Au Niger, «on attend que tout se fracasse» (Libération)

NigerLu pour vous : Le second tour de la présidentielle, dimanche, devrait reconduire Issoufou, le président sortant. Son adversaire, Amadou, a fait campagne entre une cellule de prison et une chambre d’hôpital.

Le Niger filerait-il vers la catastrophe ? «Un train fou conduit par un pouvoir paranoïaque», selon l’expression ferroviaire utilisée par un diplomate européen en poste sur la zone sahélienne. Pour comprendre ce prochain déraillement de la démocratie nigérienne, il convient de revenir sur le premier tour de la présidentielle, déjà marqué par des irrégularités majeures sur lesquelles la Commission électorale indépendante (Ceni) a détourné le regard, proclamant des résultats aussitôt qualifiés de«grotesques» par l’opposition.

Candidat fantôme

Le second tour, ce dimanche, toucherait «à l’absurde», selon un observateur. Mahamadou Issoufou, le président sortant âgé de 64 ans, arrivé en tête avec 48,8 % des suffrages, se retrouve face à une coalition de l’opposition réunie au sein de la Copa 16, dont le principal leader et représentant, Hama Amadou, 66 ans (17,7 %), a fait campagne… à partir de sa cellule de la prison de Filingué, localité située au nord-est de Niamey.

Mercredi, Hama Amadou, dont la santé s’est sérieusement dégradée depuis quinze jours, a été transféré vers la France par avion médicalisé. Ancien Premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale, ce poids lourd de la politique nigérienne est aussi le «faiseur de roi» de la dernière élection présidentielle. Mais il avait été emprisonné à son retour à Niamey en novembre 2015, après avoir fui en août 2014 à Paris, poursuivi pour «supposition d’enfants». Cette affaire de trafic de jumeaux nigérians – qu’il conteste – empoisonne le climat politique local depuis deux ans.

Hama Amadou souffre d’un diabète sévère et d’hypertension. Samedi 12 mars, le pouvoir prend conscience que le candidat fantôme peut y passer. Ce serait dommage qu’un homme politique emprisonné disparaisse pour de bon. Le pouvoir dépêche donc un hélico. Qui tombe en panne à son arrivée à Filingué. La prison se trouve à quatre heures de voiture de Niamey. En transport sanitaire routier, sur une route en mauvais état, le patient-candidat-prisonnier serait envoyé ad patres. L’hélico est la solution, du moins quand il peut voler. On sort Hama Amadou sur une civière et le voilà sous un hangar par 38°C à l’ombre, en attendant que les mécanos s’activent. La panne est localisée, l’engin réparé. Oui, mais voilà que Hama Amadou refuse de monter à bord. Il n’a pas confiance, ni dans l’entourage médical de la prison, car il craint«l’empoisonnement», ni dans cet hélico qui accumule les pannes. Retour dans sa cellule.

Mais pourquoi se trouve-t-il à Filingué ? Le ministre de la Justice a justifié devant la presse son incarcération si loin de Niamey : «Pour qu’il ne soit pas gêné par les visites.» Son médecin personnel, le professeur Yak, qui venait le voir, fait une déclaration publique la semaine dernière : son patient est «très affaibli», il faut le transférer au plus vite. Le pouvoir jette le professeur de médecine en prison pour «propagation de fausses nouvelles».

Avant lui, il y avait eu la chanteuse Habsou Garba, militante de Hama Amadou, qui a passé «onze jours en prison à cause d’une chanson pour Hama» : «C’est long, onze jours, souffle-t-elle. Et en plus, je n’ai insulté personne !» Qu’a fait le pouvoir pour contrer la chanteuse subversive ?«Il a fait venir un chanteur qui a chanté les louanges du président Mahamadou Issoufou pendant trente-sept minutes. Vous vous rendez compte, trente-sept minutes ? C’est vraiment très long…»

Au Niger, tout est long, surtout le dépouillement et les incarcérations des chanteuses. Pendant ce temps, les militants d’Issoufou font campagne dans le pays, vantant les réalisations «du Président qui met en prison tout ce qui lui tombe sous la main», comme le raconte à Libération une source proche du parti de Hama Amadou.

«Médiocrité»

L’opposition boycotte le scrutin qui donnera une victoire éclatante à Issoufou. Ibrahim Hamidou, membre du bureau politique du Mouvement national pour la société du développement, qui fut le collaborateur de Hama Amadou quand il était Premier ministre, explique que l’opposition appelle à une«transition politique de toute urgence» :«Il faut arrêter ce processus électoral et se parler, sinon, on court vers la catastrophe. Le durcissement du pouvoir est réel. La détérioration de la société est à craindre, hélas».

Du côté de Paris, comme d’habitude : rien. L’ancien ambassadeur de France Antoine Anfré avait été écarté en 2015 sur pression de Niamey. Il aurait alerté le Quai d’Orsay et l’Elysée sur le durcissement du pouvoir et les alliances clientélistes dangereuses avec les groupes religieux.«L’ancien ambassadeur avait raison. Il avait vu juste. Issoufou et Hollande l’ont dégagé», soupire Ibrahim Hamidou.

Hama Amadou, musulman pratiquant, a souvent été le seul politique local à renvoyer les religieux à leur espace, se méfiant d’eux et d’une influence qu’il jugeait néfaste. Ce qui fait dire à un spécialiste de l’Afrique subsaharienne : «Paris ne pense plus l’Afrique depuis longtemps. Paris se désole de la nomination de l’équipe diplomatique remplaçante à Niamey, et s’en mord les doigts aujourd’hui. C’est terrifiant de médiocrité.»

Les observateurs internationaux sont en place pour juger de la sincérité du scrutin. On peut en rire. Ou en pleurer de rage. Et demain ?«L’empreinte de l’Etat n’existe quasiment plus au Niger, les pouvoirs régaliens sont à terre et ce qu’il en reste est au service d’un seul homme : Issoufou. On attend que tout cela se fracasse et que Paris dépêche un contingent sur zone si ça tourne mal, c’est une habitude», persifle un autre diplomate européen. Pour Ibrahim Hamidou, «un coup d’Etat est une hypothèse qui n’est pas à exclure» dans un pays qui en a connu trois depuis son indépendance, en 1960. On attend avec gourmandise le prochain télégramme de félicitations adressé de Paris au président Mahamadou Issoufou.

Jean-Louis Le Touzet, Libération

 

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