Dictionnaire des mots grammaticaux et des dérivatifs du peul, c’est le titre de l’ouvrage incontournable et d’une grande originalité du Professeur Aliou Mohamadou, publié chez Karthala en février 2015. L’auteur y avait publié en 2012, Le verbe en peul (réédité en 2014), un autre magnifique ouvrage que nous évoquerons plus loin dans cet article.
Dans ce dictionnaire de 214 pages, l’auteur traite un sujet difficile et délicat : approcher la lexicographie et la grammaire sous un nouvel angle. La langue peule déjà riche de plusieurs dictionnaires et lexiques à caractère encyclopédique, vient s’enrichir de ce nouveau dictionnaire de lexicographie portant uniquement sur la grammaire.
Il ne s’agit pas de dictionnaire peul de mots grammaticaux, au sens où on chercherait à trouver comment cette langue exprime les notions grammaticales ; il ne s’agit pas non plus de dictionnaire linguistique peule qui porterait sur les concepts grammaticaux (accompli, inaccompli etc.).
Les 368 mots grammaticaux du dictionnaire méritent une attention particulière, et l’approche du Professeur Aliou Mohamadou est innovante. Il s’agit de répertorier les affixes et mots grammaticaux dans un dictionnaire spécifique pour une meilleure compréhension de la langue, aussi bien dans les nuances de l’oral que dans la précision de l’écrit.
Ainsi, l’ouvrage propose une analyse plus approfondie des morphèmes de la langue qui ont un statut grammatical (dérivatifs, prépositions, conjonctions, pronoms, démonstratifs etc.). En effet, ce sont des éléments qui représentent à eux seuls la moitié d’un discours en peul, et qui méritent donc qu’on s’y attarde.
Le dictionnaire est rédigé à partir d’un corpus de plusieurs textes provenant de l’une des principales variantes dialectales du peul, le pulaar du Fuuta-Tooro (Sénégal, Mauritanie et ouest du Mali).
Le lecteur trouvera pour chacune des unités faisant l’objet d’un article : a) une indication sur sa catégorie grammaticale ;b) une glose décrivant succinctement ses caractéristiques formelles (étymologie, orthographe, variantes…) et ses propriétés morphosyntaxiques ; ses différents sens et emplois ; d) plusieurs exemples – expressions, locutions et citations. Sont également signalées les variantes éventuelles d’un mot et les données connexes (synonymes, éléments appartenant à une même sous-catégorie et les dérivés d’un même radical).
Le Professeur Aliou Mohamadou s’est intéressé à ces unités, en cherchant à mettre cet outil indispensable à la disposition des chercheurs et du public poularophone de plus en plus nombreux. Sa position de professeur chercheur en langue peule à l’INALCO (Institut National de Langues et Civilisations Orientales), son implication dans plusieurs travaux scientifiques et académiques et le fait d’avoir eu à éditer de nombreux textes d’auteurs peuls l’ont conforté dans ce choix. Car aujourd’hui plus que jamais, les usagers de la langue ont besoin d’outils de référence à leur portée.
Le manuscrit, déposé à la francophonie, a reçu la distinction Marcel Kadima 2015, un prix attribué par cette organisation internationale pour récompenser la meilleure œuvre en langue africaine et créole.
Dans ce livre, l’auteur n’a pas la prétention de présenter un travail exhaustif ou achevé. C’est un jalon qu’il a posé et un projet qu’il mène et dont la visée est la description de la langue peule, de son vocabulaire, en partant des représentations régulières et communément partagées par les locuteurs de la langue. En un mot c’est un projet de grammaire et de dictionnaire qu’il mène et qu’il sait nécessaire aujourd’hui plus qu’hier.
Le livre du Professeur Aliou Mohamadou, « Le Verbe en peul », est un autre magnifique ouvrage, un « Bescherelle » en peul publié chez Karthala en 2013.
Dès sa sortie, ce livre de grammaire très complet a été une aubaine pour la langue peule et pour l’ensemble des poularophones travaillant dans des secteurs d’activités différents. C’est un livre très innovant et singulier, car il est à la fois académique et pédagogique.
Le verbe en peul se présente comme suit : après la présentation du constituant verbal, de ses formes et de ses conjugaisons, l’auteur présente les infinitifs et les différentes voix du verbe peul (la voix active, la voix moyenne et la voix passive). Après cette riche introduction, il s’attaque aux différents aspects temporels du verbe, ses accomplis, ses inaccomplis, les impératifs, les subjonctifs, les participes accomplis / inaccomplis, enfin un glossaire et une riche bibliographie de référence viennent clôturer le manuel, tout cela pour le plus grand bonheur du lecteur.
Dans les milieux journalistique et pédagogique, on se félicite de la parution de cette œuvre qui va combler un grand vide, et facilitera le travail de plus d’un.
A peine sorti, tout comme le Dictionnaire des mots grammaticaux, le livre a fait l’unanimité chez les critiques et a bénéficié du prix Marcel Kadima.
