Campagne d’insémination artificielle d’envergure nationale : un enseignant donne son avis

Soixante ans après les indépendances nous sommes toujours incapables de satisfaire les besoins alimentaires de notre peuple malgré le potentiel agricole que regorge ce pays. Il est temps de marquer une rupture et de réfléchir sur une politique agricole courageuse voire audacieuse pour amorcer la phase de sécurisation alimentaire de notre cher pays.

Notre terre africaine de Guinée est devenue une importatrice nette de produits d’élevage. En 2016 nous avons importé 10 millions de dollars de lait et de produits laitiers (Douanes), soit 10 fois le budget alloué au Ministère de l’Elevage et des Productions Animales (LF, 2016). Les chercheurs, le pouvoir publique et les partenaires au développement doivent apporter leurs contributions pour juguler cette hémorragie financière.

Le recours aux biotechnologies de la reproduction en l’occurrence l’insémination Artificielle (IA), initié par le Président de la République, le Pr Alpha Condé, est une très bonne nouvelle pour les éleveurs et les groupements d’éleveurs. Cette initiative présidentielle qui relève de la politique du « DOWN-UP », pourrait contribuer à offrir aux ménages pauvres impliqués dans cette activité des opportunités de revenus complémentaires. La république du Sénégal, en raison du faible potentiel laitier de sa race locale, a adopté cette biotechnologie depuis 1995 pour réduire sa facture laitière qui avoisinait les 58 milliards de F CFA en 2008.

La Guinée est le berceau de la race N’Dama. Les scientifiques sont unanimes sur la faiblesse du potentiel laitier de cette race. Sa production laitière journalière, en moyenne, varie de 1,5 litre en saison sèche à 2,5 litres en saison pluvieuse pour une lactation de 280 jours. Sa congénère européenne peut produire jusqu’à 30 litres par jour pour une lactation équivalente ou plus. L’amélioration du potentiel génétique à travers une campagne national d’IA pour satisfaire la demande, de plus en plus croissante, en produits d’élevage est une nécessité. La contribution de cette biotechnologie à l’amélioration de la production et de la productivité a poussé la FAO à encourager son utilisation pour faire reculer la faim dans le monde.

L’organisation d’une campagne nationale d’insémination artificielle, doit toujours s’inscrire dans un programme de développement d’une filière (viande ou lait). Son efficacité et son efficience en dépend fortement. Raison pour laquelle il est impératif d’impliquer fortement le Département de l’élevage et les institutions de recherches de la phase de conception à la phase d’exécution de la campagne. En Afrique subsaharienne la filière lait est généralement prioritaire pour réduire la facture laitière. L’insémination artificielle (IA) n’est pas une fin en soi mais un tout. Elle va du recrutement des vaches pour l’IA à la mise en place de la min-laiterie.

Dans la phase de recrutement, il est impératif de sensibiliser les éleveurs sur les objectifs du projet et les conduites à tenir durant le déroulement de la campagne pour éviter les fausses rumeurs. Il faudra élaborer des critères d’éligibilité pour optimiser la réussite du programme et sa pérennisation.

Après la sensibilisation, l’éleveur doit accepter certaines conditions pour faire parti du programme. Il doit prendre en charge l’alimentation des vaches recrutées. L’alimentation est capitale dans la production animale. La valorisation de sous-produits agricoles est à encourager. Tels que les résidus de récolte, les graines de coton et les tourteaux d’arachide, les fanes de légumineuses (arachide, niébé), de racines et de tubercules. Ces résidus de récolte peuvent être conservés de façon illimitée.

La facilitation du suivi sanitaire des femelles, de la gestation à la mise bas est capitale. Les taureaux ne doivent plus être en contact avec les vaches après leur recrutement. Il est nécessaire de séparer les vaches de leurs veaux 15 jours avant la synchronisation des chaleurs pour faciliter la cyclicité des vaches et améliorer les résultats de l’application du protocole. Pour une bonne croissance, la totalité du lait des vaches inséminées doit revenir aux F1. L’éleveur doit être en mesure d’assurer la stabulation des animaux et accepter l’identification par bouclage des vaches recrutées. Tous les mâles F1 doivent subir la castration et l’engraissement pour un objectif d’embauche.

Les critères d’éligibilité des vaches doivent contribuer à une meilleure réussite de la campagne. C’est à dire au recrutement des vaches les plus aptes à la reproduction. La vache doit se conformer à certains critères pour être éligible à ce programme. La candidate à l’IA doit être multipare et ayant de préférence donnée lieu au moins à 2 naissances. Elle doit avoir une bonne note d’état corporelle (3 à 4 sur une échelle de 0 à 5) et indemne de toute maladie surtout celles abortives. En termes de reproduction, elle doit présenter un bon appareil génital exempt de toute gestation et apte à la reproduction. Ce qui signifie que les services vétérinaires et les institutions de recherche doivent être mis en contribution pour mieux cerner la santé reproductive des animaux.

