KÖRÖ : Du mépris à la méprise !

Souley Thiâ'nguelLibre opinion : Tranchantes de Thiâ’nguel. Quatre années se sont écoulées. Quatre longues années passées. Quatre longues et désastreuses années pendant lesquelles nous avons été stigmatisés. Quatre lancinantes et ténébreuses années au cours desquelles nous avons été piétinés. Quatre années pendant lesquelles nous avons été brimés. Nous avons été méprisés. Nous avons été ignorés. Nos enfants ont été assassinés. Nos femmes, nos mères et nos sœurs violentées. Nos pères et nos frères maltraités, séquestrés, embastillés. Nos domiciles ont été violés. Tous les matins de chaque mois, les matraques on nous a fait téter. L’odeur pimentée du gaz lacrymogène a souvent été notre déjeuner. Nos fesses ont régulièrement été caressées par l’amour zélé des godasses de nos bidasses écervelés. Face aux crimes et à la désolation de la cité, il nous a répondu de son mépris patenté. Face au deuil qu’on nous a souvent infligé, il a opposé un silence de culpabilité. Face à nos torrents de larmes versées, il nous a chanté le refrain de l’impunité. Pendant quatre années, oui quatre lentes et fiévreuses années on nous a massacré, spolié, insulté, exilé, chassé, blessé, mille et une fois ensanglanté. La terre chez lui ne s’est pour autant pas arrêté de tourner. A chaque fois que nous avons manifesté notre envie d’être écouté, notre volonté de voir tout ceci changer, c’est une horde de violence qui a déferlé dans nos quartiers. Alors qu’ailleurs les mêmes revendications font l’objet de négociations usitées. Quatre poussiéreuses et endeuilleuses années au cours desquelles on nous a botté, bien botté, comme de piètres petits bilokoros ratés. Sans qu’il ne se sente concerné, interpellé, touché, attristé pour exiger qu’un minimum de justice soit appliqué.

Et voilà que 2015 s’est pointée. Et voici qu’il se rappelle que nous devons être choyés. Et voici qu’il prend d’assaut notre mosquée martyrisée. Cette même mosquée où le corps d’Elhadj Amadou Oury a été prié. Cette mosquée nichée à quelques encablures de notre cimetière injustement surchargé. Et voici qu’il longe notre rue charcutée. Cette même route qu’une cinquantaine de corps a arpentée. Ce même axe du mal que ses larbins ont rebaptisé. Et voici qu’il se souvient que ce foutu bled est un teuf teuf qui devrait rouler sur ses quatre roues bien vissées. Alors qu’il nous avait traité de ghetto qu’il faille décrassé, désormais il nous explique que c’est pour cause d’Ebola que nous avons été abandonnés. Alors que nos frères et nos enfants essaient de trouver un repos bien mérité dans ce cimetière bondée d’innocence trucidée, c’est par son discours mielleux qu’il vient les narguer. Alors que les familles éplorées réussissent à faire leur deuil du passé, c’est par toute son armada sécuritaire qu’il vient les affliger. Où étiez-vous, Monsieur, quand Zakariaou Diallo est tombé? Qu’avez-vous fait, patron, pour sécher nos larmes infestées de râles révoltées lors de cette lugubre journée où neuf de nos frères ont été enterrés? Quel discours compatissant, boss, avez-vous déjà tenu pour chaque linceul maculé du sang de l’insécurité? A quelle famille déjà, körö, avez-vous rendu visite pour serrer la main du père attristé, sécher les larmes de la mère déchirée, dorloter la sœur et le frère égarés? Avez-vous une fois, ne serait-ce qu’une fois pendant toutes ces années, offert votre douillette épaule à une seule tête désolée? A moins qu’une foutue amnésie m’ait frappé, c’est un souvenir que j’ai du mal à retrouver dans la marmelade qui me sert de cerveau d’attardé. Mais je sais que je suis trop con pour tout me rappeler. Peut-être donc pourriez-vous m’aider à choper cette image compatissante au chevet de nos blessés, face à nos familles peinées. Parce que je n’imagine absolument pas que c’était la première fois que par ici vous veniez. Me dites pas, me dites surtout pas que cet endroit ne vous est pas familier. Me dites pas que pendant toutes ces années de crimes enchaînés, de notre sang versé, me dites pas que vous n’avez pas entendu nos pleurs affolés. Me dites pas, je vous en prie, que vous n’avez pas observé que notre ciel a toujours été larmoyant et mal colorié. Me dites pas, oh vous le haut perché dans les étoiles de notre Guinée atterrée que nous n’avons eu que ce que nous avons mérité et que nous l’avons bien cherché.

Oh pardon, oui pardon de vous faire porter un chapeau injustifié. Vous avez bien raison, vous et vos prédécesseurs de nous assassiner, de nous mépriser. Parce que nous ne vivons que de fatalisme perpétué. Parce que nous ne vibrons que de résignation amplifiée. Parce que nous sommes faits de léthargie caractérisée comme couperet d’éternité dans notre destinée. Comme si nous n’avions pas d’amour propre face à ces crimes sur nous perpétrés. Comme si finalement nous étions perméables à toutes les insanités à perpétuité. On peut tout écouter. On peut tout accepter. On peut tout gober, même les douleurs les plus inacceptables en serrant les fesses fouettées. Sinon comprendre notre l’immobilisme dans la mosquée à écouter des phrases en flagrante contradiction avec le passé? Comment saisir le sens de ce bain de foule improvisé, sur cette même rue témoin de nos enterrements et de nos larmes giclées? Oui, nous sommes le peuple de la soumission exaucée. Nous sommes le peuple résigné que l’on fait moutonner sans rechigner. Alors rien de plus surprenant que ceux qui ont ambition de nous diriger soient confortés à nous dédaigner, à nous bafouer et à nous humilier. C’est dans l’humiliation engrangée que nous avons notre plaisir de peuple mal fiché. Comme de masochistes invétérés, notre orgasme est au poids de l’humiliation sadique qui nous est infligée. Et puisque j’en ai marre de cet avilissement que nous nous éreintons à supporter et dans l’incapacité de nous attacher des burnes de gaillards déterminés, à moins que l’on ne prouve qu’il y a méprise à notre sujet, il est temps que je ferme ma gueule et je dégage!

Souleymane Bah, dit Souley Thiâ’nguel

 

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