Libre opinion : Mandela se préoccupait de comment sauver la nation sud-africaine… Alpha est un adepte de Machiavel

Aborder la notion d’un bon gouvernement, intéressante qu’elle soit, est un exercice difficile. Difficile non pas peut-être au regard du travail de recherche et de réflexion qu’une telle analyse mobilise, mais plutôt au regard de la casquette de militant que je porte. L’exercice est moins aisé qu’il n’y paraît. Dans cette dernière dimension, j’ai peur que ma parole ne soit interprétée comme celle d’un militant au risque de moins donner une pleine mesure à mon analyse. C’est la raison pour laquelle, je préfère, pour reprendre la formule belle et heureuse d’un contemporain « garder ma liberté de parole sur mon tapis de prière ».

Aux fins de la démonstration, je tiens à apporter quelques précisions. Ce n’est pas un modèle de virulence contre une personne. En ce sens, celui qui se retrouve sur le banc de mes accusés, qu’il sache que ce n’est pas de mon propre chef. C’est son comportement de baveur qui lui propulse devant la scène du crime. C’est une arme littéraire et politique contre un système. C’est un réquisitoire contre tous les auteurs et les co-auteurs de ce monument destiné à perpétuer et à pérenniser la gloire d’une fille blonde pourtant inconfortable dans ses talons écorchés qui, goulue d’amour et de pouvoir sur son amant, n’en veut que pour soi.

Néanmoins, à l’instar de ce cheval qui hennit pour annoncer à son maître son arrivée imminente, le peuple de Guinée, répondra, le moment venu, par un violent coup d’éperon ; et à cause de la douleur, je suis sûr, le cheval partira à fond de train. C’est un monument qui relève d’une simple incantation, sa légitimité et son opportunité étant des plus discutables, il ne laissera point des étincelles dans l’esprit des Guinéens. C’est à la Guinée qu’il appartiendra de faire, en fonction des services rendus à la nation, la distinction entre ses valeureux fils et ses soldats moins. À bon entendeur salut !

Pour rappel, en situation de valeur, l’homme est très mal placé pour dire son apport substantiel, c’est aux autres qu’il sied de faire l’appréciation et la juste rétribution. Si votre politique a été d’une grande utilité pour la Guinée, les Guinéens, à tambour battant, reconnaîtront, sans aucun doute, les honneurs. Sinon, si c’est le contraire, « l’hyène restera toujours l’hyène », un point c’est tout. Ainsi, rien n’empêchera les Guinéens de rejeter de leur esprit ce monument et d’oublier l’image qu’il est indigne de porter. C’est dommage pour ces intellectuels qui au lieu, me disait Aminata Traoré, de réfléchir comment « dessiner le profil du leader souhaitable à la lumière des défis » de la Guinée, se font remarquer en donnant leurs blancs-seings à un homme qui n’a de vision que comment se maintenir au pouvoir.

Oui, c’est regrettable pour ces cadres, ces religieux et autres qui toussent au moindre éternuement ou au moindre geste du président Alpha Condé. Voyons le problème de ces soi-disant intellectuels à deux détails importants :

– Le premier, c’est que certains Guinéens maîtrisent mal le subtil rapport au pouvoir. Ils ignorent le fait d’être, pour reprendre l’idée de Michèle Alliot Marie, un président de la République ne fait pas de vous une personne différente. Mais juste, une personne « qui exerce une fonction différente ». Bien évidemment, la fonction présidentielle « modifie les attitudes ». Mais, ce n’est pas une raison valable pour vendre sa dignité. Un intellectuel doit faire la part des choses et comprendre que les gens sont plus importants pour les services qu’ils rendent que pour les postes qu’ils occupent.

– Le second élément s’adresse au titulaire de la fonction présidentielle. Lui aussi, assez souvent, il ignore que l’entourage présidentiel peut jouer un rôle négatif. L’entourage peut jouer un rôle pervers parce qu’il ne peut pas dire souvent au chef que son attitude n’est pas exemplaire. C’est la raison pour laquelle, un homme d’État doit savoir lire et interpréter les signes de ses proches collaborateurs. À ce propos, Issa Ben Yacine disait à Lansana Conté, lorsque celui-ci lui avait demandé des conseils relatifs au poste de Premier ministre : « en politique, on ne fait pas ce qu’on veut. On fait ce qu’on doit ».

