Historique de la Mosquée de Timbo (par le Pr. Ismaël Barry)

Dans un pays comme la Guinée dont la population est musulmane à plus de 80%, on ne peut que se féliciter du nombre impressionnant de mosquées construites ou rénovées/modernisées ces dernières années dans toutes les régions du pays.

En effet, rares sont les semaines où les médias ne nous offrent pas l’opportunité d’admirer l’inauguration d’un de ces édifices religieux dont la construction ou la rénovation est le plus souvent le fruit des efforts conjugués des fils de la localité concernée.

On peut parler d’un véritable engouement qui s’est emparé des musulmans de Guinée. Parmi les mosquées dont la rénovation est acquise, il faut se réjouir de pouvoir citer celles qui figurent au premier rang de celles qui ont joué un rôle de pionnier dans la diffusion de l’islam en Afrique de l’Ouest, à savoir  : Fougoumba, Touba, Dinguiraye, Forécariah, Kankan, Labé, …

Cependant, ceux qui connaissent l’histoire de l’islam dans la sous région, plus particulièrement en Guinée, savent que par rapport à cette vague de modernisation, il y a encore une mosquée qui dort, une mosquée au nombre des plus vieilles sinon la plus vieille du Fuuta dont le poids spirituel est immense : la Mosquée de Timbo, celle édifiée sous l’égide du célèbre Karamoko Alpha, le principal leader de la guerre sainte au Fuuta Jaloo et en Guinée.

Les débuts de l’islam en Guinée

L’histoire de cette mosquée se confond avec celle du début de l’islam dans la sous région. On sait que l’avènement de cette religion ici correspond à la vague de renouvellement de l’islam qui a eu lieu dans toute l’Afrique occidentale de la fin du XVIIè au milieu du XIXè siècle après la première période d’islamisation qu’a connue le Soudan des grands empires (Ghana, Mali et Gao) au contact du Maghreb et du Moyen Orient (XIè- XVIè siècle). Cette vague de renouvellement de l’islam s’est effectuée, notamment, par le biais de djihads déclenchés successivement au Bhundu (actuel Sénégal), au Fuuta Jaloo (en Guinée), au Fuuta Toro (Sénégal), au Sokoto (actuel Nigéria du Nord), au Macina (actuel Mali) et dans l’empire d’Al Hadj Umar (Guinée – Mali). L’une des originalités de cette vague, c’est qu’elle aboutit à une islamisation massive et en profondeur des populations de la région, contrairement à l’islamisation du temps des empires qui n’avait touché en réalité que les élites (chefs et lettrés) et certains habitants des centres urbains (commerçants).

Au Fuuta Jaloo, ce phénomène s’est produit dès le début du XVIIIè siècle après une longue période de petites infiltrations de musulmans Peuls et Mandingues qui ont eu lieu tout le long du XVIIè siècle, en provenance du Sahel, des rives des Moyen et Bas Sénégal et de la boucle du Niger. La région était alors dominée par des Djalonkés agriculteurs et animistes cohabitant pacifiquement avec de fortes minorités de Peuls éleveurs, également animistes, plus connus sous le nom de Poulis.

La victoire de Talansan ou le début de l’ère musulmane au Fuuta Jaloo

Selon la plupart des chroniques du Fuuta Jaloo, vers 1 140 de l’Hégire (soit 1 727-1 728 de l’ère chrétienne) eut lieu la première grande victoire des musulmans contre les animistes à la célèbre bataille de Talansan sur les rives du Bafing, à l’Est et tout près de Timbo.

Depuis un certain temps, en effet, les autochtones animistes dont l’autorité était fondée sur l’antériorité de leur occupation du sol et sur leur supériorité numérique écrasante, avaient constaté le manquement de plus en plus fréquent à la stricte discipline à laquelle ils avaient soumis les musulmans récemment installés dans le pays. En violation de cette discipline, les musulmans, nourris par leur foi et fatigués de se laisser dicter leur comportement, pratiquaient de plus en plus ouvertement leur religion et se permettaient même d’afficher du mépris et une certaine hostilité vis-à-vis des pratiques païennes de leurs hôtes (ivrogneries, musiques et danses dévergondées, …). Cette intolérance réciproque évolua fatalement vers l’affrontement.

C’est à la préparation morale et matérielle des musulmans à cet affrontement qu’Alpha Ibrahima Sambégou dit Karamoko Alpha mo Timbo se distingua au point de devenir finalement le leader principal de sa communauté. Les tarikhs de la région de Timbo mentionnent qu’avant le conflit ouvert avec les animistes, il s’était imposé un jeûne et une retraite pieuse (la khalwa) de sept ans, sept mois et sept jours, faisant des prières pour le triomphe de l’islam sur l’animisme. A l’issue de cette khalwa qui se serait terminée par des signes infaillibles de l’exaucement de ses prières, il entra immédiatement en action et prit activement part à la mobilisation de ses pairs musulmans des autres régions du pays qui, pour la plupart, vivaient dans l’isolement. Chacun de ces derniers faisait, semble-t-il, les mêmes prières parce que confronté aux mêmes hostilités et aspirait à une solidarité des musulmans face à la menace des animistes. Les tout premiers avec lesquels il aurait pris contact dans ce sens semblent être ceux de Timbo-Dalaba, village de Malinkés musulmans situé à une dizaine de kilomètres de Timbo. Entre temps les initiatives de rencontres secrètes se multiplièrent par des messages confidentiels et se concrétisèrent, notamment à Kankalabé ( Lémunnè tatoy), dans le Timbi (entre Bomboli et Bouroual Tappè) et à Fougoumba avec une participation active de Alpha Ibrahima Sambégou, Alpha Amadou Kankalabé et Alpha Mamadou Cellou de Labé qui y jouèrent un rôle de premier plan. A toutes ces rencontres, l’entente fut totale, tout particulièrement à Fougoumba où le processus de concertation s’acheva. En effet, à Fougoumba, après de nouvelles prières fondées sur le coran, la communauté de destin fut scellée et la décision du déclenchement de la guerre sainte fut prise. C’est grâce à cette mobilisation que les musulmans de cette époque, à peine une centaine dans tout le Fuuta, réussirent à affronter victorieusement, à Talansan, la masse écrasante des animistes.

