Souleymane Sow, préfet de Gaoual sur la visite avortée du Président, la colère des jeunes… Interview

Le 30 septembre dernier, un reporter de Guineematin.com a rencontré le préfet de Gaoual, Monsieur Souleymane Sow. Au-delà de l’actualité, ils ont échangé sur les problèmes récurrents dans cette préfecture, la visite avortée du Chef de l’Etat à l’occasion des journées de l’élevage, déménagées à Labé, etc.

Décryptage !

Guineematin.com : Des rumeurs de manifestations avaient couru à Gaoual après les violences enregistrées à Boké, Kamsar et Kolaboui. Comment vous avez géré cette situation ?

Souleymane Sow : C’est vrai il y a eu des signes précurseurs suite au décès d’une femme en état de famille qui avait été prise en charge par l’équipe de garde mais qui est décédée le lendemain après l’opération avec le bébé prématuré. Les jeunes ont estimé que la femme n’a pas été prise en charge correctement. Heureusement, ils ont réagi de façon civilisée. Ils ont marché jusqu’à la préfecture, encadrés par la sécurité. Je leur ai dit de choisir cinq éléments et d’écrire leurs points de revendication. Ce qu’ils ont fait.

Guineematin.com : Quels étaient ces points de revendication ?

Souleymane Sow : Ils ont dénoncé du fait que la femme soit venue la nuit vers 2 h du matin dans une situation préoccupante mais n’a été prise en charge qu’après la réunion du staff le lendemain. Les jeunes ont estimé que les réunions du staff durent trop et cela a joué sur l’état de santé de la dame. En deuxième point, ils ont dénoncé la pléthore de stagiaires à l’hôpital. Ensuite, ils ont déploré le manque de médecins spécialistes. L’hôpital ne compte qu’un seul chirurgien et il n’ya pas de gynécologue. Ils ont précisé que seul le directeur de l’hôpital était gynécologue dans tout l’hôpital. Ils ont également dénoncé le manque de matériel et le mauvais entretien de celui existant…

Guineematin.com : Et, quelle a été la réaction de l’hôpital face à ces nombreuses récriminations ?

Souleymane Sow : J’ai reçu l’équipe de la santé pour un entretien et j’ai convoqué un meeting le lendemain à la préfecture. Les médecins ont expliqué en effet qu’il y a eu beaucoup de situations malheureuses. La dame est venue, elle faisait des hémorragies internes mais il n’y avait que la garde composée que de stagiaires. Le lendemain, quand ils se sont rendus compte, ils ont décidé d’opérer la femme. Mais avant, il faut procéder à des analyses pour déterminer entre autres le groupage sanguin. On a trouvé qu’elle était du groupe O+ et fallait avoir trois poches de sang. Parmi les membres de sa famille, aucun n’avait ce groupe. Et par hasard, un des accompagnateurs avait le même groupe. Mais avec une personne, il est possible d’avoir qu’une poche de sang et il faut attendre trois mois après pour un nouveau prélèvement. C’était un des paramètres. En plus, Gaoual n’a pas une banque de sang et vous savez que le sang ne se conserve comme les les produits ordinaires. Et il y avait d’autres paramètres cliniques aussi qui n’étaient pas du tout en faveur de la patiente. Donc, nous nous sommes basés sur la religion pour dire ce qui est arrivé devait arriver malheureusement. Mais on a retenu quelques points par rapport à leur revendication.

Guineematin.com : Il s’agit de quoi par exemple ?

Souleymane Sow : Nous avons estimé que les stagiaires étaient trop nombreux. Dans certains services, vous avez entre 9 et 10 stagiaires contre trois titulaires au plus. Ce ratio était trop élevé. Mais tous ces stagiaires étaient aussi de Gaoual. Donc on ne peut pas les chasser. Nous avons estimé qu’il fallait faire un programme tournant pour eux. Puisque les jeunes les avaient trop chargés. Qu’ils volaient les malades, dérobaient des produits,…Ensuite, les réunions du staff trop longue. A ce niveau, nous avons suggéré désormais qu’elles ne dépassent pas 1 heures 45mn. A défaut, qu’une équipe d’urgence soit constituée pour s’occuper des cas graves.

Guineematin.com : Vous parlez de la première crise. Et, la deuxième ?