J’avoue, c’est encore plus regrettable quand la comparaison s’adresse à Nelson Mandela. Je le dis avec tristesse parce que Mandela, n’en déplaise à personne, est un homme unique en son genre. Ainsi, j’estime, quant à moi, que la comparaison n’est que le comble de l’ironie car l’un et l’autre se situent à des niveaux très différents et que de ce fait, ni commerce ni amitié ne peuvent être établis entre ceux qui défendent la liberté et ceux qui la torpillent. Pourtant, Alpha Condé avait toutes les chances pour réussir s’il avait eu, comme pour reprendre Mitterrand, l’âge et la taille à assumer et à diriger l’Etat.

Malheureusement, je me rends compte que ma maman s’était trompée de choix. Je me rappelle l’avoir questionnée pour savoir le nom de la personne pour laquelle elle avait voté. C’était en 1998, je crois, je ne me souviens plus exactement, les années passent vite, en tout cas j’étais à l’école primaire. Je ne me rappelle pas exactement de la date, néanmoins, je garde dans mon esprit la réponse ambivalente de ma mère. Ne voulant pas me dire, devant mon père qui était l’un des premiers soutiens du doyen Bâ Mamadou dans le village, qu’elle avait voté pour Alpha, ma maman m’a dit, avec un regard assez sévère comme pour me dire d’arrêter maintenant mes questions, qu’elle avait voté pour le plus jeune. Pour ma mère, Alpha était le plus jeune et selon elle, seul Alpha avait le poids à assumer la lourde charge de diriger la Guinée. C’est maintenant que je réalise la pertinence de son choix. Même si ma mère ne savait pas lire ou écrire, elle voyait très bien les choses et elle voulait, à l’instar de toutes les autres belles mamans des quatre régions de notre pays, que la Guinée attrape son élan et son train de développement économique et social. Je profite de l’occasion pour souhaiter une longue vie à toutes les mamans de Guinée afin que leurs prières puissent faciliter à tourner cette page sombre et permettre à notre pays de prendre un nouvel envol.

Ainsi, je termine sur cette comparaison en disant que la différence entre Alpha et Mandela revêt un sens particulier. Mandela était un homme assez rare qui se préoccupait de comment sauver la nation sud-africaine. Mandela est un homme d’État qui a su saisir l’histoire et qui ne pensait point à son destin personnel. Alors qu’Alpha est un homme politique, un adepte de Machiavel qui a passé toute sa vie à réfléchir comment conquérir le pouvoir et qui risque de mourir dans les airs en train de chercher des solutions pour le conserver. C’est un homme qui se dit professeur de droit mais qui, malheureusement, n’a aucun étudiant dans le monde. C’est un homme qui ne pense qu’à sa carrière et qui met la Guinée devant juste pour servir ses intérêts. Pour vous convaincre de la différence qui existe entre les deux hommes, regardons ce que disait Nelson Mande en quittant le pouvoir après un seul mandat alors qu’il avait la notoriété et la stature nécessaires pour rester au-delà d’un, voire même plus : « Après avoir gravi une haute colline, tout ce qu’on découvre, ce qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. Je me suis arrêté un instant pour me reposer, pour contempler l’admirable paysage qui m’entoure, pour regarder derrière moi la longue route que j’ai parcourue. Mais je ne peux me reposer qu’un instant ; avec la liberté viennent les responsabilités, et je n’ose m’attarder car je ne suis pas arrivé au terme de mon long chemin ».

Dans un autre registre, je tiens à souligner que ma contribution ne prétend absolument pas à l’exhaustivité. C’est juste une analyse qui sert d’appoint pour éviter l’aporie du débat dans cette belle Guinée où tout semble perdu malgré l’immense courage des Guinéens qui vivent leur quotidien comme une interminable tragédie. C’est une analyse qui a particulièrement pour but de « déférer devant la barre de la raison et devant la barre de la conscience » les difficultés de la Guinée. L’expression est celle d’Aimé Césaire. Je dois dire, et cela avec beaucoup de gravité, que je ne suis pas fier de l’héritage que les dirigeants de la Guinée semblent laisser aux enfants de mon pays. Si je peux me permettre paraphraser général de Gaulle, je dirai simplement mais fermement que la Guinée, telle qu’elle est, parmi les autres nations telles qu’elles sont, sous peine de rester au rang des constats alarmants, doit se tenir debout. Oui, la Guinée doit se tenir debout parce qu’elle traverse une crise grave et profonde qui trouve son origine dans des problèmes structurels qui existent depuis l’indépendance. Oui je soutiens cette position parce que la faiblesse de nos institutions, l’inefficacité de la gouvernance ont incroyablement mordu l’âme du développement économique et social de notre pays. Pourtant, il existe un levier pour construire un vivre ensemble en Guinée. Il suffit de le chercher à travers les besoins qu’il exprime, nous renseigne Bertrand Badie.

