« L’INIDH est importante. Mais, il ne faut pas oublier le reste des Institutions prévues… », dixit Mohamed Camara

Mohamed Camara, consultant juridique, professeur d'Universités en Guinée, ConakryJuriste, universitaire, consultant de certaines institutions internationales, monsieur Mohamed Camara a bien accepté de répondre aux questions de Guineematin.com sur la création de l’institution nationale indépendante des droits humains dans notre pays. « … il vrai que si la création de l’INIDH est importante, il ne faut pour autant oublier le reste des Institutions prévues par la Constitution-programme de la Guinée », a notamment dit notre invité.

Guineematin.com : Bonjour Monsieur Camara. Quelle est votre appréciation de cette ordonnance sur l’institution nationale indépendante des droits humains en Guinée ?

Mohamed Camara : Il faut d’abord remercier les membres du CNT pour avoir fait preuve de vision en consacrant une telle institution. C’est une bonne chose que de s’acheminer vers la mise en place de cette Institution constitutionnelle.  Il est vrai qu’il y a eu du retard accusé depuis l’adoption de la Loi organique y afférente le jeudi 14 juillet 2011 par le CNT en application de l’article 148 de la Constitution du vendredi 7 mai 2010. C’est un bon départ, il faut attendre maintenant la prise d’un Décret et l’installation effective de cette institution. L’INIDH est tellement importante qu’au delà de ses attributions relatives à la promotion et à la protection des Droits de l’Homme, elle est constitutionnellement habilitée au même titre qu’un dixième des députés (11 sur 114) ou un Président de la République, de saisir la Cour Constitutionnelle pour faire constater le caractère inconstitutionnel d’une loi votée avant sa promulgation par le Président de la République.  Elle peut donc, en application de l’article 80 de la Constitution susmentionnée, exercer un recours a priori en inconstitutionnalité des lois et par voie d’action. Et mieux, « Aucun membre du Gouvernement ou de l’Assemblée Nationale, aucune autre personne physique ou morale, publique ou privée ne doit entraver l’exercice de ses activités. L’Etat doit lui accorder l’assistance dont elle a besoin pour son fonctionnement et pour préserver son indépendance et son efficacité », ce, sur le fondement de l’article 147 de la Constitution.

En attendant l’installation de la Cour Constitutionnelle, il serait utile que la Cour Suprême continue de mettre en application l’article 81 de la Constitution pour le cas des lois adoptées mais jusque là, non promulguées, non enregistrées encore moins publiées.  Autrement dit, « en cas de non promulgation d’une loi par le Président de la République dans les délais fixés, la loi entre en vigueur. La Cour constitutionnelle ordonne son enregistrement et sa publication au Journal Officiel » aux termes de la disposition ci-dessus.

Guineematin.com : Quel commentaire faites-vous de sa composition ? Les personnes désignées sont-elles à votre avis les mieux indiquées pour cet organe ?

Mohamed Camara : Les personnes choisies inspirent confiance en grande partie, en termes de niveau intellectuel et de crédibilité. Je suis confiant que provenant de secteurs d’activités différents, ils joueront pleinement leur rôle, affirmer leur indépendance pour mener à bien leur mission en disposant des éléments de comparaison. Il faut tout de même se garder de crier victoire de sitôt avant de voir son opérationnalisation. Le chemin étant long et parsemé d’embûches dressées à dessein par les violateurs de droits.  

Guineematin.com : En tant que juriste consultant, ne trouvez-vous pas un risque de dichotomie entre ces organes des droits de l’Homme déjà existants, le ministère des droits de l’Homme et cette institution ? 

Mohamed Camara : A priori non, cette institution ne devrait aucunement souffrir d’une dichotomie, peut-être, on peut redouter une querelle de leadership à ne pas souhaiter. Il y aura des rapports de coopération entre les structures étatiques, les ONG et les partenaires étrangers des droits de l’Homme. Il faut seulement éviter la tendance au foisonnement institutionnel dans notre pays pour ne pas émietter les efforts. On a bien vu la création de la Commission Nationale des Droits de l’Homme en mars 2011 qui a du mal à fonctionner.

Ceci n’était pas du tout étonnant vu que le Décret créant cette Commission avait fait un renvoi à la loi en indiquant en son article 3, qu’une « Loi organique fixera la composition, l’organisation et le fonctionnement de l’Institution ». Juridiquement, le Décret étant inférieur à la Loi, il ne peut faire un renvoi à celle-ci. C’est plutôt le contraire qui se devait.

Guineematin.com : Qu’est-ce que la création de cet organe pourrait-elle changer ? Qu’est-ce que les citoyens peuvent-ils en tirer ?

Mohamed Camara : Oui assez de choses, la veille et même la surveillance portées sur les droits de l’Homme. Leur promotion, leur protection et le droit de recours pour faire constater le caractère inconstitutionnel des lois votées qui peuvent agir négativement sur les droits constitutionnels des citoyens.

Guineematin.com : Est-ce que cet organe, au même titre que les institutions républicaines attendues comme la cour des comptes, la cour constitutionnelle, etc., pourrait impacter l’organisation des futures élections en Guinée ?

Mohamed Camara : Oui, il vrai que si la création de l’INIDH est importante, il ne faut pour autant oublier le reste des Institutions prévues par la Constitution-programme de la Guinée. Une Constitution-programme est une Constitution qui prévoit l’installation de certaines institutions à court, moyen et long termes.

L’INIDH peut impacter sur les futures élections, dès lors que des situations relatives aux droits de l’Homme, apparaissent. Cela est possible et même inhérent aux élections.

Guineematin.com : Nos lecteurs ne vous lisaient pas il y a quelques mois, parce que vous étiez loin du pays. Pouvez-vous revenir sur ce voyage ?

Mohamed Camara : Oui, c’était une formation des formateurs dans la perspective du démarrage de la future école nationale d’administration (ENA) au Canda. La formation s’est bien passée en ingénierie de la formation en administration publique. L’ENAP du Québec a accepté la demande du Ministre de la Fonction Publique, d’accompagner l’ENA de Guinée pendant les trois premières années.

Vous savez, un proverbe chinois dit qu’une « connaissance qui n’augmente pas chaque jour, diminue chaque jour ».

Pour la formation des formateurs, la mission est accomplie. Je souhaite le démarrage effectif de la formation des bénéficiaires en Guinée (les jeunes ayant la licence pour deux ans de formation, recrutés sur concours et les fonctionnaires en poste pour trois à six mois). Mais surtout, la promotion des sortants de cette future ENA de Guinée à la place qu’il faut, pour que je sois habité par le sentiment du devoir accompli.

Guineematin.com : Merci beaucoup Monsieur CAMARA

Mohamed Camara : Je vous en prie, c’est un devoir.

Propos recueillis par Nouhou Baldé pour Guineematin.com

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