Souleymane Sow : Bon, vous savez les jeunes, et à Gaoual et Koundara, les jeunes voulaient imiter ce qui s’est passé à Boké et Kamsar pour réclamer du courant. Ils voulaient sortir pour barrer la route principale. J’ai tenu une réunion de défense et de sécurité et j’ai rencontré les sages. Je les ai dits, avant de faire une chose, il faut savoir tirer les leçons du passé. En 2006 et 2007, il y a une grève générale dans le pays, les gens ont fait des casses. A Gaoual, ce qui a été cassé, n’a jamais été reconstruit. Toutes les archives ont été brûlées pourtant même le dossier sur le différend frontalier entre la Guinée et la Guinée se trouvait ici. J’ai demandé aux sages d’agir pour éviter alors qu’on casse le peu qu’on a et ils m’ont compris.  J’ai dit que c’est un droit constitutionnel pour eux de marcher mais de marcher de la douane à Kakoni. Puisque la route principale fournit six milliards de nos francs à l’Etat et par mois. Ce qui sert à payer les salaires des fonctionnaires dans la région de Boké.

Guineematin.com : Mais, qu’est ce que ces jeunes demandaient au juste ?

Souleymane Sow : Ils ont dit qu’à l’image de Boké, il faut du courant, de l’eau et du goudron pour Gaoual. Surtout le goudron. Il faut reconnaître ce s’est passé à Gaoual est inédit. Le goudron est venu jusqu’à la rentrée de la ville pour s’arrêter là avec les Chinois qui sont repartis. A l’époque l’autorité préfectorale avait démarché auprès du gouvernement pour que ceux-ci fassent la voirie mais ce n’était pas facile puisque le marché était attribué à une dame du nom de Mme Barry de l’entreprise MCA. C’est elle qui aurait goudronné Boké et Boffa. Et elle avait le marché de Gaoual où elle aurait investi plus d’un milliard pour les études géotechniques et topographiques. Mais, pauvres de nous, le contrat a été signé sans provision. Ce qui fait qu’on ne peut pas résilier un contrat comme ça du jour au lendemain. Mais s’il ya un problème qui dérangé toute la population de Gaoual, c’est le bitumage de la voirie. Nous faisons la comparaison avec Koundara qui 22 km de bitume, Télimélé a commencé, Labé est bitumé tout comme Boké. Voilà les préfectures qui nous entourent. Les gens se demandent pourquoi pas à Gaoual aussi ?

Et c’est un peu comme cette maxime qui l’assimile à la nuque. La chemise vient elle passe et le bonnet n’arrive pas. C’est pour cela que les jeunes voulaient marcher. Mais là aussi, nous avons réussi à désamorcer. Nous les avons demandés d’écrire puisqu’en cas de marche, ils ne pourront pas maîtriser tout le monde pour éviter la casse. C’est ainsi qu’ils ont formulé une liste de revendication portant sur 11 points dont les principaux sont le courant, l’eau, le goudron, l’emploi et la situation du personnel de l’hôpital. Nous avons transmis ces points au gouvernement non sans nous pencher à résoudre certains.

Guineematin.com : Finalement, avez-vous été compris ?

Souleymane Sow : Bon, ils ont donné des échéances. Puisque les jeunes, certains se font appeler patriotes. Et cela a attiré mon attention avec l’amère expérience des jeunes patriotes ivoiriens qui ont détruit leur pays. J’ai demandé alors qu’ils se constituent en association et qu’ils cherchent un agrément. Je pense que c’est ce qu’ils sont entrain de faire actuellement. Et j’ai transmis leurs points de revendication et je ferai mon mieux pour qu’ils soient entendus. Mais je dois les féliciter pour leur esprit de compréhension et de civisme. Ils sont venus manifester avec des pancartes et dans le calme sans injures ni provocation et sans violence. C’est un acte civilisé qu’il faut saluer chez nos jeunes. Ce n’est pas comme à Boké, Kamsar et Kalaboui où la violence a même entraîné des vis humaines. J’espère que nos jeunes vont continuer sur cette voie, bien sûr avec l’appui des sages.

Guineematin.com : A part ces crises que vous avez pu gérer, parlez-nous des autres problèmes qui assaillent cette préfecture considérée comme l’une des plus arriérées du pays ?

Souleymane Sow : C’est vrai qu’il y a d’autres problèmes en plus de ceux que nous venons d’élucider ici. Puisque vous remarquez qu’il y a des hangars construits dehors. Gaoual, qui détient le 8ème du cheptel national attendait d’abriter les journées nationales de l’élevage. Il y avait un engouement chez tout le monde. Des préparatifs ont été faits, des commissions constituées, des hangars construits. Les ressortissants se sont impliqués comme Cellou Garaya qui a fourni 400 chaises plastiques et bien de choses ont été préparées. Vous voyez même le pupitre présidentielle est toujours là. Malheureusement, à la dernière minute, on nous dit que la rencontre se tiendra à Labé. Ça, c’est comme un coup de massue chez les toutes les populations qui se préparaient à accueillir le Chef de l’Etat. C’était l’occasion pour les Gawalois de montrer au Président de la république la situation inédite d’avoir le goudron jusqu’à sa porte et de comprendre la légitime aspiration des citoyens d’avoir la bienveillance de l’Etat à ce sujet.

