la foi. Les futurs germes de la nation et de l’Etat de ce qui allait devenir plus tard la Guinée étaient semés.

Sa dynastie lui survivra un siècle et demi, et son arrière petit fils Alfa Yaya Diallo, Roi du Labé marquera de façon indélébile l’histoire de la Guinée. Il sera déposé en 1906 par les colons français et finira sa vie en 1912 au bagne de Port Etienne, aujourd’hui Nouadhibou en Mauritanie.

La famille

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