Ce qu’il y a de séduisant dans cette solidarité, c’est qu’elle se basa strictement sur l’appartenance religieuse, ignorant les critères ethniques qui prennent hélas trop de valeur dans l’Afrique d’aujourd’hui. En effet, à côté des leaders Peuls musulmans de la bataille de Talansan, certes plus nombreux, les tarikhs citent les noms de dix leaders Malinkés qui avaient pris part à la même bataille du côté des musulmans, alors que dans le camp des animistes il y avait aussi bien des Djalonkés que des Peuls (les Poulis plus précisément). En plus, on peut supposer l’existence, dès cette époque, d’une certaine sympathie des Djalonkés du Solima pour le camp des musulmans qu’ils rejoindront d’ailleurs plus tard. En effet, une des versions relatives au déroulement de la bataille de Talansan accrédite l’idée que le fusil qui a déterminé la victoire des musulmans, l’unique qui existait dans le champ de bataille, était venu de Falba, le chef-lieu du Solima. A noter que parmi les lieux cités par les traditions comme origine possible de ce fusil figurent le Bhoundou et le Tamisso.

Les leaders musulmans de la bataille de Talansan, le plus souvent cités dans les tarikhs du Fuuta Jaloo, sont :

– du côté des Peuls : Alpha Ibrahima Sambégou dit Karamoko Alpha mo Timbo, Alpha Ibrahima Yéro Pâthè, futur Almami Sori Mawdho de Timbo, Alpha Mamadou Cellou dit Karamoko Alpha mo Labé, Alpha Sadio Séri de Fougoumba, Alpha Samba de Bhuria, Thierno Sirè Bouroukâdjè de Timbi Tounni, Thierno Soulaymana Tioro de Timbi Tounni, Thierno Saliou Balla de Koyin, Alpha Ahmadou de Kolladhè, Alpha Moussa de Kébâli, Thierno Abdourrahmane de Mâci, Thierno mo Sigon, Thierno mo Bouroudji, Alpha Mamoudou Gongorè …

– du côté des Malinkés : Fodé Kaba Koûrou, Fodé Abdoulaye Koûrou, Fodé Ousmane Antoun Koûrou, Fodé Madi Koulè Koûrou, Fodé Ishâqa Timbo Dalaba, Alpha Douramâni Timbo Dalaba, Fodé Mahmoûdou Dalato, Fodé Salihou Tarawali Dalato, Alpha Ahmadou Sarèbowal, …

C’est après la bataille victorieuse de Talansan, qui peut être considérée comme le début de l’ère musulmane au Fuuta Jaloo, que les grands leaders du djihad se sont réunis à Nguerou Salliya, près de Timbo, pour s’entendre sur la suite à donner à cette victoire. Il fut alors décidé que chacun rejoigne sa région pour y poursuivre la guerre sainte en vue du triomphe complet et définitif de l’islam dans tout le Fuuta, avec la consigne de démarrer dès que possible la construction des mosquées et de faire appel au secours des autres en cas de besoin.

Le Fuuta Jaloo théocratique et l’expansion de l’islam en Afrique de l’Ouest

D’après la plupart des tarikhs du Fuuta, dix ans après Talansan, lorsque les chefs animistes de tout le pays ont été vaincus, une nouvelle conférence est convoquée à Timbi Tounni. Celle-ci, une fois réunie, est érigée en Assemblée constitutive du Fuuta théocratique : une «constitution» y est adoptée et un chef suprême du nouvel État est désigné en la personne de Karamoko

Alpha mo Timbo qui est ainsi récompensé pour le rôle joué et surtout pour sa réputation d’homme intègre, instruit, pondéré et plein d’humilité.

Les caractéristiques de cet État lui donnent l’allure d’une monarchie de type fédéral ayant pour principales missions de perpétuer l’islam, de défendre les intérêts des musulmans et d’étendre autant que possible le domaine de souveraineté de l’islam. La succession à sa tête se fait par voie héréditaire et une large autonomie est reconnue aux provinces constitutives dont les chefs sont choisis parmi les leaders de la guerre sainte, compagnons de Karamoko Alpha, chacun dans sa province d’origine. Fougoumba, village favorisé par sa position géographique en même temps que résidence des Sériyanké, lignage aîné de celui des Seydiyanké dont est issu Karamoko Alpha, est désigné comme capitale religieuse, lieu de couronnement (i. e. intronisation) des chefs suprêmes du Fuuta (qui vont porter le titre d’Almami) et lieu de rassemblement de ses chefs spirituels et temporels à l’occasion des grands choix, alors que Timbo, en tant que résidence des Almamis, est choisi comme capitale politique de l’état.

C’est cet État qui est responsable de l’expansion de l’islam dans une grande partie de la Guinée et de l’Afrique de l’Ouest.

Ce rôle, il le partage avec ses alliés de la région, musulmans de longue date, que sont les Maninka mori du Batè (actuelle préfecture de Kankan) et la diaspora de ces derniers, installée en Basse Guinée, notamment dans le Moria (actuelle préfecture de Forécariah) et le Kania (actuelle préfecture de Kindia) ainsi qu’avec les Djakanké de Touba et les Torobbhè de Dinguiraye qui sont des hôtes de marque de l’État musulman du Fuuta Jaloo, arrivés au cours du XIXè siècle.

La Mosquée de Timbo : “ Mosquée Karamoko Alpha ”

Le poids spirituel de la Mosquée de Timbo est donc lié à cette histoire de l’islam en Guinée ; il est lié au grand prestige de Karamoko Alpha, le fondateur en chef de l’État musulman du Fuuta Jaloo sous l’égide duquel elle a été édifiée. C’est pourquoi certains l’appellent simplement la Mosquée Karamoko Alpha, nom symbolique traduisant l’idée de mosquée-mère, porte d’entrée et de diffusion de l’islam dans la région, la Kaaba locale. Son importance est liée aussi au fait qu’elle soit la mosquée de la capitale politique du Fuuta Jaloo théocratique, État faisant partie des plus importants de la région à la veille de la conquête coloniale.

En effet, après la victoire de Talansan qui mit fin au règne des animistes, la première entreprise significative à laquelle s’attelèrent

les musulmans fut la construction de mosquées. Jusqu’alors, toutes les pratiques du culte musulman se faisaient dans la clandestinité. Dans la région de Timbo, seul le village de Timbo-Dalaba avait, semble-t-il, osé défier l’ordre imposé par les animistes en construisant une mosquée, fut-elle de dimensions inférieures à la norme et ce, dix ans avant la victoire des musulmans à Talansan (à signaler que certaines sources parlent aussi de la Mosquée de Gongorè, avec six autres à travers le Fuuta, comme antérieure à Talansan). C’est pourquoi, lorsque Karamoko Alpha décida avec ses proches de construire une Mosquée à Timbo, l’exemple de Timbo-Dalaba était tout désigné pour le guider. Les coreligionnaires de ce centre auraient volontiers mis à sa disposition le modèle quadrangulaire de mosquée qu’un des leurs avaient rapporté de Tombouctou et qu’ils étaient les seuls à posséder dans tout le Fuuta.

