L’Afrique au cœur de la nouvelle stratégie marocaine de coopération 

Ibrahima Ahmed Barry, journaliste économiste Les raisons d’un regain d’intérêt (Par Ibrahima Ahmed Barry)

L’approche n’échappe a personne, le constat l’atteste depuis plus d’une décennie (en témoigne les  fréquentes visites du Roi Mohamed 6 en Afrique noire)… le Maroc, partenaire économique et douanier du grand voisin européen au nord, en concurrence, (un peu plus loin)  avec les puissants Pays pétroliers du Proche et du Moyen Orient, a dans sa volonté de s’adapter aux exigences de la mondialisation, d’élargir son champ d’influence et de s’offrir des débouchés économiques et commerciaux,  décidé  de s’ouvrir davantage au sud, vers l’Afrique sub-saharienne en privilégiant le concept du Co-développement. Une stratégie pragmatique dictée d’une part, par  la ‘’Real Politique’’  et de l’autre, par les exigences économiques, commerciales et sécuritaires.

MarocA Rabat, on n’oubli pas que le retrait du Maroc de l’OUA depuis une trentaine d’année l’avait privé d’une tribune et d’un cadre. Pour pallier a ce handicap, et sous l’impulsion du Roi feu Hassan 2, on a développé efficacement un réseau solide de relations bilatérales afin de trouver des alliés sûrs sur le continent dans la défense des intérêts du royaume chérifien notamment, dans le dossier des provinces sud du Maroc, le Sahara marocain.  Cette diplomatie d’influence basée sur les relations personnelles et d’amitiés, héritée de son défunt père a été développée et consolidée par le jeune Roi, sous l’impulsion duquel, le Maroc, a travers sa nouvelle constitution de 2011 a clairement affirmé ‘’le caractère africain de son identité’’ fondement de la nouvelle vision du Roi Mohamed 6 pour l’Afrique, la triptyque : Développement, Stabilité et Paix.

Un Ancrage africain de la politique marocaine

« Le Maroc et l’Afrique, ce sont des liens indéfectibles soutenus par un socle culturel et spirituel qui défient les caprices du temps, les vicissitudes de l’histoire et de la politique ». Cette affirmation du Doyen S. Camara, ancien diplomate guinéen, est symptomatique des relations que le Royaume chérifien a développé et entretenu depuis des lustres avec les grands ensembles, puis les Etats indépendants de l’Afrique sub-saharienne. Une  constance, héritage du passée, trame de fond de la diplomatie marocaine comme le faisait remarquer, feu Roi Hassan 2 « Le Maroc ressemble a un arbre dont les racines nourricières plongent dans la terre d’Afrique et qui respire grâce a son feuillage bruissant aux vents de l’Europe ». Cette approche diplomatique a pris de l’épaisseur depuis l’avènement au pouvoir du Roi Mohamed  6 qui a multiplié les visites officielles dans plus d’une douzaine de pays au sud du Sahara.

Au Maroc, les stratèges et experts sont conscients du potentiel naturel et des atouts humains sous exploités qu’offrent les économies du continent noir. Pour gagner ce pari de l’ouverture et du repositionnement stratégique dicté par les exigences de la mondialisation, à défaut d’être une grande puissance financière, le Maroc déploie une diplomatie de proximité. Le souverain chérifien, le Roi Mohamed 6 a préconisé à cet effet, une vision à long terme « ayant pour socle stratégique la coopération sud-sud pour un développement humain durable fondé sur des rapports économiques équilibrés, justes et équitables ». Une vision qui place dorénavant l’Afrique au cœur de la nouvelle stratégie de coopération marocaine.

 Actionner les leviers de la coopération pour gagner le pari d’une Afrique Emergente

Maroc GuinéeS’adressant, le 13 mars 2015 aux participants du forum de Crans Montana tenu à Dakhla (une  des villes des provinces sud du Maroc), le Roi Mohamed 6 avait clairement affirmé que «Le Maroc a toujours rejeté la logique de l’afro pessimisme, prôné et défendu une action solidaire, déterminée et volontariste pour l’émergence d’une nouvelle Afrique». Le Maroc, rajoutera le souverain chérifien est donc « disposé à soutenir les pays africains pour bâtir des économies solides, par le transfert des savoir faire, la formation des ressources humaines, l’investissement dans les secteurs clés de l’économie et la mutualisation des ressources ». Une option stratégique découlant d’une vision politique qui corrobore la nouvelle dimension conférée a la coopération économique et commerciale, au volume et a l’orientation des investissements directs marocains a l’étranger. Une coopération Ciblée et orientée vers l’Afrique voisine avec la quelle le Maroc veut construire un pôle de stabilité et développer un grand ensemble régional qui préservent  l’identité culturelle et spirituelle des populations.

