Discours de l’Ambassadeur Alexander Laskaris au Forum des Droits de l’Homme (communiqué)

Alexander Laskaris, ambassadeur des Etats Unis en Guinée,Deux ans après le début de mon aventure guinéenne, et avec votre permission, j’ai pensé que je devrais partager avec vous quelques-unes des raisons pour lesquelles j’aime et respecte la Guinée. Ces raisons sont, je crois, utiles à la discussion d’aujourd’hui.

Une des premières questions que je pose toujours à mes amis guinéens est, « d’où tenez-vous votre directive morale? »

La réponse varie … des imams, des sages, des chefs de famille, des prêtres et des chefs coutumiers … mais tout cela nous ramène à l’observation que les Guinéens reconnaissent la présence de l’autorité morale dans leurs affaires publiques et privées.

J’aime à dire que c’est l’Etat guinéen qui a échoué, pas la société. L’existence d’un leadership moral, même dans le contexte d’un Etat ​​ faible, me dit quelques choses intéressantes:

Premièrement: Malgré tout ce qu’ils ont vécu, les Guinéens n’ont jamais perdu de vue leur vision indigène de la façon dont une société doit être organisée et de ce qui est juste.

Deuxièmement: Le fait que la Guinée ait été mal gouvernée dans la plus grande partie de son histoire ne veut pas dire que la Guinée soit ingouvernable. L’Etat a échoué; pas le peuple ou pas la société.

Troisièmement: la Guinée à la fois dans son unité et dans sa diversité a une boussole morale. Comme tous les pays – y compris le mien – la Guinée peut s’égarer bien sûr, mais en tant que peuple vous n’avez jamais perdu la capacité de naviguer entre ce qui est juste et ce qui est injuste.

Je tire de ces trois observations, la conclusion fondamentale que la promotion des droits de l’homme en Guinée ne consiste pas à évangéliser une vision américaine; cela consiste à prendre le temps d’étudier votre histoire, votre culture et vos langues pour que je puisse comprendre votre débat interne. Il s’agit de me montrer comme un ami et admirateur de la Guinée afin que je puisse respectueusement me tenir, sous le manguier, avec vous, comme un frère.

Si vous le voulez, il s’agit plus de ma compréhension de Kurukan Fuga que de votre compréhension de Philadelphie.

La norme des droits de l’homme en Guinée ce n’est pas ce que je trouve acceptable ou offensif, au contraire, le plus important ce sont vos normes de décence. Je ne veux pas ou ne vous demande pas de répondre à mon indignation, je tiens à répondre à la vôtre, que ce soit à propos de Abu Ghraib ou des massacres du  Stade du 28 Septembre. Je ne prétends pas à la supériorité morale en tant qu’individu ou en tant que nation, et je ne parle pas du record des droits de l’homme d’autres pays sans une reconnaissance de préemption que si je représente un pays qui aspire à être une union plus parfaite, nous avons trop souvent été loin de cet objectif.

Cela me ramène à un autre de mes sujets préférées sur la Guinée, quelque chose pour laquelle vous avez peut-être besoin d’un étranger pour vous en parler. Vous êtes dans mon expérience, un peuple très raisonnable. Il y a eu des tentatives de radicalisation politique, religieuse ou ethnique dans le passé, mais je ne crois pas que vous avez l’ADN radical, que ce soit pour vos partis politiques, vos communautés religieuses, ou pour vos groupes linguistiques. Quand je regarde autour de votre sous-région et tous vos voisins qui ont connu la guerre civile, je tiens à spéculer sur les raisons pour lesquelles la Guinée est en paix malgré sa pauvreté et sa place dans une sous-région difficile:

– Tout d’abord, soyons honnêtes, la plupart d’entre vous sont trop occupés pour se radicaliser. Dans mon expérience de la conduite, la marche, le vélo et la pirogue dans 27 des 33 préfectures de la Guinée, j’ai vu que quelque 90 pour cent des Guinéens – et 98 pour cent de ses femmes – travaillent toute la journée juste pour nourrir, vêtir et éduquer leurs enfants.

– Deuxièmement, j’ai été invité à prier avec vous de Kamsar à Lola, mais on ne m’a jamais demandé ma propre religion. Vous êtes vraiment des gens qui acceptent toutes les personnes de foi en tant que frères et sœurs.

– Troisièmement, étant un peuple patriotique, je n’ai jamais rencontré un Guinéen de tout parti politique ou groupe linguistique qui est satisfait de l’état de son pays.