En effet, la parution de cet ouvrage coïncide avec la grande entrée du pular/fulfulde dans les NTIC. Le développement de cette langue africaine sur la toile est indéniable : on compte ainsi plus d’une vingtaine de sites en pular/fulfulde, avec une hausse constante de fréquentation. De plus, une centaine de groupes et de forums font la promotion de la langue et de la culture peule sur la toile, à travers les réseaux sociaux tels que Facebook dont certaines pages comptent plus de 200.000 fans. Facebook, ce réseau social qui compte plus d’un milliard et demi d’utilisateurs vient d’adopter le peul, première langue transfrontalière d’Afrique, comme sa 101ème langue d’utilisation.
Le verbe en peul vient enrichir la grande bibliothèque peule. Au même moment les publications dans cette langue se multiplient et s’intensifient un peu partout dans le monde.
Ainsi, en Guinée, au Sénégal, en Mauritanie, en Égypte, au Nigeria, aux Pays-Bas et en France, ce sont des dizaines de livres qui voient le jour chaque année. L’exemple de l’Égypte est très pertinent, dans ce pays, des étudiants, enseignent et éditent des livres depuis plus de 40 ans. Dans d’autres pays, comme aux Pays-Bas et en Belgique, il existe une trentaine de duɗe (enseignements traditionnels) où les enfants et les adultes viennent s’initier à la lecture et à l’écriture du peul.
Enfin en France, lieu de publication du livre du Professeur Aliou Mohamadou, depuis plus de 30 ans, les élèves ont la possibilité de choisir et présenter au baccalauréat, la langue peule en option. C’est également le seul pays au monde où il existe un établissement d’études supérieures qui propose après le Bac, des études qui intègrent le pular/fulfulde dans le cursus universitaire et délivre des diplômes nationaux de peul.
Le Verbe en peul apparaît alors comme une passerelle dans un contexte où la problématique de l’écriture est totalement résolue. Nous ne sommes plus à la révolue époque où le pular/fulfulde était juste une langue d’alphabétisation, il est entré dans la phase du pular langue études et langue de sciences. Rappelant ainsi les fleurissantes et fécondes époques du 18 et 19 ème siècle. Période pendant laquelle, ont vu le jour plusieurs centaines manuscrites au Fuuta Jaloo, à Toumbouctou et à Sokoto (Nigéria). Un intervalle qualifié par plusieurs spécialistes, comme l’âge d’or de langue peule.
Rappelons ici rapidement que l’écriture peule, après avoir hésité pendant plus d’un siècle entre le caractère arabe « adjami » et le caractère latin, a fini par adopter ce dernier, qui intègre des signes spécifiques au peul : Ɓɓ, Ɗɗ, Ŋŋ, Ƴƴ … Ce choix de caractère a été validé, à l’occasion du colloque international de Bamako, organisé du 28 février au 05 mars 1966, sous l’égide de l’UNESCO, avec le concours d’éminents professeurs et autres acteurs de la langue, tels que S. Exc. M. Amadou Hampathé Bah, Professeur Alfa Ibrahima Sow, M. David W. Arnott, Professeur P.F. Lacroix, Professeur Vincent Monteil, M. Oumar Ba… Depuis cette rencontre, le pular/fulfulde a eu un alphabet harmonisé, standardisé, généralisé et accepté comme seule référence partout dans le monde peul ; mettant ainsi fin à une sorte d’anarchie calligraphique qui régnait entre les poularisants.
Précisons que cette langue africaine transfrontalière est présente dans 23 pays d’Afrique, sans compter les pays d’immigration récente. Elle est parlée par plus de 70 millions de personnes à travers le monde. L’importance de la diaspora peule et sa présence sur les cinq continents, avec une forte concentration en Europe, aux USA, dans les pays arabes et tout récemment en Chine participent à l’essor de la langue. Ces locuteurs évoluant dans des univers culturels très différents, ressentent le besoin de recourir à leur langue maternelle pour garder contact avec les parents restés au pays. Ils ressentent aussi le même besoin de maîtriser la langue pour accéder à des manuscrits séculaires, à une littérature et à une presse de plus en plus abondantes et denses. Les nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC), les climats sociopolitiques dans certains pays d’Afrique où vivent les Peuls n’ont fait qu’intensifier et accroître ce besoin d’affirmation identitaire, et cette envie de revenir à la source, avec un vecteur de la culture qui est la langue.
Aujourd’hui cela se vérifie par ces innombrables associations militantes qui œuvrent pour la promotion de la langue et la culture peule, citons par exemple Tabital Pulaaku et ses trentaines de sections à travers le monde. Cela se vérifie également par l’expression plus marquée de la presse peule, par l’édition des livres et par l’utilisation de cette langue aussi bien sur les réseaux sociaux que dans l’envoi des mails et des messages téléphoniques (SMS). L’envie d’écrire en peul augmente considérablement ; écrire et parler correctement devient primordial pour les millions de personnes que constitue la communauté peule.
La parution de ces deux livres du Professeur Aliou Mohamadou n’ont fait qu’impulser cette nouvelle dynamique et ainsi ajouter de l’utile à l’agréable.
« … Aliou Mohamadou, professeur de peul à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO, Paris), membre de l’UMR 8135, Langage, langues et cultures d’Afrique noire (LLACAN, CNRS – INALCO), consacre ses recherches à l’étude sémantique de la classification nominale, à la morphologie verbale et à la lexicographie de la langue peule. Il a par ailleurs édité des textes de plusieurs auteurs de langue peule et d’autres langues africaines dans la revue Binndi e Jannde dont il est le fondateur.»
Tidiane Maloun BARRY