Culture : n’oublie pas maître Keletigui Traoré

Par Thierno Saïdou Diakité : Il y a 9 ans, la mort frappait Maître Kèlètigui Traoré, chef d’orchestre de l’ensemble de musique moderne Kèlètigui et ses Tambourinis. Avec cette disparition, c’est tout un pan de l’histoire de la musique guinéenne qui s’envole en poussière. Pour la génération actuelle, nous retraçons le parcours de ce talentueux musicien.

Né le 26 mai 1934 à Conakry, beaucoup ne le savent pas, feu Kèlètigui Traoré n’a pas embrassé immédiatement la musique. A la suite de ses études à Conakry, il exerça le métier de pompiste à la place de son père. Avant d’être agent auxiliaire de police, il sera quelques années tailleur.

Atteint par le virus de la musique, Kèlètigui Traoré commence à flirter avec le banjo, mais il a aussi joué de l’accordéon, la guitare et la basse. En 1951, il  prend des cours de saxo avec deux français, basés à l’hôtel de France, qui jouaient sur le pan pan  de cet établissement. Entre temps il avait côtoyé Maître Gadirou de Kindia.  En 1956, la Guinée perd la gestion de l’hôtel de France, et Kèlètigui grâce aux économies qu’il avait patiemment constituées,  achète des instruments pour constituer une nouvelle formation musicale Harlem Jazz. Cet orchestre était considéré comme le meilleur sur la scène musicale jusqu’à l’indépendance du pays en 1958.

Au mois de mars 1959, le premier congrès de la JRDA, la Jeunesse du Rassemblement Démocratique Africaine, l’organisation des jeunes du PDG, décide de la suppression de tous les orchestres privés. La première école de musique est implantée à l’école des cadres du parti.   On assiste ainsi à la constitution d’un ensemble musical, le Syli Orchestre, dirigé par Kanfory Sanoussi, qui donnera plus tard deux orchestres nationaux, l’un dirigé par Kèlètigui Traoré et Balla Onivogui. Pour la petite  histoire, lors des festivités du premier anniversaire de notre accession à l’indépendance, c’est un orchestre venu du Ghana qui anima la soirée de gala. Ce qui probablement contribua à inspirer nos dirigeants de l’époque.

Le cheminement fut long pour en arriver aux deux orchestres dirigés par les défunts Kèlètigui Traoré et Balla Onivogui.

En 1960, à la Paillote avait élu domicile les Déménageurs Africains dirigés par Camara et au Jardins le Climat de Guinée dirigé successivement par Mamady Kourouma, Papa Diabaté et Onivogui Balla.

Aux débuts des années 60 feu Kèlètigui Traoré dirige l’orchestre de la Bonne Auberge.

En 1966, l’on assiste à la dissolution des Déménageurs Africains. Cet ensemble musical est remplacé la même année par l’orchestre de la Paillote. Et depuis 1967,  l’orchestre moderne de la Paillote prend  le nom de feu Maître Kèlètigui Traoré.  Pendant près de quatre décennies, ce groupe musical nous a bercés avec un répertoire riche en couleur et rythmes du pays.

Homme orchestre, touche à tout,  Maître Kèlètigui était un musicien hors paire, qui rivalisait avec les meilleurs saxos d’Afrique. Instrumentiste et arrangeur, ses partitions dans Sax Parade ou son intro dans le best Maderi ne laissent personne indifférent.

La juxtaposition d’instruments souligne le solide ancrage de l’orchestre dans le concept d’authenticité. Dans le but de réhabiliter la musique guinéenne, il fusionne chansons traditionnelles locales et musique cubaine et jazz (des styles qui ne sont pas considérés comme occidentaux ou étrangers puisqu’à l’époque ils sont joués par des musiciens noirs, descendants africains). Les enregistrements Syliphone de l’orchestre leur vaut une renommée internationale et en 1970 il reçoit le prestigieux Grand Prix du Disque de l’Académie Charles-Cros pour leur 33 tours avec El Hadj Sory Kandia Kouyaté. Seul Kèlètigui réussit à marier avec autant de maestria les épopées des griots chantées par Kandia et ses envolées vocales dans une formation d’orchestre.

Pour mesurer le talent de Maître Kèlètigui, nous citerons  une américaine spécialiste de jazz qui dépeint en ces termes la personnalité musicale de Kèlètigui. Citation ‘’Kèlètigui Traoré est un saxophoniste ténor musclé qui cumule un large ton vocalisé vibrato avec un style attrayant lyrique improvisé. Kèlètigui maîtrise parfaitement la flûte cubaine, et a été le premier chef d’orchestre à utiliser le clavier dans la musique guinéenne en combinaison avec le balafon. Quel que soit l’instrument utilisé pour une chanson, les arrangements de Kèlètigui étaient frais et imaginatifs, mêlant instruments traditionnels, les rythmes et chansons avec le jazz et les musiques cubaine dans une parfaite harmonie musicale’’.

Sur un tout autre plan, nous avons approché le sociologue écrivain Alpha Oumar Diallo, auteurs de plusieurs ouvrages dont un sur le regretté Aboubacar Demba Camara, afin qu’il nous livre son témoignage sur feu Maître Kèlètigui. Il s’exprime en ces termes ‘’Pour le défunt, j’ai en ce moment, une impression douloureuse. Maître Kèlètigui Traoré était un homme de valeur pour ce qui est de la culture africaine en général et de la culture guinéenne en particulier. C’est une valeur qui ne devrait pas tomber dans l’oubli. Heureusement, que vous êtes en train de rétablir la vérité en rendant à César ce qui lui appartient. Maître Kèlètigui Traoré a marqué de ses mains la musique africaine de Guinée. Imaginez la musique exotique pour vous retrouver dans la musique authentique africaine, en une transition courte et facile. Il faut le feeling de ce musicien hors pair pour réussir ce métissage.

Je suis tout heureux et comblé que le magazine GUINEETIMES parle de ce grand musicien. Et rappelons pour terminer le fameux duo Kèlètigui Kandia, distingué par le premier disque d’or de l’Académie Charles-Cros bien avant les musiciens zaïrois ‘’

Celui qui s’est entièrement investi pour la promotion de la musique moderne de Guinée, n’a malheureusement pas bénéficié de la reconnaissance nationale. Kèlètigui et bien d’autres illustres compatriotes disparus méritent d’avoir leurs bustes au musée national. Comment a-t-on pu ignorer le rôle capital de ceux qui ont donné une vraie âme à la culture guinéenne comme le fondateur des Ballets Africains de Guinée, Fodéba Keïta, l’artiste comédien Italo Zambo, Aboubacar Demba Camara le chanteur émérite du  Bembeya Jazz national, le saxophoniste MomoWandell Soumah, l’artiste Fodé Conté, l’écrivain Laye Camara,  Williams Sassine, et bien d’autres ?

Par Thierno Saïdou Diakité

Facebook Comments Box