C’est ainsi que, sous l’égide de Karamoko Alpha, la construction de la mosquée commença peu de temps après le triomphe de Talansan vers 1727. C’était un grand événement dont toutes les péripéties sont immortalisées dans les chroniques locales. A ce sujet, il est dit que l’emplacement de la mosquée n’a pas été choisi au hasard. C’est à la suite de prières intenses que le lieu qu’elle occupe encore aujourd’hui a été désigné à travers un rêve. C’était un parc à bétail appartenant à une femme prénommée Nèn Timbo de la famille des Diafounâbhè, lignée de Peuls éleveurs, convertis de première heure à l’islam. Non seulement la place fut cédée sans difficultés mais Nèn Timbo, pour bien marquer son engagement, offrit un taureau comme contribution. Le lieu fut rebaptisé « Timbo « du nom de cette femme en guise de reconnaissance des bienfaits de cette dernière et perdit ainsi son nom préislamique de « Gongowi «. Après ce choix, l’honneur et le privilège furent laissés à un certain nombre de personnalités de marque d’apporter les premières pierres ayant servi à matérialiser ce lieu destiné à la mosquée : il s’agit de Karamoko Alpha lui-même, en tout premier lieu, suivi, d’après les chroniques locales, du futur Almami Sori Mawdho ; puis, de Modi Makka, Thierno Amadou Botomangui, Thierno Youssoufou, Thierno Malal, les futurs chefs de tékoun et enfin de Mâma Moûssa Ndouyèèdjo. Il semble que la houe, qui a servi à tracer les fondations de la mosquée et qui est, jusqu’aujourd’hui, pieusement conservée par la famille des Ndouyèèbhè de Timbo, a été apportée par Mâma Moûssa. Au cours de la construction de la mosquée, chaque grand groupement de familles du Timbo, à savoir le tékoun mawdho, les quatre tékoun et le limodal / gadha è gaani (les trois grandes entités dans lesquelles sont organisés les habitants du diwal) avait son rôle à jouer.

C’est-à-dire qu’à chaque étape, chacune de ces entités avait sa part de matériaux (paille, cordes, bambou, bois, …) à apporter ou d’œuvres à accomplir (maçonnerie et assemblage notamment), faisant de la construction de la « maison de Dieu » un travail hautement collectif. Les travaux de menuiserie et de forges (piliers, traverses, portes) étaient confiés à des familles de forgerons bien sélectionnées.

Dès cette époque, il fut reconnu aux représentants de Timbo-Dalaba, au moins en ce qui concerne le diwal de Timbo, certains privilèges sans doute liés au modèle de mosquée qu’ils ont apporté au Fuuta : le tracé des mosquées se fait toujours sous leur bénédiction, privilège qu’ils partagent avec la famille des Ndouyèèbhè de Timbo ; ils ont toujours l’honneur de poser la faîtière de la mosquée (la botte de paille) ; ils ont droit à des cadeaux.

La “ Mosquée karamoko Alpha ” : patrimoine commun à tous les musulmans de Guinée

Il semble que les autres diwé du Fuuta avaient tenu à apporter leurs parts de contribution à la construction de la Mosquée de Timbo qui est celle de la capitale du pays : certains en matériaux, d’autres en denrées. Cela était d’ailleurs réciproque car c’est souvent dans la même période que la plupart de ces diwé ont édifié leurs propres mosquées en associant étroitement les gens de Timbo. Les chroniques locales assurent que la corde qui a servi à tracer la Mosquée de Timbo est souvent la même qui a été utilisée pour la plupart des mosquées du Fuuta de cette époque dans le but de marquer symboliquement la filiation de ces dernières à celle de Timbo.

Les mêmes chroniques disent que lorsque le Moria a entrepris plus tard la construction de sa propre mosquée, il a tenu à associer Timbo. En effet, les invités de Timbo à la cérémonie de pose de la première pierre auraient apporté avec eux du mortier prélevé sur celui qui a servi à édifier la Mosquée de Timbo. Ce mortier a été symboliquement intégré aux matériaux utilisés pour la Mosquée de Forécariah dans le but de sceller l’alliance entre les deux communautés musulmanes.

Avec le progrès de l’islam hors du Fuuta et les alliances contractées par les autorités de cet État avec les musulmans de ce qui va devenir la Guinée, chaque renouvellement de la couverture de la Mosquée de Timbo offrait une occasion de concrétisation d’un certain esprit de solidarité qui a fini par caractériser les rapports entre les musulmans de toute la région.

Le Kania, le Balia, tout comme le Oulada et le Moria apportaient à ces occasions leurs contributions symboliques, qui en paille, qui en cordes, qui en bambous, etc.

Des origines à 1949, la Mosquée de Timbo a conservé sa couverture en paille et ses murs en banco spécial, ses habitants se contentant de renouveler sa toiture tous les sept ans. A partir de janvier 1949, sur l’initiative d’Almami Ibrahima Sori Dara, la paille a été remplacée par des tuiles et le mur extérieur en banco a fait place à un mur en pierre taillée. En 1978, ces tuiles, ayant cédé à l’usure du temps, ont été remplacées par des tôles.

Durant toute la période du Fuuta théocratique et même à l’époque coloniale, la Mosquée de Timbo, marquée du sceau de Karamoko Alpha qui recevait de partout des disciples en quête d’instruction religieuse, est restée un centre islamique très fréquenté par les élites du pays et de la région. Il était, en effet, dans l’aspiration de tous les lettrés ou hommes politiques d’un certain rang, fils du Fuuta ou non, de visiter, au moins une fois dans leur vie, ce haut lieu de rencontres et de débats religieux. C’est ainsi qu’un lettré du diwal de Labé, de la famille des Nguériabhé de Djâri, de passage à Timbo, fut retenu et désigné comme imam- râtib de la mosquée par Alpha Salihou, fils et 2è successeur de Karamoko Alpha. Il s’était fait distinguer par sa connaissance du coran lors d’une séance de lecture et de commentaire à la mosquée. Jusqu’aujourd’hui, c’est sa descendance qui assume cette haute fonction. De même, parmi les sommités qui ont fréquenté en leur temps la Mosquée de Timbo figurent, en tant qu’hôtes des Almamis, le célèbre Al Hadj Umar Tall et le Saint Karamoko Qoutoubou, respectivement fondateurs de Dinguiraye et de Touba.

