Massacre du 28 septembre 2009 : un orphelin écrit au chef de l’Etat pour réclamer justice

Excellence Monsieur le Président, il est du devoir de l’État de nous venir en aide soit à travers une prise en charge pour que mes frères et sœurs puissent bénéficier d’une éducation de qualité afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés… La reconnaissance de notre statut de victime par l’État guinéen est un droit et nous ne lasserons jamais de le réclamer jusqu’à son entière satisfaction », a notamment écrit Mamadou Baïlo Bah, orphelin d’un disparu des massacres du 28 Septembre 2009.

Ci-dessous, Guineematin.com vous propose la lettre ouverte de ce fils d’un disparu au président Alpha Condé :

À Son Excellence Monsieur le Président de la République de Guinée

Objet : Cri de détresse d’une victime des évènements du 28 Septembre 2009

Excellence Monsieur le Président,

Je viens par la présente solliciter votre implication personnelle dans la recherche de la vérité et  la justice pour les nombreuses victimes des massacres du 28 Septembre 2009 perpétrés par les forces de défense et de sécurité au stade de Conakry.

Depuis le lundi 28 septembre 2009, je mène une vie dans un pays où j’ai l’impression que l’oubli et le mépris avec lesquels nous victimes sont traitées me ressemblent à une double injustice.

Aujourd’hui, vous avez lancé le vaste chantier de la réconciliation nationale pour amener les guinéens à revisiter leur passé tout en l’assumant mais aussi à poser les bases dune société nouvelle qui repose sur le respect des droits humains, de l’égalité de tous devant la loi et du sentiment d’appartenir à un destin commun

Or, comment réaliser cet objectif si les victimes sont abandonnées à elles-mêmes et si elles ne sont pas écoutées ?

À ce jour, je puis vous dire que depuis la disparition de mon père au stade de Conakry, ma famille se bat pour que justice soit rendue, pour que triomphe la justice sur l’impunité, le droit sur l’arbitraire et la vérité sur le mensonge.

Malgré l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les crimes du 28 Septembre et les quelques inculpations obtenues dans ce dossier, nous, victimes attendons avec impatience la ténue d’un procès qui, à nos yeux paraît imminent parce qu’une Justice lente est comme un déni de Justice.

Excellence Monsieur le Président, près de huit (8) ans, nous attendons que cette Justice nous rétablisse dans nos droits et nul besoin de vous informer qu’à force de retarder ce dossier, les victimes meurent dans un silence de cimetière renforçant le scepticisme face aux discours de promesses du Ministre de la Justice. Pourtant la Justice, ce sont les actes et non les mots.

Aujourd’hui, comment espérer un procès au courant de cette année ? La réponse est entre vos mains car en tant que garant de l’État, seul un discours pris dans ce sens de votre part pourrait rassurer les victimes.

Convaincu de votre attachement au combat contre l’injustice, j’ose croire que vous serez à nos côtés avant la fin de votre mandat pour qu’un procès se tienne soit en Guinée ou à la Cour Pénale Internationale.

Les Crimes du 28 Septembre 2009 se sont passés à votre insu mais bon nombre de vos militants ont été touchés dans leur chair et des plus hauts responsables de votre parti ont fait les frais de cette barbarie que beaucoup ont qualifié de boucherie humaine.

Ce jour, 157 guinéens ont été tués, 82 disparus, 109 femmes violées, des milliers de blessés et des dizaines de boutiques pillées par les bérets rouge de l’armée guinéenne.

Tout ceci, à cause d’une manifestation qui se voulait pacifique et dont le message consistait à amener la junte militaire de l’époque à respecter ses engagements pris lors de la prise du pouvoir au lendemain du décès du Président Lansana Conté.

Comment de simples citoyens qui exprimait un droit pouvaient-ils faire l’objet de violences par ceux qui sont sensés les protéger ? Quelles en étaient les motivations ?

Seul un procès juste et équitable pourrait aider à obtenir les réponses à ces deux questions et cela doit se faire maintenant pour que les victimes rescapées puissent en savoir et que l’État préviennent de telles situations.

Sans cela, nous victimes continuerons de vivre dans l’isolement total et dans l’insouciance et cela nous cause d’énormes préjudices matériels, moraux et psychologiques.

Pour preuve, je vous informe Excellence Monsieur le Président que la disparition de mon cher papa qui a laissé 9 enfants et deux femmes m’affecte et m’afflige doublement parce que le poids de  ma famille repose sur mes épaules et mon frère qui a été obligé de nous quitter pour aller au Bénin à la recherche du bonheur.

Moi, je suis étudiant diplômé en Science Politique mais je peine à avoir un emploi pour pouvoir répondre aux besoins de ma famille ; et, face à une telle situation, je suis obligé d’aller me débrouiller à Madina pour pouvoir aider mes deux mamans et mes frères et sœurs.

Parfois, je suis obligé de marcher faute de transport parce que je ne peux rester à la maison et regarder la souffrance sans l’affronter.

Pourtant Excellence Monsieur le Président, il est du devoir de l’État de nous venir en aide soit à travers une prise en charge pour que mes frères et sœurs puissent bénéficier d’une éducation de qualité afin qu’ils ne se sentent pas abandonner.

La Guinée nous doit respect, honneur et considération parce que c’est le sacrifice de nos parents qui a servi à nous autres guinéens de parachever l’œuvre de démocratisation et de développement de notre pays.

La reconnaissance de notre statut de victime par l’État guinéen est un droit et nous ne lasserons jamais de le réclamer jusqu’à son entière satisfaction.

Excellence Monsieur le Président, je vous prie de bien regarder les victimes du 28 Septembre 2009, de les inviter à une rencontre pour les écouter mais aussi d’instruire votre gouvernement à travers les Ministres de la Justice, de l’Unité Nationale et de la Citoyennété à organiser des cérémonies de rencontres périodiques pour échanger sur nos besoins afin de vous les soumettre pour trouver des solutions efficaces.

Dans l’espoir que mon appel sera entendu, je vous prie Excellence Monsieur le Président de recevoir l’expression de ma très haute considération.

Conakry, le 2 Mars 2017

Mamadou Baïlo Bah

Orphelin d’un disparu des massacres du 28 Septembre 2009

Étudiant Diplômé en Sciences Politiques de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia

Quartier : Hafia II

Tél : (00224) 622414191

Émail : [email protected]

 

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