Dr. Alpha Diallo appelle les Guinéens à se réveiller: « notre Etat est devenu clanique… » (interview)

Dr. Alpha Amadou Diallo, chirurgien-généraliste en service aux urgences à l’hôpital de Nanterre, en région parisienne a reçu deux reporters de Guineematin.com le weekend dernier, avant son départ pour la France. Fils du doyen Elhadj Boubacar Biro Diallo, ancien Président de l’Assemblée Nationale sous le régime du président Lanasana Conté, Dr. Alpha est aujourd’hui proche de l’UFDG, la formation politique dirigée par Elhadj Cellou Dalein Diallo.

Dans l’interview qui suit, notre compatriote s’est prononcé, sans langue de bois, sur plusieurs sujets de l’actualité.

Décryptage !

Guineematin.com : vous êtes médecin de votre état et résidez en France. Votre place n’est-elle en Guinée pour participer à l’amélioration du secteur de la santé ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : Après mes études à la faculté de médecine de Conakry, j’ai bien évolué en Guinée, dans les sous-préfectures dans le cadre des soins de santé primaire, ensuite à l’hôpital Ignace-Dean, où j’ai présenté ma thèse de Doctorat en médecine. À l’issue de ça, je suis allé en France pour faire l’internat de chirurgie. Au terme de cet internat, je suis rentré en Guinée. J’ai servi à Forécariah et à l’hôpital Ignace-Dean. Et pour des raisons familiales, je suis réparti en France et à l’issue de ça, j’ai cherché à revenir en Guinée. J’ai obtenu un financement pour mettre en place un centre de diagnostic. Ce centre de diagnostic n’a pas vu le jour, du fait de la corruption dans le pays et de l’ethno-stratégie. En plus de ça, les bailleurs de fonds se sont découragés et sont partis mettre le même centre de diagnostic à Dakar, en Côte d’Ivoire et au Gabon.

Guineematin.com : votre père est reconnu comme un courageux, qui a montré son sens des valeurs dans les fonctions qu’il a occupées. Comment se porte t-il ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : il va très bien, il a une excellente santé, un moral d’acier. Mon père, c’est quelqu’un qui a été toujours engagé, il a participé activement à la formation de cette élite guinéenne en milieu rural tout comme en milieu urbain. Il est sorti de l’école normale William Ponty à Dakar et depuis, il s’est engagé en politique, il a défendu les droits fondamentaux de ses concitoyens.

Guineematin.com : votre père semblait avoir des relations privilégiées avec le capitaine Moussa Dadis Camara. Sont-ils en contact ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : il n’a pas de relation privilégiée avec le capitaine Dadis, dès lors qu’il ne le connaissait pas. Mais, à son arrivée au pouvoir (le capitaine Dadis Ndlr), il n’oubliait pas qu’il avait un fils militaire de la même corporation avec Dadis, qui a eu à présenter Dadis à la famille, à mon père. Leurs relations ne tiennent qu’à ça. Si non, ils n’ont pas de relations particulières. Et depuis, il n’y a pas eu de contact, il n’y a pas eu de soutien particulier depuis le discours de rupture que Dadis avait prononcé et qui a eu l’adhésion de toute la population guinéenne. Et malheureusement, les évènements du 28 septembre ont mis fin à cet élan, à cette ambition de Dadis, un évènement qui l’a profondément affecté.

Guineematin.com : lors de la campagne présidentielle de 2015, votre père a publiquement apporté son soutien au candidat Alpha Condé, en lui remettant la clé de la ville de Mamou. Déjà, en 1998, le président de l’Assemblée nationale qu’il était avait soutenu le député Alpha Condé lors de son incarcération. Pouvez-vous nous dire la vraie nature de leurs relations ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : tout d’abord, pour la petite histoire, mon père Elhadj Boubacar Biro ne connaissait pas Alpha Condé. Leur première rencontre, c’était en 1994 par mon intermédiaire. C’est son jeune frère Malik Condé, j’ai connu Alpha Condé à Paris. En plus de ça, par le biais de Dr. Kandja Barry, qui est un ami de longue date de monsieur Alpha Condé, ils se sont rencontrés (Alpha Condé et Elhadj Boubacar Biro Diallo, Ndlr). Jusqu’à l’avènement du multipartisme et les premières élections législatives en 1995, Alpha Condé est élu député, mon père est élu président de l’Assemblée nationale multipartite. Maintenant, en collaborateurs, ils ont collaboré, jusqu’à ce qu’il y ait cette date de l’attestation d’Alpha Condé à Pinè, suivi de sa condamnation. Mon père a s’est opposé, parce qu’estimant que son immunité parlementaire n’avait pas été levée. C’est une question de principe, c’est une question de droit qu’il a défendu. Ce n’est pas une question de qualité personnelle d’Alpha Condé, ça pouvait être Moussa, Paul ou Pierre, il aurait défendu les mêmes principes. Si le régime de l’époque avait demandé la levée de l’immunité parlementaire de monsieur Alpha Condé, personne ne l’ignore, ça serait obtenue, parce qu’il avait la majorité à l’Assemblée. Mais, la procédure n’avait pas été respectée et c’est ce qui a amené mon père, fidèle à ses engagements, à défendre la légalité du parlement de l’époque. Et, dire qu’ils ont des relations privilégiées, non. La clé de Mamou, c’est pour l’inauguration des infrastructures de l’indépendance à Mamou que le conseil communal dirigé par le Maire et les autorités communales, sont venus trouver mon père. J »étais là, pour lui dire que vous êtes le doyen d’âge, vous êtes une personnalité publique, le Président va venir pour inaugurer, nous voudrions que vous nous faites l’honneur de lui remettre la clé et les noix de colas. C’est à ce titre, qu’il avait déclaré que si tous les régimes avaient fait ce qui a été fait là, la Guinée ne serait pas là. C’est ainsi qu’il avait eu l’amabilité de remettre cette clé à monsieur Alpha Condé, mais cela n’a rien à avoir avec son engagement personnel ou politique.