Les illustres lettrés du Fuuta comme Thierno Samba Mombéya, Thierno Sadou Dalen, Saykou Soûnoûnou Mâci … dont les avis étaient souvent requis par les Almamis au sujet des affaires délicates du pays, ont aussi fréquenté la Mosquée de Timbo.

C’est avec une immense joie que la collectivité du Timbo se prépare à inaugurer la « Mosquée Karamoko Alpha », rénovée et modernisée grâce à la contribution de tous les ayants droit. Comme cela a été souligné à l’occasion de la pose de la première pierre, si elle peut en prendre l’initiative, elle ne peut passer aux actes qu’après avoir fait part à tous ceux qui y ont droit : les frères du Fuuta qui sont des cohéritiers, les alliés traditionnels en islam, les autorités du pays et tous les musulmans à l’intérieur comme à l’extérieur de la Guinée. En effet, comme son histoire sommairement retracée le montre, la

Mosquée de Timbo est partie intégrante du patrimoine national : elle n’est pas la propriété des seuls fils du Timbo, elle est un bien spirituel commun à tous les fils du Fuuta, à leurs alliés traditionnels en islam, à tous les musulmans de Guinée, à tous les musulmans d’Afrique et du monde. Mieux, en tant que patrimoine national, elle est l’héritage de tous les Guinéens.

Que chacun y prenne la part qui lui revient.

Ceci dit, le Haut Conseil des Anciens du Timbo et l’Association pour le Développement du Timbo ont le plaisir de présenter à tous les ayants droit ci-dessus nommés, une description technique de la nouvelle Mosquée de Timbo.

ALMAMI SORI MAWDHO 1720-25 ( ?) – 1792

Dans le mausolée inauguré le 20 avril 2001, repose à jamais l’illustre Almami Sori, décédé en 1792 à Labé, où il était venu présenter les condoléances du Fuuta à la famille de Karamoko Alpha mo Labé, dont le fils, le Chef du Diwal de Labé, Alpha Mamadou Dian, avait été mortellement blessé au cours d’une expédition.

La vie et l’œuvre d’Almami Sory Mawdho nous sont restitués par la magie du verbe des chroniqueurs traditionalistes gardiens jaloux de notre patrimoine. Dans cette abondante moisson de repères que retenir ?

Almami Sori Mawdho serait né, probablement vers le début du XVIIIème siècle et décédé courant 1792, en tout cas avant le passage de la mission Watt et Winterbottom en 1794, puisque c’est son fils et successeur, l’Almami Sadou, que cette mission a trouvé à Timbo. Il est l’un des plus jeunes des nombreux enfants de Maliki. Dès sa tendre enfance, il est confié à son cousin Alpha Ibrahima Sambégou, le futur Karamoko Alpha mo Timbo qui, en plus de sa qualité de doyen d’âge, est déjà célèbre pour son instruction.

Sa soumission et son dévouement, ainsi que son souci d’être toujours agréable à son maître és sciences coraniques, sont certainement à l’origine de la baraka dont il est crédité par la tradition et qui explique les importants succès qu’il a remportés au cours de sa vie pour lui et sa descendance.

Toujours selon la tradition, le futur Sori Mawdho, alors qu’il vivait encore avec son cousin, est l’homme qui provoqua l’incident qui servit de casus belli aux animistes qui décidèrent en conséquence d’entrer en guerre contre les musulmans jugés envahisseurs.

Cet incident est bien connu : Ibrahima Yéro Pathé, musulman convaincu qu’il était, ne supportait plus les cérémonies bruyantes de danses au tamtam organisées quotidiennement par leurs voisins animistes. Un jour, surprenant ces libertins en pleine cérémonie, il fait irruption dans le cercle, sabre à la main, déchire plusieurs tam-tams et prend la fuite. Depuis ce jour, du côté des masulmans comme de celui des animistes, on se prépare à la guerre ouverte. Et ce fut le début de la guerre sainte dont l’issue permit la création de la théocratie du Fouta Jaloo.

C’est dire que dès le début, Almami Sori Mawdho s’est inscrit en acteur principal de l’événement politique majeur qui a changé le visage de cette région de l’Afrique Occidentale, à partir du XVIIIème siècle. Toutes les sources attestent que l’homme qui précipita le déclenchement de la guerre sainte fut aussi l’un des plus actifs artisans de la victoire des musulmans.

Sur tous les champs de bataille, il attira l’attention par sa bravoure, s’imposant naturellement comme l’un des généraux les plus valeureux de l’armée des musulmans.

Lorsque les raisons de santé empêchèrent son cousin et maître d’exercer ses hautes fonctions de Chef Suprême de l’Etat théocratique du Fouta Jaloo, vers le milieu du XVIIIème siècle, sa désignation comme successeur, au titre de Régent, en attendant la majorité du fils aîné l’héritier constitutionnel, se fit à l’unanimité.

Après quelques années de régence marquées par de nombreux et importants succès, tant au plan militaire que dans les autres domaines économiques, politiques et religieux, Almami Sori Mawdho cédera la place à Alpha Saliou, qui avait atteint l’âge de la majorité. Mais celui-ci n’ayant pu résister à l’agressivité croissante des chefferies animistes voisines, le Conseil des Anciens fut de nouveau contraint de rappeler à la tête de l’Etat Almami Sori, le Général valeureux et intrépide, véritable fer de lance de la guerre sainte au Fouta Jaloo.

Alors commence une autre épopée, celle de la guerre pour l’extension du territoire du Fouta théocratique, celle de la réorganisation de l’Etat et de la réforme des institutions.

En effet, la survie de la théocratie était mise en danger par une invasion armée dirigée par deux puissants chefs animistes de la région. Timbo, la capitale, et une bonne partie du territoire du Fouta étaient occupées par les armées ennemies. L’Almami Sori, en stratège averti, réorganise l’armée du Fuuta et lance une contre offensive victorieuse au cours de laquelle les ennemis furent battus à plate couture à la célèbre batille de Siragourè, près de Fougoumba.

Selon plusieurs sources, cette bataille mémorable, qui semble avoir eu lieu vers 1776, marque l’échec définitif des animistes de la région dans leur volonté de remettre en cause l’existence de la Théocratie. Ce qui permit aussi à l’Almami de réorganiser l’Etat et d’engager de profondes réformes dont notamment le transfert du siège de l’Exécutif Fédéral à Timbo, laissant à Fougoumba ses fonctions de siège du Grand Conseil Fédéral et de lieu de couronnement des Almami.

Cette réforme a eu notamment pour résultat de rendre l’Etat Central plus fort et plus apte à faire face aux exigences de la guerre sainte.

