« L’Ebolaphobie » provoque des émeutes dans le sud de la Guinée

Manifestants N'zérékoréUne simple odeur, jugée suspecte et assimilée à un désinfectant contre Ebola, a déclenché deux jours d’émeutes à N’Zérékoré, dans le sud-est de la Guinée (Les Observateurs de France 24)

« Les gens criaient ‘Ebola, c’est faux’ », Nixon (pseudonyme) habite à N’Zérékoré. Il a enregistré des images des incidents avec son téléphone portable.

Des marchandes, au petit matin, ont dit avoir senti une odeur suspecte sur leur marché. La rumeur a alors circulé que le lieu avait été désinfecté pendant la nuit. Très vite, plusieurs dizaines d’habitants sont sortis dans la rue pour se diriger vers les hôpitaux et les locaux de la Croix-Rouge, qui pratique généralement ces désinfections. Ils scandaient ‘À bas Ebola’, d’autres disaient même ‘Ebola, c’est faux !’.Manifestants de N'zérékoré

Les policiers n’ont pu éviter les dégâts : des habitants avec des bâtons et des pierres s’en sont pris à des véhicules de particuliers, du Haut commissariat aux réfugiés et du Programme alimentaire mondial, qu’ils ont caillassés. Des vitres de l’hôpital de Nzérékoré ont été brisées et des patients ont du s’enfuir. Des motos ont été volées [d’autres Observateurs affirment que des jeunes enfants faisaient même parti des manifestants, NDLR]. Les protestataires n’ont pas réussi à atteindre la base de la Croix-Rouge car des renforts militaires avaient été appelés. Les policiers et les gendarmes ont utilisé des gaz lacrymogènes, mais 27 d’entre eux ont été blessés.

Un couvre-feu a ensuite été décrété entre 21 heures et 7 heures. Mais toute la nuit, jusqu’à ce matin, des coups de feu ont été entendus, principalement à Dorota [un quartier du centre-ville de N’Zérékoré où des violences interethniques avaient eu lieu il y a un an] . La situation est rentrée dans l’ordre à la mi-journée, mais beaucoup de vendeurs refusaient aujourd’hui d’entrer dans le marché, comme si c’était devenu un lieu proscrit. Les habitants sont en colère et demandent des comptes aux autorités sur la simple base d’une odeur non identifiée.

« Nous n’avons pas désinfecté le marché de N’zérékoré » (responsable Croix-Rouge)

Ces émeutes sont parties d’une fausse information. Il n’y a en effet pas eu de désinfection sur le marché N’Zérékoré. Contacté par France 24, le responsable de la délégation du CICR en Guinée, Yann Bonzon, confirme « qu’aucune opération de désinfection n’a eu lieu mercredi ou jeudi à N’zérékoré ». Interrogé sur les raisons des manifestations, le préfet de N’zérékoré, Aboubacar M’bop Camara, fustige « l’attitude d’habitants malintentionnés qui agitent l’épouvantail Ebola pour créer des remous ».

« La Croix-Rouge est pour eux le symbole de l’Occident qui diffuse la maladie »

Croix Rouge de N'zérékoré (véhicules)Abdou (pseudonyme) est médecin-vétérinaire. Il participe régulièrement aux opérations de prévention sur le virus Ebola.

Malgré tous nos efforts, il y a encore trop de Guinéens qui pensent que c’est la Croix-Rouge qui apporte le virus avec ces désinfections. Les gens s’en prennent aux hôpitaux ou à l’organisation car pour eux, c’est le symbole de l’Occident qui diffuse la maladie.

Le virus Ebola reste mystérieux pour beaucoup. Les médecins se heurtent à des résistances culturelles et de croyances locales : la solidarité envers les membres de la famille fait qu’il est difficile d’imaginer un proche qui aurait attrapé le virus être mis en quarantaine, ou de ne pas enterrer le corps d’un défunt touché par Ebola.

Pour cette fois-ci, je pense surtout que ces émeutes sont créées de toute pièce : Ebola est utilisé comme une arme par des individus malintentionnés qui utilisent la crédulité des gens pour créer le désordre et en profiter pour piller [le préfet de Nzérékoré affirme qu’aucune boutique ou domicile n’a toutefois été vandalisé, grâce à l’intervention des forces de l’ordre jeudi NDLR].

Ce n’est pas la première fois, dans le sud de la Guinée, que le virus crée la panique et des réactions violentes : en avril, à Macenta, à 135 kilomètres au nord de N’Zérékoré, un centre de Médecins sans frontières à avait dû fermer ses portes après avoir été attaqué par une foule en colère.

Selon Yann Bonzon du CICR, plusieurs cas d’Ebola ont été recensés ces dernières semaines dans la région de Guinée forestière, notamment dans des villages près de Yomou et N’Zérékoré. Sur les 3069 cas de personnes infectées par le virus Ebola recensés par l’OMS, 648 sont guinéens et 430 ont perdu la vie.

N’zérékoré est dans la même province que Guéckédou, épicentre de départ du virus Ebola en mars. Cependant, la ville a été plutôt épargnée de la propagation du virus : sur cinq malades d’Ebola, deux sont décédés. Selon les autorités médicales, 50 personnes seraient actuellement en observation car présentant des symptômes proches d’Ebola.

Si le calme est revenu, vendredi après-midi, des militaires patrouillaient toujours dans la ville. photo
Photo publiée sur Guinée matin et transmise par Nouhou Baldé.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste aux Observateurs de FRANCE 24.

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