100 jours de Kassory à la Primature : « on fait la cour à l’opposition, on réprime la société civile… »

100 jours de KassoryLe bilan des 100 jours de Kassory divise déjà certains acteurs de la vie nationale. Si d’aucuns peignent tout en noir, d’autres estiment par contre qu’il y a bien des actions positives réalisées par Ibrahima Kassory Fofana.

Tel est l’avis de Dr Dansa Kourouma, président du CNOSC (Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne). Il l’a dit à l’occasion d’une interview accordée à un reporter de Guineematin.com dans la journée de ce jeudi, 30 août 2018.

Guineematin.com : nous sommes au terme des 100 premiers jours de Kassory Fofana à la tête de la primature. Quelle lecture faites-vous de cette étape dans sa gestion de l’Etat ?

Dr Dansa Kourouma : je retiens que Kassory a pris fonction dans un contexte politique différent, très compliqué où il y avait beaucoup de crises latentes, des crises politiques, sociales et économiques. Il y a quand même des actions positives qui ont été accomplies. Il y a aussi des insuffisances. Pour ce qui est des actions positives, moins de quatre jours après sa nomination, il y a un gouvernement qui est sorti. On a compris que le Premier ministre a été consulté, associé à la constitution du gouvernement. La deuxième chose, le gouvernement, sous la conduite du Premier ministre, a déclaré ses biens à la Cour Constitutionnelle, bien que nous n’ayons pas un rapport final de cette déclaration de biens, mais au moment où nous suivions ce dossier, les 2/3 des membres du gouvernement avaient déclaré leurs biens. La troisième chose, c’est la déclaration de politique générale du PM dans un délai raisonnable devant les élus du peuple… La quatrième chose qui me semble être importante est la constitution du cabinet du premier ministre avec des innovations. La cinquième chose qui me semble essentielle, c’est la question de la gestion des crises politiques. Alors, comme c’est quelqu’un qui a une forte personnalité, j’avais dit que Kassory allait prendre de l’ascendant. Aucune manifestation politique n’a été enregistrée depuis qu’il est Premier ministre. Quand même, c’est un élément positif. Et la crise syndicale qui pointait à l’horizon avec le SLECG a été reporté jusqu’à l’ouverture. Ça, c’est des actions imputables à l’efficacité et à la diplomatie interne de Kassory. La crise politique qui était pendante a trouvé une solution, même si la solution est critiquée.

Guinematin.com : que dire de sa gestion de la crise sociale avec le carburant qui a connu une hausse de 25% ?

Dr Dansa Kourouma : la gestion de la crise sociale n’a pas été efficace comme nous le souhaitions. Tout compte fait, les rapports de force sont entrain de peser en faveur du gouvernement. Le prix u carburant s’est maintenu à 10 mille francs. Je ne suis pas entrain de faire un aveu d’impuissance, mais en tant qu’intellectuel, je dois avoir l’honnêteté de reconnaitre ce qui est positif. Les 10 mille francs sur la population, on ne peut pas se réjouir. Je pense que c’est le panier de la ménagère qui a souffert. Au lieu d’alléger les charges du panier de la ménagère, on les a augmentés.

Guineematin.com : il y en a qui parlent de la cohésion dans l’action gouvernementale. Qu’en dites-vous ?

Dr Dansa Kourouma : aujourd’hui, il y a une discipline et une cohésion dans l’action gouvernementale. C’est l’une des rares fois où on sait un ministre doit parler ou on sait que c’est le Premier ministre qui doit parler. Le président même s’est permis de prendre des vacances. C’est parce qu’il y a un premier ministre qui présente l’allure d’un homme d’Etat, qui est capable de gérer les affaires courantes, même à l’absence du président. C’est la première fois depuis que le président a pris le pouvoir, qu’une crise sociale et politique éclate sans qu’il ne prenne parole. Nous avons besoin d’un PM d’une telle envergure, d’un tel gabarit, qui est capable d’assumer certaines fonctions avec délégation du chef de l’Etat.

Guineematin.com : quelle lecture faites-vous de la lutte contre la corruption, dont Kassory dit être son cheval de bataille ?

100 jours de KassoryDr Dansa Kourouma : il y a des reformes qui sont en cours au niveau de la gestion des finances publiques, la lutte contre la corruption. Il faut reconnaitre que pour le moment, il y a de la volonté dans le cadre de la lutte contre la corruption. Il y a quelques actions qui ont été prises en sanctionnant et en poursuivant auprès des tribunaux des cades qui étaient soupçonnés de cas flagrant d’enrichissement illicite ou de détournements. A cela on peut ajouter le lancement de la campagne d’assainissement, Conakry ville-propre. Il y a aussi cette réaction rapide dans la gestion de certains projets d’infrastructures, notamment les ponts qui ont lâché comme Linsan et Kassonyah. La rapidité de réaction prouve à suffisance qu’il y a une certaine aisance. Je n’ai pas fini encore d’analyser Conakry ville-propre par rapport à son impact, mais je reconnais aujourd’hui que l’autorité de l’Etat est entrain de s’exprimer. Les derniers samedis du mois, aucun véhicule ne circule. Quelques citoyens commencent à s’habituer à ces actes citoyens d’assainissement de leur environnement pendant cette période de la saison pluvieuse. C’est une action positive.