A la fin du XVIIIème siècle, le territoire de la théocratie s’étendait bien au-delà de son berceau et l’Etat, devenu une véritable puissance régionale, pouvait compter plus d’une vingtaine de Chefferies autour de lui qui lui payaient tribut. Ainsi au cours de ce second mandat, qui ne connaîtra de terme qu’avec sa mort, l’Almami Sori s’illustra, une fois de plus, par ses talents de guerrier intrépide et par ses qualités de stratège.

En ce qui concerne sa descendance, qui formera le clan SORIYA, la tradition lui attribue au moins une cinquantaine d’enfants mâles parmi lesquels plusieurs accédèrent à la dignité d’Almami, comme notamment Almami Sadou, Almami Abdoul

Qâdirou, Almami Yahya. Après ceux-ci, ce fut successivement le tour de deux de ses petits enfants (enfants d’Almami, Abdoul Qâdirou), à savoir :

  • L’Almami Oumar (vainqueur de Djankè Wâli Sanè, Chef du Gabou, en 1867, et sous le règne duquel le Fouta connut sa plus grande extension territoriale) et l’Almami Ibrahima Sori Donghol Fela.

Enfin, parmi ses arrières petits enfants, il faut citer le célèbre Almami Bocar Biro (un des nombreux enfants d’Almami Oumar et le dernier Almami du Fuuta Théocratique) et l’Almami Sori Yilili (Fils de Modi Siddi Tèrè et petit-fils d’Almami Sadou).

Les trois derniers Almami de sa descendance sont : Almami Baba Alimou, Almami Bocar Biro « Konsondougou » et Almami Aguibou « Dabola », tous enfants d’Almami Sori Yilili. Est-il besoin de rappeler les circonstances qui ont conduit l’Almami du

Fouta à Labé où il décéda ? C’est au cours d’une expédition conduite par l’Almami Sori Mawdho, que le Chef du Diwal de Labé, Alpha Mamadou Dian, fils de Alpha Mamadou Cellou, dit Karamolo Alpha mo Labé, y trouva la mort. Il sera enterré à une douzaine de kilomètres de Timbo. Au lieu de dépêcher à Labé une délégation composée d’autres chefs de Diwé, pour les condoléances d’usage, l’Almami a tenu à marquer son amitié pour le Chef du Diwal de Labé, en s’y rendant personnellement.

Au 7ème jour de son séjour à Labé, Almami Sori Mawdho, y décède. Et depuis, au nom de cette amitié, la tombe de Almami Sori Mawdho Sori le Grand, a toujours fait l’objet d’entretien et de vénération de la part de la descendance du Chef du Diwal de Labé, Alpha Mamadou Dian. Le rôle central, prépondérant, et même vital qu’il a joué dans la création et la consolidation de la Théocratie du Fouta Jaloo lui a valu la reconnaissance des représentants de l’Etat. Ceux-ci, en majorité, lui concédèrent, tout au moins dans les faits, les mêmes droits que son maître Karamolo Alpha, l’élu de première heure du Fouta tout entier. Aussi, le nom qui est resté pour le désigner, à savoir « Almami SORI LE GRAND » est suffisamment éloquent pour traduire l’image qu’il a laissée à la postérité.

  • Le cimetière colonial où furent enterrés des français dont on n’a pas rapatriés les corps en France.
  • « Koudèko», la chaîne de montagnes qui surplombe le village, comme une sorte de rempart du côté Sud-Est
  • Talansan, dans le village de Sokotoro, au bord du fleuve Bafing, situé à près de 12 km de Timbo ; ce lieu est resté célèbre à cause de l’historique bataille, qui avait été conjointement menée par Karamoko Alpha et Almamy Sory Maoudho, avec l’appui des grands érudits du Fouta et de leurs alliés contre les idolâtres païens.

Appel des filles et fils du Timbo à l’unité nationale

Haut Conseil des Anciens du Timbo

Association pour le Développement du Timbo (ADT), à l’occasion de l’inauguration de la Mosquée rénovée Karamoko Alpha mo TTimbo :

L’inauguration de la Mosquée rénovée Karamoko Alpha mo Timbo offre l’excellente opportunité aux filles et fils du Timbo d’appeler tous les Guinéens à l’unité autour de ce patrimoine culturel commun.

En effet, dans un document précédent, intitulé Historique de la Mosquée karamoko Alpha mo Timbo, produit à l’occasion de la pose de la première pierre de sa reconstruction, il a été mis en évidence que cette célèbre mosquée est un bien spirituel commun à tous les fils du Fouta Djallon, à leurs alliés traditionnels en Islam, à tous les musulmans de Guinée, voire d’Afrique et du monde. Mieux, en tant que patrimoine national, elle est l’héritage de tous les Guinéens sans discrimination de religion ou d’ethnie.

Aujourd’hui, plus que jamais, la part prise à cette œuvre fructueuse de reconstruction par tous les ayants droit, et en particulier par l’Etat guinéen, invite à la fraternité, à l’unité, au pardon et à la solidarité de toutes les composantes de la nation.

Comme on va le voir, c’est dans l’histoire même du Fouta Djallon et de la Guinée que se trouvent les raisons qui appellent à cette unité.

Impératif d’unité au sein de la famille du Timbo

On se souvient encore du grand sacrifice organisé par les filles et fils du Timbo, le 29 décembre 1995. Ce sacrifice était dédié à la mémoire de leurs ancêtres pour leur paix et leur salut par la grâce de DIEU LE TOUT PUISSANT, afin que lesdits fils puissent resserrer davantage leurs liens de fraternité. En effet, malgré le riche patrimoine hérité du Fouta théocratique, les hasards de l’histoire ont conduit Timbo à se diviser en deux camps politiques, les Alphaya et les Soriya ; division qui a eu ses répercussions sur les autres provinces, mettant à rude épreuve l’unité dans les familles régnantes du pays.

Cette division a eu pour origine, une crise de succession que l’Etat fédéral du Fouta Djallon a connue vers la fin du XVIIIè siècle, après la disparition des pères fondateurs de la théocratie que sont Karamoko Alpha et Almami Sori Mawdho.

Il convient de préciser que le premier de ces pères fondateurs est l’instigateur en chef du djihad, le principal organisateur des premières victoires qui ont permis la création de la théocratie. Alors que le second, cousin du premier et, en même temps son disciple et généralissime de son armée, est son successeur en qualité de régent, en attendant la majorité de l’héritier légitime. Précisons que Karamoko Alpha et Almami Sori Mawdho sont respectivement fils de Mama Nouhou et de Mama Malick, eux-mêmes frères ayant pour père Alpha Kikala, descendant de Fodé Seydi, l’ancêtre des Seydiyanké .