Il suffit d’arrêter ces distributions programmées des voitures pour tenter de calmer le courroux de certains Guinéens. Je ne pense pas que distribuer ou donner des voitures de luxe soient des bonnes méthodes pour surmonter la crise actuelle. J’en doute très fort, parce que ce ne sont pas des enjeux d’intérêt général ni des enjeux de vivre-ensemble. Au contraire, il faut construire des routes, des hôpitaux, des écoles et développer des transports en commun, ce sont là des besoins de vivre ensemble. Sans doute est-ce pour toutes ces raisons que j’invite celles et ceux qui trouveront « une note succulente » dans cette démarche de s’engager. En disant cela, je ne fais que reprendre l’expression d’Aimé Césaire. S’engager pour garder le bon cap et l’esprit de conquête car, une jeunesse qui choisit le silence face aux problèmes majeurs de sa nation est une jeunesse atteinte. S’engager pour éviter d’être à la fois des victimes innocentes et des victimes muettes. S’engager en vue d’être habile à bien poser les problèmes pour mieux trouver les solutions. S’engager au service des idées et de la vision parce que, sans pour surprendre, on n’arrive pas au sommet au hasard. Même si le destin a sa part dans le partage, la chance de succès et la grandeur n’auront leurs mots à dire que si seulement on incarne l’espoir et si on suscite l’ambition.

Certes, c’est un combat difficile hérissé de périls, je le sais d’emblée. C’est pourquoi avec l’élan de Michel Alliot Marie lorsqu’elle relève que : « La vie politique ne suit jamais un une ligne totalement droite et plate. Mais il faut s’y préparer. Si on a peur des coups, on choisit un autre métier », je partage à juste raison la réflexion de William Shed : « Un bateau à quai est en sécurité mais ce n’est pas ce pourquoi les bateaux ont été construits ».

Alors oublions les critiques, les coups bas et les petites sucettes et gardons toujours à l’esprit que les grands hommes sont ceux qui se mesurent aux grands défis. Partant, mesurons-nous aux défis de notre nation, sinon arrêtons de nous plaindre. En tout cas, ce ne sont pas des anges qui descendront du ciel pour construire la Guinée. Le bon Dieu, en nous gratifiant d’une terre riche et fertile, a accompli sa part de mission. Personne ne va développer la Guinée que nous-mêmes. Les anges ont leur mission à eux assignée, les Japonais et les Chinois aussi. Il n’y a pas pire mensonge que de croire que c’est les autres qui viendront construire la Guinée à notre place. Je ne rejette pas du tout l’apport extérieur, je questionne juste ces dirigeants qui assomment mon peuple avec des discours qui ne nous montrent pas l’évolution depuis qu’ils sont aux affaires. Si la Guinée continue dans cette veine, rien n’est moins certain que la situation tourne mal. C’est pourquoi, pour mettre la justice sociale sur le pas des Guinéens, nous devons absolument nous remettre en cause. Sinon, changeons tous de nationalité.

Parce que c’est dommage avec toutes nos potentialités que la Guinée affiche le taux de croissance le plus faible de la sous-région. Oui, c’est dommage, il faut le redire, parce que cette régression n’est plus acceptable de la part des tenants du pouvoir. Quant à moi, j’estime qu’il est déjà trop tard pour changer la mienne, la grossesse a atteint sa phase de conception, je vais mourir Guinéen sans jamais cesser de l’être ni dans mes actes ni dans mes comportements. À mon avis, les Guinéens n’ont qu’un seul choix, celui de la prise en charge leur destin. Aucun doute, nous payerons peu de notre engagement et de notre détermination ou alors nous demeurerons toujours des débiteurs défaillants.

Je vous assure, si nous atermoyons dans un éther à caractère ethnique ou régionaliste, notre pays, de bonne logique, sera toujours « objet de pitié et sujet de mépris », nous enseigne Achille MBembé.

À la Guinée dont l’amour enfièvre mes nuits et m’empêche de dormir. À tous les Guinéens dont l’affection de l’âme et la flamme de l’envie illuminent mes jours, mon visage et mon esprit. Je suis désolé pour la longueur du texte, bon weekend à tous.

En avant la Guinée ! La lutte continue, la victoire est juste au bout du chemin.

Par Abdoulaye Sow

Doctorant en droit international, européen et comparé à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Facebook Comments Box