Guineematin.com : est-ce que tout a été rose dans ce bilan ? N’y a-t-il pas aujourd’hui restriction des libertés avec les interdictions de manifester ?

Dr Dansa Kourouma : si j dis qu’il y a de l’autorité, elle est parfois excessive… L’équilibre entre l’autorité et la liberté, c’est la vocation de l’Etat. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les libertés sont étouffées…Ce qui n’a pas marché, c’est cette restriction des libertés, surtout les libertés de manifestation. Au moment on fait la cour à l’opposition, on réprime la société civile. Cette politique de deux poids, deux mesures constitue l’une des craintes de la société civile face au gouvernement Kassory. Par ailleurs, il n’y a pas assez d’efforts dans le cade de la lutte contre l’insécurité. Nous n’avons pas vu d’actions vigoureuses. Les viols et les agressions sexuelles font rage. Mais, il y a aussi la réaction du gouvernement par rapport aux catastrophes qui pose problème, notamment les inondations. Donc, il y a un problème structurel que Kassory doit régler, à savoir la réactivité du gouvernement par rapport à la gestion des catastrophes.

Guineematin.com : est-ce qu’il n’y pas à dire sur la gestion de la crise née de l’augmentation du prix du carburant ?

Dr Dansa Kourouma : c’est une autre faiblesse du gouvernement, à savoir la gestion de cette crise sociale. Le gouvernement n’est pas parvenu à signer un accord avec le mouvement syndical dans la gestion de cette crise, au moment où il y a d’autres crises en gestation avec la grève à la SAG ou au Port Autonome de Conakry. On n’a pas encore entendu le Premier ministre sur le dossier du Port. Je pense qu’en tant qu’homme qui se bat dans le cade de la lutte contre la corruption, Kassory a un travail important à faire. Il faut aussi reconnaitre qu’on n’a pas certaines informations sur la gestion de certains contrats miniers dont l’impact environnemental et social pose problèmes. Nous voulons entendre Kassory sur le cas de Boké, qu’il fasse une visite à Boké pour présenter à l’opinion les manquements qui sont enregistrés dans ces projets importants. Il y a un autre cas important, c’est le projet des 20 milliards de dollars US des Chinois. J’aimerais bien entendre le PM sur ces 20 milliards, sur l’évolution du dossier. Un autre dossier important, c’est les agendas électoraux. Je sais que l’audit du fichier électoral a été fait, mais nous avons besoin que le gouvernement présent un agenda. Il faut que la gestion des agendas électoraux, que nous ayons une visibilité.

Guineematin.com : revenons sur le cas des forces sociales, dont vous étiez un des animateurs. Est-ce que ce n’est pas une histoire enterrée ?

Dr Dansa Kourouma : en toute objectivité, au départ le mouvement était suivi par la population. Mais, les manifestations qui s’en sont suivis avec les mesures répressives mises en palace, on a remarqué que la population a préféré acheter le carburant à 10 mille FG et laisser les forces sociales s’enfoncer dans une sorte d’isolement. Je ne suis pas surpris, parce que j’ai proposé à mes confrères des Forces sociales de changer de politique. Il faut que toutes les grandes structures de la société civile se sentent concernées par la revendication et qu’on communique, unis par la population. Je n’ai pas senti l’unité d’actions. J’ai compris que cette démarche qui avait une velléité de faire d’autres luttes que celle relative au carburant. C’est pourquoi l’ampleur a baissé. Nous avons compris que dans les agendas qu’il y avait plus de férocité sur les questions liées aux mines, sur des questions d’accès à des postes et privilèges que de se focaliser sur 8 mille francs guinéens. Une fois encore, c’est un mouvement qui n’est pas encore mort, les forces sociales ne mourront jamais, puisque c’est un label qui peut être utilisé pour faire face à d’autres types de revendications. Mais, nous avons une obligation dans une unité d’actions, de bien analyser les enjeux avant d’engager les protestations sociales. La connexion avec la lutte syndicale pose problème, des problèmes d’égaux et de personnes. Mais, les forces sociales ont réussi quelque chose, à pourvoir mettre 300 à 400 mille personnes dans la rue sans incidents. Cela veut dire que les guinéens peuvent manifester pacifiquement… Nous ne sommes pas contre le pouvoir, nous sommes un mouvement social qui veut réveiller les citoyens sur leurs responsabilités, pour qu’ils exercent leurs libertés en toute efficience et en toute efficacité.

Propos recueillis Alpha Mamadou Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 628 17 99 17

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