Almami Sori Mawdho a pris la succession de Karamoko Alpha alors que l’Etat du Fouta Djallon était encore fragile, menacé de toutes parts par les peuples voisins demeurés animistes. Il a eu le mérite de consolider l’Etat à l’intérieur en créant un pouvoir central fort et, vis-à-vis de l’extérieur, de faire reculer ses frontières au-delà de son berceau, grâce à une politique vigoureuse qui a permis de conjurer les périls venant des voisins hostiles. Finalement, il a réussi à imposer le Fouta Djallon comme une puissance régionale redoutée et respectée dans toute la Sénégambie. Après sa disparition, certains n’ont voulu reconnaître le droit de succession qu’aux descendants de Karamoko Alpha, comme le prévoyait la Constitution initiale. Ces « légitimistes » ont fini par être appelés Alphaya. D’autres ont pensé que l’œuvre accomplie par l’Amami Sori Mawdho mérite reconnaissance et ont apporté leur soutien à la prétention de ses descendants. Ce courant de partisans a été appelé par l’opinion, Soriya, du nom de l’Almami Sori dont il défend les droits.

Toute la première moitié du XIXè siècle a été dominée par les luttes fratricides entre ces deux camps, chacun cherchant à imposer ses vues par la force des armes, faute d’entente. A ce sujet, on ne doit pas taire les réactions de désapprobation qui se sont manifestées dès cette époque, y compris dans les rangs des principaux protagonistes.

En effet, on a vu Alpha Saliou, l’héritier direct du grand Karamoko Alpha, pris de remords à la suite de ce genre de scène horrible à laquelle il s’est retrouvé mêlé, décider de renoncer à jamais, pour lui et ses descendants, à la « couronne » qui lui revenait de droit.

De même, les Anciens de Timbo et ceux du Fouta ne sont pas restés les bras croisés devant ces dérapages. Après de nombreuses et longues concertations, ils ont adopté un compromis constitutionnel, en acceptant le principe de deux Almami à la tête de la fédération : l’un Alphaya, l’autre, Soriya, régnant alternativement pendant deux ans.

Mais ce compromis original de partage du pouvoir qu’on a tenté d’imposer très tôt, n’a pratiquement pas été respecté avant le milieu du XIXè siècle. C’est cette attitude de la classe dirigeante que des lettrés de la Cour de Timbo ont désapprouvé, à leur tour, en la boudant pour aller appuyer des rebellions populaires dans le Baylo-Fitaba, au Sud-Est de la capitale. Il s’agit là de l’origine du mouvement de dissidence connu sous le nom de « Houbbou » dont l’hostilité à l’égard des Almami a conduit à la sécession des territoires occupés par les rebelles.

Poussés très probablement par la nécessité de s’unir pour faire face à cette rébellion, qui risquait de faire tâche d’huile, les Almami se sont pliés au compromis constitutionnel prévu et, de ce fait, une ère d’entente a régné, fort heureusement, du milieu du XIXè siècle à la veille de la conquête coloniale. Néanmoins les contradictions internes ont ressurgi au cours de la dernière décennie du même siècle, à l’occasion d’une crise de succession à la tête de l’Etat. On sait que ce réveil des contradictions internes a notoirement facilité la tâche aux conquérants français qui ont exploité à fond ces contradictions pour atteindre leurs objectifs de conquête.

Mais faut-il en rester à cette situation où la haine avait chassé la fraternité dans les rapports au sein de la famille, au point que le terme de « baba-goto » , surtout dans les familles princières, était devenu synonyme d’ennemi quasiment mortel ?

La raison et le bon sens commandent de dire non

C’est ce que les fils et filles du Timbo ont compris, en organisant le grand sacrifice de décembre 1995, qui a scellé le pardon et la réconciliation entre eux, en vue du resserrement de leurs liens de fraternité.

La main tendue des filles et fils du Timbo à leurs frères du Fouta Djallon autour de l’héritage culturel commun

En resserrant leurs liens de fraternité, les filles et fils du Timbo ne peuvent pas ne pas penser à leurs frères du Fouta Djallon avec lesquels ils sont les cohéritiers du riche patrimoine culturel et historique fécondé dans cet Etat précolonial ouest- africain.

On sait que cet Etat est le résultat d’une entreprise religieuse commune qui a grandement contribué à faire de l’islam, la religion de l’écrasante majorité des populations de la Guinée et de l’Afrique de l’Ouest. Il est bien connu aussi que cet Etat et la société qui lui correspond sont d’une organisation remarquable, avec des structures solidement hiérarchisées. Cette qualité souligne tout le mérite des initiateurs de cette entreprise, en matière de foi, de savoir-faire organisationnel, d’initiatives politiques, militaires et diplomatiques. Ces initiateurs ne sont autres que les pères fondateurs de cet Etat fédéral de neuf provinces (ou « diwé ») et leurs successeurs.

En guise d’illustration du riche patrimoine hérité de cet Etat, évoquons un seul aspect, celui qui a fait du Fouta Djallon un centre de promotion et de rayonnement de la culture islamique ayant attiré l’attention et la sympathie de tous les foyers homologues de l’Afrique de l’Ouest au cours du XIXè siècle. A cette époque, le rêve de tous les grands érudits musulmans de la région était de visiter le Fouta Djallon afin d’y compléter leur formation par un échange fructueux avec leurs homologues trouvés sur place. C’est à ce titre, pour donner un exemple, que le célèbre Al Hadj Oumar Tall a effectué plusieurs séjours au Fouta Djallon avant de fonder l’empire qui porte son nom, à partir de Dinguiraye, lieu de résidence que lui avaient attribué les Almami de Timbo.