La Guinée aura le choix entre deux modalités d’IA : sur chaleurs naturelles ou sur chaleurs induites. La première est la moins coûteuse mais demande plus d’effort aux éleveurs. Cette modalité encourage la pratique de l’IA basée sur la détection des chaleurs. Deux conditions sont fondamentales pour la réussite de cette méthode : l’expression des chaleurs par la vache et la vigilance de l’éleveur. Dans ce cas l’éleveur à une part active dans la reproduction de son cheptel. Considérant le coût de l’IA sur chaleurs induites, beaucoup de pays africains comme le Cameroun et le Sénégal sont devenus des adeptes de cette méthode. Néanmoins, il faut reconnaître que la détection des chaleurs par les éleveurs est un challenge. Multiples sont les facteurs qui influencent l’expression des symptômes de l’œstrus. Seules les vaches cyclées et qui s’expriment auront des chaleurs détectables. La discrétion et la courte durée des œstrus, la température, le déficit alimentaire, ont été cités dans la littérature scientifique comme des facteurs qui interfèrent considérablement sur la reproduction chez les bovins. Raison pour laquelle l’éleveur doit, en plus de l’acceptation du chevauchement, s’intéresser aussi aux signes secondaires, pour optimiser le taux de détection des chaleurs (80%). L’expression des chaleurs par la vache et la capacité de l’éleveur à les détecter sont deux conditions primordiales pour l’adoption définitive de cette modalité d’IA.

La deuxième modalité est la plus pratiquée sur le continent africain. Cette pratique nécessite l’utilisation des hormones pour la synchronisation et l’induction des chaleurs. Le PRID et le CRESTAR sont des protocoles de choix sous nos tropiques. Ces traitements à base de progestagène sont le plus souvent associés à des injections d’ECG et/ou de prostaglandine F2α selon le protocole. Compte tenu de la discrétion et la courte durée des chaleurs de nos races locales, cette modalité n’est pas sans intérêt malgré son coût élevé.

Ils existent des facteurs qui peuvent influencer le taux de réussite de l’IA. Certains facteurs sont liés à l’animal d’autres non. L’âge, la note d’état corporelle, la période post-partum, l’état sanitaire de l’animal, L’alimentation, la température, la qualité des chaleurs détectée par les éleveurs et l’inséminateur et son équipe sont des facteurs majeurs de variation des résultats de l’IA. Raison pour laquelle l’inséminateur sur le terrain doit tenir compte de tous ces facteurs pour réussir sa mission.

Le gouvernement guinéen doit s’investir pour la réussite de ce programme en se fixant des objectifs clairement définis. Un objectif à court termes doit correspondre à la production des F1 (métisses). Suivi d’un objectif à moyen termes qui doit correspondre à l’amélioration de la production laitière. Et en fin l’objectif à long terme s’attellera à une autosuffisance en lait et en produits laitiers. Le nombre de vaches métisses à obtenir doit être conforme à la production laitière souhaitée. Le Département de l’élevage devra s’impliquer dans la définition du schéma de croisement à encourager en fonction des réalités agro-écologiques des régions.

Durant le programme les éleveurs doivent bénéficier d’une formation pratique sur la détection des chaleurs pour pouvoir adopter la modalité d’IA sur chaleurs naturelles qui est beaucoup moins chère. Ils doivent aussi être formés en technique de conservation et de stockage comme le fanage, l’ensilage ou le traitement à l’urée pour les permettre d’alimenter correctement les animaux en période de soudure et par ricochet mieux réussir la stabulation des animaux.

L’Etat doit être en mesure d’accompagner les éleveurs dans cette phase d’expérimentation à travers un fonds pour les permettre de tenir leur engagement vis-à-vis du programme. Ce fonds sera alloué aux coopératives qui fixeront les conditions d’attribution. Les éleveurs se méfient de la microfinance qui ne respecte pas les principes de l’islam en termes de prêt et ses échéances de remboursement ne sont pas compatible avec la production animale. Le vol du bétail est une réalité qui a contribué à décourager beaucoup d’éleveur. Ce type de vol atteindra des proportions inquiétantes avec les métisses. Pour endiguer ce phénomène, le gouvernement doit durcir la loi pénale sur le vol du bétail pour décourager les malfaiteurs.

Les inséminateurs doivent être formés en nombre conséquent pour assurer un bon maillage du territoire national. Un accompagnement du gouvernement et des partenaires au développement est nécessaire pour qu’ils puissent s’équiper et offrir un service de proximité aux éleveurs.

Le lait est un produit très sensible qui s’altère vite. En milieu rural sa conservation et son transport restent un défi. L’installation d’une mini-laiterie pour chaque coopérative ou zone de production est nécessaire dans un rayon de 25 km pour faciliter la collecte, afin d’éviter le maximum possible le modèle des productions laitières atomisées. Cette mini-laiterie permettra à chaque éleveur d’écouler son produit pour augmenter son revenu et faire face à ses dépenses quotidiennes. Le slogan « l’élevage doit nourrir son homme » ne sera plus un rêve mais plutôt une réalité.
Ce siècle sera celui des biotechnologies dont les applications vont permettre de satisfaire les besoins de l’Humanité. Faisons tout pour ne pas rater ce rendez-vous en profitant au maximum possible de ses bienfaits. Les inquiétudes concernant les conséquences néfastes qui peuvent découler de l’application de cette biotechnologie de la reproduction sont fondées. Nous devons prendre des mesures biosécuritaires adéquates pour mieux se protéger des risques. A mon humble avis, par rapport à la disparition de nos races locales, la conservation ex-situ, à travers la cryoconservation du matériel génétique est une approche à explorer. La limitation de l’introduction des races exotiques dans les élevages périurbains n’est pas sans intérêt. Sur le plan mondial, pour prévenir ces risques, sauf par erreur de ma part, le Protocole de Cartagena a été ratifié par la plupart de nos pays.

Les institutions académiques et de recherches (ISSMV de Dalaba, l’ISAV de Faranah et l’IRAG) et le Département de l’élevage doivent, chacun en ce qui le concerne, accompagner l’initiative présidentielle pour que le succès soit total en termes de conception, d’exécution et de pérennisation du programme.

Mamadou Alpha Ghadiry Diallo

Assistant chargé du cours de biotechnologies de la reproduction

ISSMV de Dalaba (Email : [email protected])

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