Guineematin.com : sa prise de position sur l’emprisonnement d’Alpha Condé avait irrité le Président Conté et affecté leurs relations. N’en a t-il pas voulu à Cellou Dalein Diallo, déjà membre influent du gouvernement de l’époque des faits, de ne l’avoir pas soutenu ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : vous savez, cette histoire a beaucoup réchauffé les esprits à l’époque. El hadj Boubacar Biro Diallo, Président de l’Assemblée nationale à l’époque, engagé pour le respect des Droits de l’homme, effectivement avait pris une position tranchée, comme je l’avais dit tantôt, pour condamner le mode d’arrestation de monsieur Alpha Condé, la violation de ses droits fondamentaux. Et, à l’époque, je peux l’affirmer et témoigner aussi, que monsieur Cellou Dalein Diallo, membre du gouvernement de Conté, et comme d’autres personnalités, pour faire comprendre à monsieur Lansana Conté, que  la prise de position du Président de l’Assemblée nationale, n’était pas une prise de position personnelle, mais pour des questions de principe et de droit. Le président de l’Assemblée nationale à l’époque, ne s’est pas érigé en justicier ou en juge, il a juste demandé qu’on respecte un principe. Et, Cellou Dalein à l’époque, était très porteur de ce message auprès du Général. Il a même plaidé auprès du Général Lansana Conté de ne pas faire un prisonnier politique, parce que l’arrestation du professeur Alpha Condé, c’était dans le cadre d’une activité politique, c’était l’ambiance de l’élection présidentielle. Donc, ce n’est pas une question de prise de position personnelle. Là, comme on le sait, les gens qui tournent au tour du pouvoir ont fait comprendre au Général Lansana Conté que monsieur Cellou Dalein Diallo et d’autres sont entrain de créer la zizanie au tour de El hadj Biro et Lansana Conté à l’époque, ce qui était fondamentalement faux. Dès lors que monsieur Cellou Dalein Diallo a reconnu qu’il ne peut pas faire grand-chose là dans, voilà, ce qui est arrivé arriva. On a condamné monsieur Alpha Condé à cinq ans de prison.

Guineematin.com : le Président de l’UFDG a été reçu récemment par votre père dans votre maison familiale à Mamou. L’atmosphère bien cordiale qui a entouré cette rencontre a fait dire aux observateurs qu’El hadj Biro a rejoint les déçus d’Alpha Condé. Votre père est comme un grand électeur de la région, serait-il devenu un soutien de l’UFDG ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : El hadj Biro d’abord, au delà de l’image qu’on veut créer, pour dire qu’il est militant ou n’est pas militant, c’est un militant de la Guinée, c’est militant pour la Guinée. Il ne fait plus de politique, ça il le dit à tout bout de champ. El hadj Cellou Dalein Diallo, c’est en quittant Labé, qu’il est venu à Mamou et justement, suite à ce que je viens de vous dire, moi et d’autres, nous sommes venues expliquer à mon père. Cellou Dalein veut bien venir vous rendre visite, comme d’autres leaders politiques de passage à Mamou, ville carrefour. Mais, il hésite puisqu’il pense qu’il y a un froid entre vous. Il a dit non, il n’y a pas un froid entre nous, il ne peut qu’être un fils, je ne peux pas lui dire de ne pas venir chez moi. Je n’ai jamais fermé ma porte. Ainsi, personnellement j’ai appelé Cellou Dalein Diallo, je dis écoute, je pense que tu va changer d’opinion, le vieux n’a pas une opinion négative en toi, on a discuté et effectivement il est passé. L’atmosphère était cordiale et conviviale. Et tout récemment encore, il est passé et là, devant les sages, il y a eu des prières, face à la situation du pays, face à toute cette gabegie, face à la male gouvernance, dénoncée par tout le monde. El hadj Biro Diallo a demandé une prière, pour l’avènement de monsieur El hadj Cellou Dalein Diallo au pouvoir en 2020, dans le cadre de la légalité.