Parmi les Centres islamiques de renom qu’il a trouvés dans le pays, et qui l’ont impressionné, il convient de citer  : Koula, Zâwiya, Dalen, Mombéya, Bassara, Dâra-Labé, Toûbâ, Mâci, Kolen, …, qui étaient de véritables universités islamiques, animées par des lettrés illustres comme Thierno Sadou Dalein, Thierno Samba Mombéya, Thierno Boubacar Poti de Lélouma. L’administrateur colonial français, Paul MARTY, arabophone et spécialiste de questions musulmanes de l’ancienne A.O.F., décrit bien ces universités avec leurs riches bibliothèques et leurs lettrés, dans son livre Islam en Guinée,

Fouta-Djallon, publié au début des années 1920. L’histoire retient comme de vrais savants en Islam, outre ceux cités plus haut, les noms de Thierno Soûnoûnou Mâci, Karamokoba et Karamoko Koutoubou de Toûbâ, Thierno Imrana Thioro du Kollâdhè, Thierno Aliou Bhoûbha Ndiang de Labé, Chaïkhou Mouhammadou Louda de Dalaba, …, qui ont pour la plupart laissé des œuvres à la postérité. Tels sont les cas de Thierno Boubacar Poti avec son Qantara, un vrai traité d’astronomie,

et surtout Thierno Samba Mombéya avec son Ôgirdè Malal (ou Le filon du bonheur éternel, traduit, commenté et publié par le Professeur Alpha ibrahima Sow). Thierno Samba est assurément l’un des plus grands. Il est considéré comme le père de la littérature écrite islamo-peule, depuis qu’il a eu l’initiative de promouvoir, à côté de l’Arabe, l’utilisation de la langue du terroir, le Poular, comme langue d’enseignement et de vulgarisation des préceptes de l’islam, afin d’en instruire plus efficacement le commun du peuple. Cette initiative a eu comme heureux effet, entre autres, d’élever le Poular au rang de langue littéraire écrite, largement usitée; de sorte que le Fouta Djallon a fait partie des foyers islamiques d’Afrique subsaharienne où l’islamisation s’est accompagnée du développement d’une littérature écrite d’expression locale.

A l’occasion de l’inauguration de la Mosquée rénovée Karamoko Alpha mo Timbo, patrimoine culturel commun, les filles et fils du Timbo, unis, appellent leurs frères du Fouta Djallon de toutes les ethnies, autour de cet héritage qui est commun pour rebâtir une unité plus vaste.

En effet, on ne dira jamais assez que le Fouta théocratique est le résultat d’une entreprise concertée de tous les musulmans du pays. Après la victoire, c’est par consensus que Karamoko Alpha de Timbo a été choisi comme chef suprême et héréditaire du nouvel Etat en raison de certaines qualités qu’il réunissait. Il le fut donc en vertu d’un choix volontaire de ses égaux des huit autres provinces, et parce que dans toute entreprise de ce type, qui se veut efficace, il faut un chef. Et d’ailleurs, tout le monde était conscient du fait qu’il s’agissait d’un partage de rôles dans une entreprise commencée ensemble, poursuivie ensemble pour le triomphe durable de l’Islam contre l’animisme. Dans la nouvelle organisation, chaque chef de diwal était maître de sa province tant qu’il s’agissait de ses affaires internes ; le chef suprême, tout en gouvernant sa propre province, TIMBO, et rien qu’elle, s’occupait des affaires communes à toutes. Le système politique établi, très soucieux de son équilibre, a fait en sorte que chaque chef de province puisse bénéficier d’attributions et de prérogatives bien définies à l’échelle de la fédération. En tout cas, tout a été fait pour que les uns aient leur sort lié à celui des autres dans une hiérarchie qui n’avait pas pour mission de faire dominer les uns par les autres. A cet égard, il n’est pas absolument certain qu’à toutes les périodes de l’histoire de l’Etat, ce principe d’égalité et de partage des rôles soit resté inviolé. Tout laisse croire qu’à la veille de la conquête coloniale, notamment, des malentendus et des erreurs avaient commencé à semer la division.

Les filles et fils du Timbo, en appelant leurs frères du Fouta à reconstruire l’unité, tiennent à affirmer leur ferme attachement à ce traditionnel principe d’égalité et de respect mutuel qui doit régir leurs rapports.

III. La main tendue des filles et fils du Timbo, unis à leurs frères du Fouta, aux autres frères de Guinée

En parlant des frères des autres régions de la Guinée, il est important, tout d’abord, d’apporter une précision historique : la guerre sainte déclenchée au Fouta Djallon est loin d’être une affaire de Peuls contre les autres ethnies, comme certains ont souvent voulu, pernicieusement, le faire croire. DIEU L’OMNISCIENT le sait et tous ceux qui sont bien avisés le savent, cette guerre a été déclenchée par les musulmans de toutes ethnies contre les animistes de tous bords. Parmi les musulmans, il y avait, en effet, des Peuls et des Mandingues, tandis que parmi les animistes, il a été compté d’autres Mandingues et Peuls, ceux-ci plus connus sous le nom de Poulis. On connaît jusqu’aux noms des leaders mandingues qui avaient fait cause commune avec ceux des Peuls à la célèbre bataille de Talansan, vers 1727-1728. Il s’agit, entre autres, de : Fodé Ishâqa Kâressi de Timbo-Dalaba, Fodé Abdourahmane de Koûrou, Fôdé Mahmoûdou Kali de Koûrou, Fôdé Ousmane de Koûrou, Fôdé Ahmadou de Sârè Bôwal, Fôdé Saliou de Dalato, près de Fougoumba. De même, tous les tarikhs du Fouta Djallon mentionnent parmi les chefs animistes qui ont le plus farouchement combattu les musulmans, les noms de Dian Yéro et de Yéro Yholo, qui sont manifestement des Peuls.

Ceux qui déforment l’histoire, le font souvent pour diviser afin d’atteindre des objectifs inavouables. Cela doit être refusé !

En plus, il faut préciser qu’au moment du déclenchement de la guerre sainte, d’autres communautés de la sous-région étaient déjà islamisées. Avec elles, le Fouta Djallon post Talansan a rapidement tissé des alliances. Tel a été le cas avec les communautés Maninka Mori du Bâtè, y compris, plus tard, avec leurs diasporas en Basse Guinée (Moriya, notamment).

Celles qui se sont islamisées un peu plus tard, notamment en Basse Guinée, ont noué avec le Fouta des relations fraternelles, spirituelles et matrimoniales, qui s’ajoutèrent aux relations économiques plus anciennes qui existaient déjà. En effet, des pactes d’amitié et des alliances de toutes sortes existent entre le Fouta Djallon et des communautés de Basse Guinée et de Haute Guinée. Il y a intérêt, pour la Guinée, à les découvrir, à les dépoussiérer et à honorer la volonté de nos ancêtres qui les ont contractés.

Les frères du Moriya savent très bien les liens très anciens qui unissent la Mosquée Karamoko Alpha mo Timbo et la mosquée-mère de Forécariah. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, combien d’entre eux descendent de Nén Ramatoulaye, une authentique fille de Timbo ? Ce nombre concerne tous les membres de la branche familiale dite « Ramata-Fodé ».

