Le préfet de Boké à Guineematin : « Il y a eu des endroits qui étaient plus chauds que Kamsar »

Mohamed Lamine Doumbouya, préfet de Boké

préfet de BokéComme on le sait, le vendredi 29 mai 2015, des émeutes ont été enregistrées dans la ville industrielle de Kamsar, du fait de la réticence de certaines populations au message de sensibilisation contre Ebola. La crise a duré trois jours, avant le retour au calme. Pour en savoir plus sur cette situation, Guineematin.com y avait dépêché un de ses reporters qui a passé quelques jours à Boké.

Au cours de son séjour à Boké, notre envoyé spécial a rencontré plusieurs habitants et responsables locaux avec lesquels il a échangé de la crise et de l lutte contre Ebola dans cette préfecture.

Ci-dessous, Guineematin.com vous propose l’entretien avec le préfet de Boké, Monsieur Mohamed Lamine Doumbouya.

Guineematin.com : Bonjour monsieur le préfet. Nous savons que vous êtes aussi le coordinateur régional de la lutte contre Ebola. Pouvez-vous nous en parler un peu ?

Mohamed Lamine Doumbouya, préfet de Boké : Boké est l’une des rares préfectures qui n’avaient pas été frappées de plein fouet par cette épidémie.   Mais, malheureusement, le 30 avril 2015, un malade est venu de Conakry. Il était dans un état très inquiétant. Il a été admis à l’hôpital Anayne de Kamsar. Ce malade était accompagné de deux de ses camarades chauffeurs.  Il avait transporté un malade probable d’Ebola à Boffa plus précisément à Tifidia. A son retour à Conakry, les deux autres ont développé la maladie avant de  rendre l’âme. Le troisième qui était de Kamsar, chauffeur de son état avait déjà commencé à développer la maladie. Affaibli par la maladie, il a demandé à ce qu’il soit amené dans sa famille à Kamsar. Là-bas, il a été admis à l’hôpital Anayme.

Guineematin.com : Qu’est-ce qui s’est passé après ?

Mohamed Lamine Doumbouya : deux jours après, il a rendu l’âme. Son enterrement n’ayant  pas été sécurisé, la maladie s’est propagée  dans notre préfecture, précisément à Kamsar.

Guineematin.com : Qu’est ce qui a été fait ensuite ?

Mohamed Lamine Doumbouya : La coordination nationale à envoyé  un coordinateur préfectoral qui était à Macenta et à Boffa. Ce monsieur  a une certaine expérience de la gestion de la crise. Avec lui il y avait tout les partenaires qui accompagnent notre ministère dans le cadre de la lutte contre Ebola. Une  coordination préfectorale s’est donc mise en place.

Guineematin.com : Quel a été le premier résultat  sur le terrain?

Mohamed Lamine Doumbouya : les contacts ont été identifiés jusqu’au nombre de 252 personnes. Le suivi a commencé, le PAM (Programme Alimentaire Mondiale) a  donné de la nourriture à ces personnes. Un laboratoire mobile a été installé grâce à  l’effort du gouvernement en rapport avec le Canada. La situation était vraiment normale, le suivi se passait dans les très bonnes conditions et les malades suspects sont au centre de santé de Kasogo. Quand le prélèvement est fait on a le résultat,  s’il est  positif ou négatif. S’il est négatif on donne au malade des petits soins et si c’est positif on l’admet au centre de traitement de Coyah ou de Conakry.

Guineematin.com : Parlons de ces incidents qui ont éclaté le vendredi 29 mai à Kamsar. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ces violences?

Mohamed Lamine Doumbouya : La coordination était à la recherche d’une femme suspecte. Son mari était un guérisseur traditionnel qui est mort d’Ebola à l’hôpital de Boké, le 15 mai passé.  Les tentatives de sensibilisation ont commencé   pour amener la famille à accepter de livrer  la malade pour faire son prélèvement afin que sa situation  soit connue. Mais la famille a opposé une résistance ferme. Le deuxième jour on était obligé de faire intervenir les religieux. Parce que la ligue islamique était en réunion à Kamsar. Le secrétaire régional aux affaires religieuses de Boké, Elhadj Yattara et  quelques Imams de Conakry et de Kamsar, se sont rendus sur les lieux pour rencontrer la famille pour qu’elle accepte de livrer la malade pour qu’on puisse faire le prélèvement sur elle. Mais les missionnaires ont même été raccompagnés par des jets de pierres. Nous ne pouvions plus accepter que le malade qui est toujours caché continu à développer la maladie et contaminer d’autres personnes. Parce qu’ils avaient l’intention de l’amener quelque part chez un guérisseur traditionnel là ou la chaîne de contamination allait être plus étendue. Pour parer à ça, les services de sécurité se sont présentés. On a eu à mettre main sur le fils de la malade pour qu’il nous dise exactement où se trouve sa maman. Cela s’est passé aux environs de 11 heures, c’est ce qui a mis les gens en mal.  Après la prière  de 14 heures, des petits groupes se sont mis en place pour mettre des barricades. De quartier en quartier, il y a eu une forte mobilisation des citoyens. Ils se sont dit que cette affaire d’Ebola n’est pas vraie, c’est du mensonge, c’est pour avoir de l’argent. Ils se sont attaqués à des édifices publics, à des personnes innocentes qui n’avaient rien à voir avec cette affaire.