Autre problème, c’est difficile de faire comprendre à nos concitoyens que les pouvoirs sont maintenant séparés. Nous sommes dans une société démocratique où il y a l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Mais les gens ont du mal à le croire. Pour tout problème, ils veulent que le préfet intervienne. C’est pourquoi nous sollicitons aussi bien du gouvernement que de l’Assemblée nationale, la vulgarisation des textes de loi adoptée.

Guineematin.com : Vous voulez dire qu’à Gaoual les administrateurs dépassaient leurs rôles ?

Souleymane Sow : Vous savez, dans le passé, Gaoual était habitué à avoir des préfets très bouillants et ambulants qui intervenaient partout. Ils partaient dans les commissariats et se saisissaient des dossiers d’enquête. Il est même arrivé une fois qu’un préfet se rende à la justice pour déchirer des dossiers et porter main sur un juge. Actuellement si les gens sont en porte-à-faux avec la justice et que je ne bouge pas, ils disent que le préfet est faible il est ceci ou cela.  Je pense qu’il y a un travail de sensibilisation urgent et sérieux à mener auprès de nos parents. Sous une certaine période, les préfets étaient très puissants mais le contexte a changé et le temps aussi.

Guineematin.com : Et quand est-il monsieur le préfet du déficit du personnel enseignant et soignant à Gaoual ?

Souleymane Sow : L’année dernière, on n’avait pas beaucoup d’enseignants. Mais le gouvernement a beaucoup fait et Gaoual a eu plus d’enseignants parmi toutes les préfectures de la région de Boké avec quelques 135 personnes affectées chez nous. Mais la question est de savoir s’ils vont rester ou non. Puisque certains sont habitués à venir prendre fonction pour repartir à Conakry. Heureusement, le ministre a pris une décision pour dévirer les salaires. On a reçu cinq médecins. Mais sur les cinq, il ne reste plus qu’un. Deux sont en congés académiques et deux autres remutés au département. Gaoual n’a pas de gynécologue. Celui est là est le directeur de l’hôpital. C’est un administrateur. Gaoual n’a qu’un seul chirurgien qui vient de sortir des écoles sans grande expérience. C’est un ancien, un retraité qui fait le plus gros du travail par dévouement. A tout moment, il peut rentrer chez lui dans son village à tout moment. Il s’agit de Dr Alsény, il travaille sans salaire.

Guineematin.com : A votre avis, pourquoi les fonctionnaires ont du mal à rester ici ?

Souleymane Sow : Il faut reconnaître que Gaoual n’est pas une destination prisée pour les fonctionnaires et c’est loin par rapport à Conakry. Il y a manque d’eau, d’électricité et j’en passe.

Guineematin.com : Donc, il n’y a pas du tout de courant à Gaoual ?

Souleymane Sow : Pas du tout, mais on est dans le réseau de l’électricité de Guinée (EDG), contrairement à certaines localités comme Kolaboui. Mais notre réseau a été réhabilité par une entreprise malienne KAMAK qui a également un groupe électrogène qui va être lancé bientôt. Il y a également un projet de construction d’un micro barrage à Touba pour une puissance d’un méga watt. Ce qui sera largement supérieur aux besoins domestiques des populations. Il y a aussi en perspective l’installation d’un centre solaire avec les énergies renouvelables. Ce qui augure de très belles perspectives. Mais là n’est pas le problème. Mes inquiétudes c’est au niveau de l’agriculture où tous les fonctionnaires sont envoyés à la retraite. Il y a moins de 10 en tout pour toute la préfecture. C’est la même chose pour les techniciens de l’élevage.

Guineematin.com : Qu’en est-il pour l’agression de l’environnement notamment la coupe du bois ?

Souleymane Sow : A Gaoual, la coupe est un peu réglementée. Notre préfecture fait parti de celle où l’exploitation du bois est autorisée. Il y a deux détenteurs de permis de coupe de bois qui sont agréés.  Et ce sont les bois d’œuvre qui sont autorisés à couper. Ils ne sont pas plus de cinq sur plus de deux cent espèces.  Par contre, la culture sur brûlis est une pratique très dommageable pour l’environnement.

Guineematin.com : Pourtant, il y a une prolifération de tronçonneuses à Gaoual ?