Quant aux autres frères de Basse Guinée, combien des leurs ont-ils effectué leur formation dans les écoles coraniques du Fouta, ou combien de maîtres originaires du Fouta en ont-ils accueilli chez eux pour leur formation ? Ils sont sans doute nombreux ! Cela veut dire que des relations culturelles et spirituelles unissent de longue date le Fouta Djallon et la Basse

Guinée ; relations qu’il serait profitable de cultiver et de valoriser dans l’intérêt de l’unité nationale. Pourquoi ne pas se mettre à l’école d’Alpha Yaya et de Dinah Salifou qui ont été des alliés ?

Le Rio Pongo n’a pas été conquis militairement par le Fouta. C’est librement, à la suite de démarches diplomatiques, que les chefs de ce territoire ont accepté les insignes du pouvoir musulman, offerts par l’Almami de Timbo, à savoir, la Tabala, le Turban et le Coran. Ce qui explique d’ailleurs les liens privilégiés qui ont existé entre le Fouta et le Rio Pongo.

Les bonnes relations, certaines datant de l’époque précoloniale, entre le Fouta d’une part, et le Khania, le Tabounsoun, le Kaloum/Kâporo, le Soumbouya/Wonkifong, etc., de l’autre, sont nombreuses. Certaines se sont concrétisées par des alliances matrimoniales. On connaît, en effet, des notables de Timbo et de Timbi qui ont leurs familles maternelles à Kâporo et à Dubréka.

S’agissant de nos frères en Islam de Haute Guinée, il est souhaitable qu’ils se rappellent plus souvent, car cela est très significatif, qu’à Kankan il existe des quartiers qui portent encore des noms de certains chefs-lieux de province du Fouta Djallon, tels Timbo et Fougoumba, en souvenir d’un séjour effectué fraternellement dans ces provinces par des fils du Batè, alors troublé par des invasions animistes. Parmi les visiteurs du Fouta, l’histoire a noté les cas illustres d’Alpha Kabiné

Kaba et d’Alkaly Chérif. Il convient aussi de mentionner que nos frères du Oulada se sont établis dans cette contrée, en accord avec les autorités du Fouta Djallon, entrées en partenariat avec eux pour le triomphe de l’islam dans la région. Ils le savent et sont conscients de faire partie des plus proches alliés du Fouta théocratique.

Plus récemment, les relations qui ont existé entre le Fouta Djallon et l’Almami Samori, dont l’empire incluait la Guinée forestière, ont été exemplaires à plus d’un titre. Elles se sont concrétisées par des pactes d’amitié et de solidarité comme doivent le faire les frères en religion, et par des alliances qui ont visé à faire cause commune, y compris contre les envahisseurs européens.

On aurait tort de ne pas mentionner, en cette occasion solennelle, les relations fraternelles qui ont été tissées entre la grande famille KOUROUMA, celle des « KOLY » et leurs alliés, de Nzérékoré, et de nombreuses familles du Fouta Djallon, particulièrement celle de l’Almami Ibrahima Sori Dara de Mamou.

Sur un autre plan, nos langues portent le témoignage d’une coexistence ancienne, durable et pacifique des différentes communautés que nous sommes, à travers les emprunts réciproques que les unes ont faits aux autres. Les titres politico-religieux

« Alpha » et/ou « Almami » qu’on rencontre dans le Batè et en Basse Guinée (Moriya et Kakandi, notamment) sont typiquement originaires du Fouta Djallon, alors que les grades religieux « Fodé » et « Karamoko » qu’on rencontre au Fouta Djallon sont indiscutablement d’origine mandingue ! Noter, en effet, que Seydi et Séri dont il a été question plus haut, respectivement fondateurs de Timbo et de Fougoumba, portaient le titre de « Fodé » et que le premier chef du Fouta

Djallon théocratique s’appelait Karamoko Alpha, alors que l’un des patriarches les plus vénérés de Haute Guinée s’appelait Alpha Kabinè Kaba, etc.

Enfin, indépendamment de ces relations multiformes qu’il entretient avec ses voisins, il doit être remarqué et souligné que le Fouta Djallon théocratique n’a jamais fonctionné à l’interne comme une société mono ethnique. Outre l’ethnie majoritaire, son organisation et son fonctionnement intègrent toutes ses autres composantes de statut libre, avec le souci évident de respecter la dignité de chacune. Ainsi, il est bien connu, à titre d’exemple, que lorsque tout le Fouta réuni, a à partager un bien ou un service, les Djakankés et les Sarakollés ont leur part avec la province de Labé, alors que les Malinkés et les Soussous ont les leurs, respectivement avec la province de Timbo et celle de Timbi .

Que dire donc, après toutes ces preuves de savoir- vivre ensemble, sinon qu’il existe une base solide pour cultiver des relations fraternelles et amicales entre les Guinéens ? Les filles et fils du Timbo, unis à leurs frères du Fouta, heureux et reconnaissants pour le soutien reçu dans l’effort de reconstruction de la Mosquée Karamoko Alpha mo Timbo, appellent tous les Guinéens à l’unité pour le bien de tous, pour le bien de notre pays, la Guinée, qu’il nous appartient de construire.

En guise de conclusion, il semble utile de rappeler une anecdote riche de signification philosophique. A l’occasion de l’Assemblée de Timbi Tounni qui a consacré la création de la Fédération du Fouta Djallon , les neuf lettrés, leaders du djihad se sont retrouvés une nuit autour d’un plat de riz, dans une case peu éclairée. Leur hôte y avait placé, à dessein, un seul morceau de viande. A la fin du repas, il a été constaté que chacun des convives s’était abstenu de manger ce morceau par souci de ne pas léser son voisin.

La leçon qu’on en a tirée est que désormais chacun des neuf compagnons se souciait du bien-être des autres ; chacun voulait pour les autres, ce qu’il voulait pour lui-même  ! Ce sont cette confiance réciproque et cette solidarité réelle, fondées sur la fraternité de foi et de destin, qui ont permis la création et le rayonnement de l’Etat théocratique du Fouta Djallon.

N’est-ce pas là une belle leçon pour tous les Guinéens, héritiers de ce riche patrimoine commun ?

Ces valeurs, qui, hier, ont guidé les hauts faits de nos ancêtres pour unir le destin des principales communautés qui ont fondé la Guinée d’aujourd’hui, à travers des relations fécondes, relations religieuses, sociales, culturelles et économiques, nous interpellent tous.

Pour y répondre, il est souhaitable que tous les fils et filles de Guinée acceptent de se ressourcer dans ce riche patrimoine commun afin d’en tirer les vertus et valeurs qui ont permis à nos communautés d’écrire les belles pages de cette glorieuse histoire.

Par le Pr. Ismaël Barry, Directeur de l’École Doctorale en Sciences Humaines et Sociales, Université GLC de Sonfonia, Conakry

 

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