Guineematin.com : Pourquoi les gens n’arrivent ils pas à reconnaître l’existence de la maladie dans cette zone ? Qu’est ce que vous comptez faire maintenant ?

Mohamed Lamine Doumbouya : vous savez que lors du passage de la coordination ici, Dr Sakoba avait insisté sur  la sensibilisation. La force peut beaucoup aider, mais la sensibilisation est meilleure. Parce que quand la force est utilisée, les gens  peuvent fuir comme ils l’ont fait maintenant. Et là,  les malades peuvent et les contacts peuvent se cacher. Il serait  mieux que nous sensibilisions pour que la population adhère à notre politique.

Guineematin.com : Selon nos informations, des femmes et jeunes de Kamsar menaçaient de sortir pour demander la libération des personnes arrêtées lors de la manifestation du vendredi 29 mai.

Mohamed Lamine Doumbouya : Qu’ils attendent que ces gens soient jugés, si ce sont des innocents ils seront libérés. On est ferme là-dessus, tous ceux qui sont arrêtés seront jugés et seront condamnés s’ils sont reconnus coupables. Ils devraient plutôt passer par la sensibilisation pour afin que leurs amis qui sont dans cet esprit de violence, comprennent que ce n’est pas la violence qui règle les problèmes. Mais s’ils veulent faire la même chose, les dispositions sont prises.

Guineematin.com : Vous avez reçu le ministre de la Santé et celui de l’Information, qu’ont-ils apporté ?

Mohamed Lamine Doumbouya : Les ministres sont venus à Kamsar parce qu’ils ont appris qu’ici ça ne vas pas. Ils sont allés à la radio pour sensibiliser la population, pour dire que l’heure n’est pas à la violence, qu’il faut que les gens acceptent la sensibilisation pour que la chaîne soit maîtrisée. Donc ils étaient venus  s’imprégner de la situation et nous aider pour que des solutions idoines soient trouvées.

Guineematin.com : Des informations font état du départ des personnels de l’OMS et de la Croix-Rouge. Ces derniers demandent des  conditions sécuritaires  pour la reprise du travail. Ces conditions sont elles réunies de nos jours ?

Mohamed Lamine Doumbouya : Quand une telle situation se présente les institutions ont peur et rappellent leurs représentants sur le terrain pour consultation. Il y a eu des endroits qui étaient plus chauds que Kamsar, mais ils ont tenu. Nous souhaitons qu’ils reviennent  tous de suite pour que le travail commencé puisse être achevé.

Guineematin.com : N’avez-vous  pas peur que la réticence continue à Kamsar et que l’usine ferme ?

Mohamed Lamine Doumbouya : Je n’ai pas peur que la réticence continue parce que nous avons pris assez de dispositions avec les autorités locales à tous les niveaux pour essayer de faire comprendre à la population. Nous avons fait appel aux ressortissants qui seront avec nous dans les districts pour sensibiliser la population. Avec cette force constituée des autorités et ressortissants à tous les niveaux, nous allons arriver à un bon résultat.

Guineematin.com : Madame le sous-préfet de Kamsar pense qu’il y a une main noire derrière ces manifestations. Avez-vous le même avis ?

Mohamed Lamine Doumbouya : Nous ne comprenons pas pourquoi les religieux ont été insultés, le siège de la mairie nouvellement construit et inauguré par le premier ministre, qui est l’effort de tous les citoyens de la localité,  soit également vandalisé. Il ya autre intention derrière. C’est pourquoi les autorités de Boké resteront fermes  face à cette situation. Tous ceux qui sont mêlés seront traduits devant les juridictions.

Guineematin.com : Quel message avez-vous pour la population de Boké ?

Mohamed Lamine Doumbouya : J’invite la population de Boké à comprendre qu’Ebola est une réalité, et non une fatalité. On peut tomber malade d’Ebola et être guéris par la suite. Donc qu’elles acceptent de coopérer pour que l’effort que le président de la République est entrain de mener ne soit pas vain.

Propos recueillis à Boké par Abdoulaye Oumou Sow pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 620 848 501/ 656 48 66 01

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