Un Hub économique et financier régional au service du Co-développement

La particularité du modèle de coopération que le royaume chérifien s’emploie à développer avec l’Afrique réside dans la diversité des acteurs et des partenaires impliqués. Une coopération qui n’est plus l’apanage exclusif des gouvernements et des institutions mais bien au delà,  elle réserve dorénavant une place privilégiée aux opérateurs économiques privés et aux acteurs de la société civile. Si tout au début, la coopération traditionnelle se traduisait par l’action des entreprises publiques et institutions a travers le financement et la réalisation des projets d’infrastructures de bases, de réseaux de télécoms, d’irrigation, d’eaux et d’électricité, la nouvelle stratégie implique davantage d’opérateurs économiques privés dans les activités de services et de banques, la formation professionnelle, les mines et les télécoms.  Ces investissements menés par des acteurs variés visent à appuyer la transformation structurelle et la diversification des économies africaines ‘’partenaires’’ avec pour objectif ultime, une intégration régionale plus poussée dans le domaine du commerce, des finances, de l’économie et pourquoi pas de la monnaie. De par sa situation géographique privilégiée (aux frontières de l’Europe, aux confluents du Maghreb et à quelques encablures du Proche et du Moyen Orient) le Maroc envisage de créer un Hub Economique Régional autour duquel se bâtira un marché de taille critique susceptible de générer des économies d’échelles profitables aux pays africains de la façade atlantique et a ceux de l’inter-land. C’est le ‘’Club de l’Atlantique’’ un espace économique de 500 millions de consommateurs potentiels.

Un cadre juridique étoffé, des axes de coopération et d’investissements diversifiés

Outre la volonté politique affichée par le Roi Mohamed 6, la réussite de la nouvelle stratégie dépendra essentiellement de la qualité du cadre juridique établit ‘’pour sécuriser et garantir les investissements projetés’’.  Depuis les années 60, le royaume chérifien a passé plus de 500 accords de coopérations impliquant les privés avec les Etats de l’Afrique au sud du Sahara. Rien qu’au cours de la tournée africaine du Roi Mohamed 6 en 2014, ce sont plus de 90 accords qui avaient été signés couvrant les secteurs de la santé, de l’agriculture, de l’élevage, la pêche, des logements sociaux, des télécoms, des infrastructures et des services.

La Guinée, a elle seule avait conclut une vingtaine d’accords et de conventions avec le Maroc. Face a la multitudes de réglementation (souvent facteur de blocage dans les différents pays), le Maroc a réussi a passer avec ses partenaires africains des conventions d’établissements, des accords commerciaux, de promotion et de protection des investissements assortis de la non double imposition. Des gardes fous pour réduire les risques dans une coopération qui a besoin d’un souffle nouveau. Et pour cause, les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Afrique de l’ordre de 36 milliards de dirhams marocains (pour la période 2003-2012) étaient de 13% en moyenne annuelle. Ce qui représentait 6,4% des échanges globaux du Maroc avec l’extérieur. En 2013 ces échanges ont cru de 16% contre 4 % en 2003. Des chiffres faibles au regard du potentiel et des opportunités, l’Afrique noire ayant affiché un taux de croissance moyenne de 6,1% en 2014 et de 5,8% en 2015.

Dépasser la frontière des Etats pour intégrer les ensembles régionaux africains

Les principaux clients bilatéraux du Maroc sont par ordre de grandeur : le Sénégal, la Mauritanie, la Cote d’Ivoire, la Guinée, le Nigéria, le Ghana, l’Angola et la Guinée Equatoriale. Les investissements directs à l’étranger (IDE) du Maroc accompagnent des privés et des projets  (télécoms, industries, les fertilisants, l’ingénierie, les BTP, holdings etc.) dans 14 pays africains grâce a un réseau bancaire marocain (en place dans 9 pays). Dans le domaine de la formation et de l’Enseignement, le Maroc accueille 7.500 étudiants étrangers (68% d’entre eux sont des boursiers africains). Beaucoup de cadres et techniciens exerçant actuellement en Afrique sont passés dans des écoles, instituts  ou universités marocains.