Guineematin.com : Est-ce que cette position de votre père est partagée par toute votre famille, surtout quand on sait que l’un de vos frères, est taxé comme être proche du pouvoir ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : vous savez, dans une famille, même entre père et fils, les opinions en politique peuvent être différentes. En France, c’est souvent même entre les couples, souvent c’est pour des intérêts personnels. C’est normal, personne ne va le contredire. Mon opinion n’est pas partagée avec tout le monde, je ne peux pas parler à leur place. Mais ce qui est certain, mon engagement auprès de Cellou Dalein Diallo je voudrais dire est indéfectible, inviolable, insolvable et puisque je connais l’homme. Cellou Dalein Diallo est un homme d’Etat, un homme mesuré, figurez-vous, c’est lui qui avait remporté l’élection présidentielle de 2010, ça tout le monde le sait. Pour éviter des morts, des victimes, il a préféré s’incliner, il pouvait revendiquer la victoire, qu’est-ce que ça aurait pu donner, une victoire sur le cadavre des guinéens. En 2015, la mascarade électorale organisée par le pouvoir est connue de tous, personne ne dira demain que je ne suis pas au courant, tout le monde le sait. Donc, Cellou Dalein pourtant a eu le dos rond pour préserver la paix sociale en Guinée. Et mieux, tu verras les différentes fonctions ministérielles qu’il a occupées, il faut voir les infrastructures, routière, c’est le seul qui résiste aujourd’hui. Allez y voir à Coyah, il n’y a plus de route, tout est coupé. Voyez le nombre de voitures au bas-côté de la route, du fait du mauvais état de la route. Voyez le nombre de marchandises disloquées au bas-côté de la route, les fruits, tout est pourri. Donc  voyant tout ça, pour mon opinion personnelle, les guinéens doivent se réveiller. Ce qui s’est passé en 2010, a profité à un groupe. Ce qui s’est passé en 2015, a profité à un autre clan. Notre Etat est devenu un Etat clanique, il faut que les guinéens se réveillent, trop c’est trop.

Guineematin.com : quel est aujourd’hui votre sentiment sur l’ensemble du pays ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : j’ai été à Mamou, j’ai été à Labé, depuis mon séjour en Guinée, tous les guinéens partagent la même opinion. La dégradation du climat social, la balkanisation de l’Etat au niveau d’une seule ethnie, la détérioration du tissu économique. Actuellement, personne ne peut rentrer dans le climat des affaires vu le niveau de la corruption dans le pays. Donc à ce niveau, mon opinion est qu’il faut que la population, la classe politique se réveille pour oublier leur statut politique, partisan, qu’elle sache que la Guinée est là et qu’elle demeure. Que les leaders politiques vont passer, mais la Guinée demeure. Il faut se réveiller pour qu’ensemble on mette une Guinée propre et Cellou Dalein Diallo est indiqué dans ce cas de figure, puisqu’une mauvaise route n’a pas d’ethnie. Un mauvais système de santé n’a pas d’ethnie. On parlera des routes guinéennes, on parlera de l’hôpital guinéen, on parlera des écoles guinéennes. Il faut que les guinéennes sachent qu’il n’y a pas de Peul, Malinké, Soussou, c’est leur intérêt qui est menacée par la mauvaise gestion.

Guineematin.com : c’est la fin de cet entretien. Un dernier mot ?

Dr. Alpha Amadou Diallo : d’abord je vous remercie et vous invite à faire de la pédagogie, à faire de l’information. Je vous salue pour votre courage. Dans cette ambiance délétère, vous devez aller vers les gens, pour leurs expliquer ce qui se passe, les accords politiques, les ambitions forcenées de monsieur Alpha Condé pour un troisième mandat n’aboutira je pense parce que le peuple de Guinée se lèvera comme le 28 septembre 1958 et comme le 28 septembre 2009. Donc, il va falloir que les guinéens se réveillent, pour prendre leur destin en charge. Vous comprendrez avec moi que les sénégalais ne viendront pas se soigner en Guinée, pareil pour un malien ou un ivoirien. Vous voyez ce qui se passe en Gambie, le peuple a voté, le peuple a tranché et la communauté internationale a soutenu les gambiens. Donc en Guinée, dès que les guinéens diront non, trop c’est trop, le monde va soutenir les guinéens.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo et Mouctar Barry pour Guineematin.com

 

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