Souleymane Sow : Oui c’est ce que j’ai dit. Si la coupe de bois contribue à la déforestation, c’est à hauteur de 5% peut être. Puisque c’est le bois d’œuvre qu’ils coupent tandis que la culture sur brûlis ne distingue aucun bois. Et actuellement, il y a la préparation au charbon qui commence à faire son chemin. Heureusement à Wendou MBour par exemple, il est interdit cette pratique grâce au maire de la commune qui est également le Chef de cantonnement forestier.

Guineematin.com : Dans le reste de la préfecture, qu’est ce vous faîtes pour empêcher à cette pratique de gagner du terrain ?

Souleymane Sow : On se bat. On sensibilise les populations. Mais il nous faut des textes pour appuyer nos arguments. Regarder c’est comme si je dis qu’il n’y a pas de marche. La Constitution est claire en la matière. La marche est autorisée par elle. Mais les organisateurs doivent s’adresser au maire et non pas au préfet. C’est quand je vois que celui-ci traine les pas que mois je prends mes responsabilités. Mais pour le charbon, quel est le texte légal que j’ai pour dire qu’il est interdit, je n’en ai pas.

Guineematin.com : Peut-être le code forestier et même environnemental qui ont été votés l’année dernière ?

Souleymane Sow : Mais, il faut que ces textes soient vulgarisés. Nous n’avons aucun de ces deux textes dont vous faites allusion. Je pense que l’Assemblée nationale devrait œuvrer à vulgariser les lois qu’elle vote.

Guineematin.com : Mais, le rôle du député, c’est de voter la loi, de contrôler l’action du gouvernement, de représenter le peuple ?

Souleymane Sow : Non ! Mais, un député après avoir participé à une session, doit venir rencontrer les populations pour rendre compte de leurs activités parlementaires. Chaque député devrait venir expliquer à ses électeurs, aux citoyens de tous les bords d’ailleurs, ne ce reste que de façon sommaire les lois qu’ils ont votées. Cela peut nous aider dans la gestion de la communauté et de ses problèmes.

Guineematin.com : Politiquement, comment Gaoual prépare les élections locales ?

Souleymane Sow : Dans la sérénité puisqu’ici, il n’y a jamais eu de protestation. Jamais de contestation de quelque nature que ce soit. Tous les partis se préparent à aller aux urnes et à conquérir l’électorat. Pour ce qui est de l’administration que nous représentons, nous sensibilisons les gens à aller voter dans le calme et dans la paix. Et naturellement, nous assurons la sécurité de tout le processus.

Guineematin.com : Quel est l’appel que vous lancez en direction des gouvernants et des gouvernés ?

Souleymane Sow : Au gouvernement que nous représentons, je sais qu’il fait beaucoup de choses. Beaucoup de réalisations en matière d’infrastructure notamment. Toute fois, nous voulons attirer l’attention sur le fait que nos populations sont analphabètes. Ils doivent nous aider à expliquer les textes de loi, à la vulgariser à tous les niveaux. Le code de l’eau, le code forestier, les codes fonciers et autres sont des textes qui doivent être expliqués aux populations. Tous les jours que Dieu fait, mon bureau se rempli de plaignants sur des problèmes liés à l’héritage, au partage des biens, …Je ne peux pas les chasser. Je prends mon temps pour leur expliquer. Pour réussir cet exercice, il faut bien documenter par les textes de loi.

Pour les services sociaux de base, eau et électricité, le besoin est là. Gaoual est une zone pastorale par excellence. Nous avons le plus cheptel du pays. On a besoin de forages pastoraux partout aussi bien dans les villages qu’en brousse pour abreuvoir les bêtes. Nous avons aussi besoin de goudron. Aujourd’hui c’est le rêve de tout citoyen de Gaoual. Les jeunes quand ils vont à Koundara, ils rentrent ici, ils demandent qu’est ce nous on a fait. Moi je sais que c’est une question de temps. Le Gouvernement la dessus. Et je suis confiant qu’on aura le goudron puisque c’est un souci pour notre gouvernement. En attendant, il suffit de communiquer. Cela peut nous aider.

Guineematin.com : Et, quel message vous lancez en direction de vos administrés ?

Souleymane Sow : Mon message aux populations est simple. Je demande à chacun de maintenir le calme et la sérénité. De travailler et de participer au développement de notre préfecture. Cet appel est valable aussi bien pour ceux qui sont restés ici qu’à nos nombreux ressortissants basés en Guinée et ailleurs à travers le monde. Il nous appartient de faire de Gaoual une préfecture où il fait bon vivre pour que les fonctionnaires affectés restent et travaillent pour que les sociétés rivalisent d’ardeur pour exploiter nos ressources, créer de l’emploi et de la richesse. Je vous remercie.

Interview réalisée et décryptée par Abdallah Baldé pour Guineematin.com

Tél : 628 08 98 45

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