La visite de travail que le Chef de l’État guinéen effectue à Dakar du 06 au 08 août 2015 où les questions sécuritaires seront au menu des discussions avec son homologue du Sénégal, intrigue les observateurs de la scène politique régionale. En effet, les points de convergence diplomatique entre Dakar et Conakry sont rares et les approches de résolutions des crises sous-régionales sont divergentes. Que cherche donc, M. Alpha CONDE ?
L’instrumentalisation de la lutte contre « le terrorisme djihadiste »
Les autorités guinéennes ont élaboré depuis plusieurs semaines une stratégie pour faire croire que la Guinée serait une cible d’attaques terroristes islamistes ayant des accointances avec Boko Haram. Les services spéciaux du régime guinéen selon des sources bien informées ont conçu des coups fourrés pour organiser des pseudos-attaques dans les fiefs de l’UFDG en l’occurrence au Fouta-Djalon pour justifier aux yeux de la communauté internationale et de l’opinion nationale, la présence de « terroristes » dans cette région. Les objectifs de cette cabale du régime guinéen sont triples :
- D’abord, il s’agit de stigmatiser le Fouta comme une base du terrorisme islamiste en mesure de déstabiliser la sous-région. Bien entendu les logiques sécuritaires qui dominent dans le monde auront facilement fait l’amalgame. Ainsi, la militarisation du territoire et la répression aveugle et systématique pourront être exercées avec l’assentiment tacite de la communauté internationale. Cela aura également pour conséquence, d’assurer la marginalisation sur la scène africaine et internationale de l’UFDG en particulier et de l’opposition démocratique guinéenne en général.
- Ensuite, M. Alpha CONDE prépare à faire face à la crise postélectorale qui d’ores et déjà est prévisible. Au cours de son mandat, il a réussi à mettre toutes les institutions de la république sous sa botte, y compris la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) qui lui a confectionné un fichier électorale taillé sur mesure. C’est ainsi que les écoliers et les collégiens de Haute-Guinée ont été manu-militari enrôlés dans les listes électorales alors que la majorité requise pour être électeur est 18 ans. Rétif à toute mesure d’apaisement favorisant un processus électoral acceptable, le gouvernement de Conakry entend aller jusqu’au bout pour imposer dés le premier tour le candidat Alpha CONDE. Advienne que pourra par la suite, tout en étant certain que la Guinée sombrera dans une crise postélectorale de vaste envergure. C’est la raison pour laquelle, la lutte contre « le terrorisme islamiste » sera la justification politique que le régime opposera à tous les contestataires de cette nouvelle mascarade en usant de la violence systématique dont sont coutumiers tous les régimes au pouvoir à Conakry depuis l’indépendance . D’ores et déjà des milices armées privées existent au vu et au su de tous les observateurs nationaux et internationaux s’articulant principalement autour des chasseurs traditionnels (les donzos) et des anciens de l’Ulimo (protagonistes des guerres civiles du Liberia). Le dispositif sécuritaire est complété également par l’incorporation dans le corps des gardes forestiers d’une fraction importante des miliciens du régime.
- Enfin, pour M. Alpha CONDE il s’agit d’éviter de se trouver dans le collimateur de la Cour Pénale Internationale ou de la réprobation générale pour violations graves des droits de l’homme. Ses conseillers instruits par les démêlés judiciaires des dirigeants du CNDD à la suite du massacre du 28 septembre 2009 et la poursuite de Laurent BAGBO devant la CPI ont élaboré une stratégie sur plusieurs niveaux : légalisation du recours aux armes à feu pour réprimer des manifestations populaires sur le plan législatif, recours au discours « lutte contre le terrorisme djihadiste » pour amadouer l’occident, déclarations publiques et manipulations tous azimut pour attester de la véracité d’agressions « terroristes » et enfin offensive diplomatique pour embarquer à leur corps défendant des leaders politiques de la région dans sa pseudo-croisade. Ceci fait, la crise postélectorale en perspective pourra être écrasée dans l’œuf sous l’œil bienveillant de la communauté internationale.
Ce plan échafaudé par le régime de Conakry pour tenter de conserver par tous les moyens sa domination sur le pays désarçonne des esprits qui ont une autre lecture de la nature de la gouvernance de leur pays. Les guinéens quant à eux savent par expérience que le recours aux pires horreurs n’ont pas fait reculer les différents chefs d’État guinéens lorsque leur pouvoir était menacé. Les mémoires du camp Boiro, des massacres du 04 juillet 1985, du 22 janvier 2007, du 28 septembre 2009 et des tueries récurrentes de manifestants pacifiques au cours des cinq dernières années sont suffisamment prégnantes dans la société guinéenne pour créer une psychose de frayeur collective pour l’avenir de la Guinée. Il en fut de même entre les deux tours des présidentielles de 2010. La tragi-comédie de l’eau « empoisonnée » en octobre 2010 qui avait déclenché la chasse aux peuls en Haute-Guinée est une preuve manifeste du triomphe de l’esprit de machiavel auprès des tenants du régime où la fin justifie les moyens. La visite de Dakar est une tentative pour M. Alpha CONDE de légitimer par avance auprès des autorités sénégalaises le sombre dessein dans lequel il entend plonger son pays. La communauté sous-régionale de la CEDEAO et les Nations Unies n’ignorent nullement les tragédies qui se dessinent en Guinée. Elles doivent par conséquent faire preuve de rigueur et de responsabilité afin de sauver un pays en détresse avant qu’il ne soit trop tard.
J’ose espérer que le Président Macky SALL saura comme par le passé privilégier les intérêts fondamentaux réciproques qui lient les peuples du Sénégal et de la Guinée. C’est notre vœu le plus ardent.
BAH Oury
Ancien Ministre de la Réconciliation Nationale
1er Vice – Président de l’UFDG