Une autre des questions que je pose à mes amis guinéens c’est, « où allez-vous pour la justice? »

Je dois dire que votre nouveau ministre de la Justice est l’un des dirigeants les plus dévoués et dynamiques de ce gouvernement, et il a probablement la tâche la plus difficile en Guinée. Donc j’espère qu’  il ne sera pas offensé quand je dis que la plupart des Guinéens cherche actuellement la justice en dehors du système judiciaire.

Je crois que le ministre de la Justice Cheick Sako fait des progrès en réinstaurant l’Etat de droit en Guinée, mais il part d’un niveau très basique. Jusqu’à ce que ses collègues et lui réussissent, la plupart des Guinéens vont obtenir leur justice sur une base volontaire de personnes dont ils respectent l’intégrité. Que les Guinéens se rendent aux systèmes gouvernementaux ou coutumiers, l’impératif reste le même tant pour les questions de justice que pour les questions de politique … rien de bon ne se passe quand la justice et la politique se déroulent dans la rue.

Une société qui a un leadership moral, et un peuple qui va volontairement à la justice administrée par les gens qu’il respecte, peut aborder les questions des droits de l’homme. Une telle société n’a pas besoin de mon indignation devant les massacres et les viols de masse du 28 septembre. On n’a pas besoin de moi ou de mon gouvernement, ou la CPI ou tout étranger pour exprimer la vérité… Ce fut une violation de toutes les valeurs civiques, coutumières et religieuses du peuple guinéen.

J’entends trop souvent que, aussi horrible qu’était le massacre, il était seulement un incident dans un pays avec une longue histoire de répression interne. J’entends les appels à considérer toutes les déprédations du passé de la Guinée, pour inclure l’exécution de masse des opposants politiques sur le pont non loin de cet hôtel ou l’incarcération des élèves d’une école juste à côté de ma résidence.

Je suis d’accord. Les crimes du passé demandent la responsabilité judicaire… et je pense que le massacre du stade est un bon endroit pour commencer.

Ce que je n’accepterai jamais- en tant qu’être humain, en tant qu’Américain et en tant que quelqu’un qui craint le jugement de Dieu – c’est le fait que des hommes pardonnent des hommes pour des crimes commis contre des femmes.

Pour moi, la façon d’aborder les droits de l’homme en Guinée c’est d’inverser le protocole rigide qui régit vos discours ici. En Guinée on respecte l’âge et la sagesse … En effet, en tant que représentant d’un pays où cet égard fait parfois défaut, je préfère votre approche que la nôtre.

Toutefois, cet égard, basé sur le respect, pour le plus ancien et le plus sage d’entre vous est devenu quelque chose de malheureux, un rappel constant de qui parmi vous est plus important que l’autre. Je dis cela en tant qu’ambassadeur américain, mais d’autant plus que le fils et petit-fils de réfugiés et de paysans.

Mon premier défi en Guinée est de me rappeler qui je suis et d’où je viens, pour compenser le fait que je représente le pouvoir, mais aussi que j’ai la mémoire de l’impuissance. Je n’ai pas besoin de rappels de mon pouvoir ou celui de mon gouvernement; J’ai besoin des rappels de l’humiliation quotidienne de ceux  qui subissent le poids de l’arbitraire.

L’obligation du pouvoir – guinéen ou américain – est de se rappeler ce que cela signifie d’être impuissant.

Dans le cas de mon père, cela signifie de regarder une armée conquérante marcher dans sa ville.

Dans le cas du peuple guinéen, cela signifie d’être à la merci du plus fort sans avoir recours à la justice.

Les droits de l’homme consistent à ​​l’élévation de la justice sur le pouvoir. C’est de soumettre le fort et le faible, le riche et le pauvre aux mêmes lois, qu’elles viennent de Dieu ou de l’homme.

En tant qu’Américain, je dois toujours me demander si dans mon pays, nous sommes tous égaux devant la loi.

Je crois fermement qu’aux Etats-Unis nous sommes à notre troisième siècle d’un voyage dans la bonne direction, mais j’ai juste besoin de prendre un journal – et à cause d’Ebola, j’ai arrêté de regarder le journal télévisé – pour me rappeler que nous n’y sommes pas encore arrivés.

Encore une fois, je vous remercie d’être venus, merci d’écouter, et merci de parler. Pendant que vous parlez l’un avec l’autre au cours des deux prochains jours, s’il vous plaît, essayer d’oublier qui surpasse qui … quand il s’agit des droits de l’homme, la voix des sans voix est la plus importante, et elle ne peut pas être entendue si le pouvoir ne cesse de parler. Avec ça, je vais arrêter de parler.

Communiqué de l’ambassade des Etats Unis en Guinée

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