Nonobstant la coopération bilatérale, le Maroc tisse également sa toile avec les ensembles régionaux africains  notamment la CEDEAO, La CEMAC et la COMESSA  avec lesquels, le pays a passé des accords de libres échanges dans la perspective du grand marché unique.

De cette coopération multidimensionnelle proposée, les Etats africains devraient profiter d’une expertise de proximité moins couteuse, d’un transfert de compétence et d’un savoir-faire éprouvé marocains ayant fait leurs preuves dans des contextes presque similaires en matière de lutte contre la pauvreté et la précarité. (Agro-industrie, pêches, logements sociaux, santé, formation technique, infrastructures, tourisme et artisanat…impactant positivement et efficacement le bien être des populations).

Symbole fort de ces liens : la RAM. La compagnie aérienne, Royale Air Maroc qui desservait 6 destinations en 2003 relie 30 destinations en 2014 et transporte 1 million de passagers par an, à partir de 26 pays du continent. 1er transporteur de l’Afrique de l’ouest, outil majeur de la stratégie marocaine en Afrique.

Des échanges en deçà des attentes … il faudra aller plus loin !

Des liens forts et divers même si le volume des échanges demeure, de l’avis des experts ‘’en deçà des attentes’’. C’est le cas notamment entre la Guinée et la Maroc ou le volume des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays est resté très longtemps, extrêmement faible et déséquilibré. Le Maroc est le 8eme fournisseur et le 18 eme client de la Guinée. En 2012, 6% seulement des investissements directs étrangers marocains étaient  injectés dans l’économie guinéenne.

Les projets les plus en vue sont ceux développés par le 1er groupe immobilier marocain ‘’Addoha Douja Promotion’’ qui a investit 30 millions d’euros pour construire  a Dubreka, Ciments d’Afrique avec une capacité de production de 500 mille tonnes de ciments par an. Addoha est aussi engagé dans la construction d’ici 2016 de trois complexes immobiliers à Conakry. Trois milles logements (de moyen et grand standing) sont attendus.

Dans le domaine de la valorisation du potentiel agricole guinéen, « l’Office Chérifien des Phosphates OCP travaille sur la fertilisation des sols. Un premier travail d’inventaire portant sur un échantillon de 100 milles hectares est réalisé » se réjoui Majid Halim, Ambassadeur du Maroc en Guinée. Le groupe de référence de l’artisanat marocain Itqane a bénéficié en 2013 de la confiance du gouvernement guinéen pour rénover et réhabiliter (en un temps record le Palais des Nations en ruine rebaptisé Palais Mohamed V.

Des opérateurs économiques privés guinéens et marocains ont construit une minoterie moderne ‘’les moulins d’Afrique’’ a Sonfonia. Elle occupe une part importante du marché de la farine en Guinée. Quant à la Banque Populaire Marocaine, elle est installée en Guinée depuis 1990 et dispose de plusieurs agences et succursales.

L’aspect novateur de ce partenariat, c’est l’investissement dans le capital humain. Outre les milliers d’étudiants boursiers, cadres et techniciens guinéens en stage de perfectionnement au Maroc, la nouveauté ce sont ces 500 imams guinéens reçus depuis 2014 à l’Institut Mohamed 6 de Rabat. Objectif : consolider les liens spirituels et promouvoir la pratique d’un islam tolérant et ouvert, seul parade efficace face aux extrémismes et fondamentalisme religieux qui menacent les pays africains.

Reste cependant un gros challenge à relever : Accroître le volume des échanges commerciaux et économiques guinéo-marocains  tout en se donnant les moyens de concrétiser en projets, les nombreux accords et conventions signés lors de la visite du Roi Mohamed 6, mais qui peinent encore a démarrer.

A l’heure de la mondialisation, le regain d’intérêt du Maroc pour l’Afrique sub-saharienne n’est pas fortuit, il participe de la volonté du royaume chérifien de s’appuyer sur ses racines africaines pour bâtir un pôle de stabilité et de sécurité ainsi qu’un grand espace de développement intégré a l’abri des extrémismes et du terrorisme. Il revient aux pays partenaires africains de saisir les opportunités  offertes et d’en tirer le maximum d’avantage pour le mieux être des populations.  Tout un challenge !

Ibrahima Ahmed Barry, Journaliste-Consultant, Président du Réseau des Journalistes Economiques de Guinée ‘’REJEG’’

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