Procès d’Ousmane Gaoual : une instrumentalisation politique de la justice (par El Béchir)

Ousmane Gaoual Diallo, député UFDGLibre Opinion : Le report du procès de Bonoorou Gawal au 10 août vise à placer l’opposition dans un dilemme. Soit elle maintient sa marche sur l’autoroute ce jour-là, alors ses leaders ne pourront pas accompagner le prévenu au tribunal et il ne pourra pas haranguer la foule sur la terrasse du stade du 28-Septembre et enflammer davantage les esprits contre le pouvoir et ses faucons, sulfureux comme il est. Et tout seul devant ses juges, ceux-ci auront tôt fait de le condamner et faire enfermer sur l’heure à la maison centrale. Soit l’opposition reporte à nouveau sa marche pour accompagner Bonoorou Gawal au tribunal, faire pression sur la cour et l’amener à prononcer un non-lieu ou un nouveau report du procès. Vu le double enjeu politique et judiciaire, la cour renverra le procès exactement à la nouvelle date que choisira l’opposition pour sa marche.

Finalement, l’objectif visé par le pouvoir central et sa justice instrumentalisée est d’entrer dans un chassé-croisé avec l’opposition en faisant sans cesse diversion. Jamais Alpha Condé et son sérail n’ont autant redouté une manifestation contre leur gouvernance. Et ce, pour trois raisons.

Primo, le pays va à vau-l’eau, la paupérisation est passée du trot au galop de 2011 à aujourd’hui.

Elle touche toutes les classes sociales (les pauvres mais aussi les classes moyennes et les riches). Les investisseurs étrangers sérieux voient la Guinée comme une calamité, la croissance est devenue négative (Ebola a bon dos), le revenu journalier moyen du Guinéen est tombé à 3 000 francs alors qu’un simple plat de riz coûte 5 000 francs. Donc, le Guinéen moyen ne peut s’offrir qu’un repas ordinaire tous les deux jours.

Deuxio, Alpha Condé,  comme un président embrouillé par un mauvais sort, s’est arrangé pour s’aliéner son parti, ses caciques et ses militants en leur lançant par plusieurs fois des vertes et des pas mûres. Il a toujours besoin de s’opposer à quelqu’un et finalement il est devenu son propre opposant. Car en temps de paix, le belliqueux fait la guerre à lui-même. Alpha Condé a ainsi scié la branche sur laquelle il était confortablement assis. Et, comble de catastrophe, pour la première fois dans l’histoire politique guinéenne, Boulbinet, le kilomètre-zéro de la république, l’éternel bastion du pouvoir en place, a déployé cette semaine une banderole disant « À bas Alpha Condé ». Moralité: le pouvoir n’a plus d’assise, il est rejeté par le ban et l’arrière-ban. Tout le monde est fatigué de son incapacité et de sa propension à donner dans l’occupationnel, le cosmétique, le saupoudrage et l’enfumage des esprits (« on a TOUT compris » et on a TOUS compris: woulé bara gnon ! ).

Tertio, l’opposition marchera sur l’autoroute Fidel Castro Ruz. Pour la première fois depuis 2011, Kaloum, Colea, La SIG, Dabondi, Gbessia et Matoto seront avec l’Axe pour désavouer ensemble Alpha Condé et ses apparatchiks. Leurs oreilles vont siffler, car ça promet du monde.

Le plus embêtant pour les sicaires, c’est qu’ils ne pourront pas réprimer la marche, les méthodes habituelles ne pourront être appliquées. Comment s’y prennent-ils d’habitude ?

Après avoir vainement interdit une manifestation, ils finissent par l’autoriser mais seulement sur la route Leprince. Le jour dit, on coupe toutes les transversales par des bouchons d’agents armés jusqu’aux dents pour empêcher les « autres » de rejoindre les manifestants de l’axe Bambeto-Coza. Ceux-ci sont dès lors quasiment réduits aux militants de l’UFDG. Arrivés au niveau de l’ancien siège du RPG, à Hamdallaye, ils sont accueillis par une pluie de pierres lancées de l’intérieur. Quand celle-ci s’arrête, la foule en débandade revient, ramasse les pierres éparpillées et les retourne aux envoyeurs. Et voilà ce qu’attend le cordon de sécurité installé devant le siège pour tirer dans le tas à balles réelles et tuer quelques manifestants: 3 ou 4, pas plus, pour ne pas tomber sous le coup de la justice internationale. Le soir, la RTG, qui a filmé les jets de pierres, ne montre que la riposte des manifestants pour faire croire à une provocation de leur part et à une légitime défense des forces de sécurité. Et on pousse le cynisme jusqu’à dire que celles-ci n’étaient pas armées: c’est toujours l’opposition qui infiltre des tueurs dans la manif pour discréditer le régime. C’est par ce stratagème que le pouvoir d’Alpha Condé a tué une soixantaine de jeunes et d’enfants en 5 ans en toute impunité.

Alors question à Fatou Bensouda (vous qui aviez curieusement menacé de poursuite tout leader politique guinéen qui demanderait à ses électeurs de descendre dans la rue pour contester pacifiquement les résultats de l’incroyable élection présidentielle de 2015, au lieu de mettre plutôt en garde quiconque chercherait à tuer ces manifestants): Mme la Procureure de la CPI, si un régime tue 60 jeunes manifestants aux mains nues en 5 ans, ces crimes ne sont-ils pas juridiquement aussi graves et poursuivables que s’ils avaient été commis en un seul jour ? Faut-il commettre un tel massacre en une seule manifestation pour que vous preniez vos responsabilités ? Les Guinéens voudraient bien connaître votre réponse, au risque de vous croire complice d’un dictateur et de ses assassins.

En tout état de cause, le régime guinéen aux abois entend l’hallali. Il craint que la prochaine marche de l’opposition généralisée ne soit le début d’une révolution et il sait  déjà que toute tentative de la réprimer (comme toutes celles de l’Axe) serait dangereuse et pourrait se retourner  contre lui. Car, en Guinée, on ne tue pas impunément des Soussous ou des Malinké pour des motifs politiques. Seuls les Peuls et les Forestiers sont des gibiers de potence dans ce pays. Leur meurtre est toujours rangé parmi les chiens écrasés.

Ousmane Gaoual n’a pas fait outrage au chef de l’État mais à celui qui s’obstine à être un chef de parti, au mépris de la Constitution. Et si l’État n’assure pas la sécurité des citoyens, l’inclination à l’autodéfense devient forte. Et si elle se systématise, c’est le chaos.

El Béchir

 

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