Mamadou Camara, DN de la sécurité publique à Guineematin : interview

En septembre dernier, le gouvernement guinéen, par le biais du ministère de la sécurité et de la protection civile, a lancé un plan d’urgence de la sécurité routière pour une durée de trois mois. Une opération qui consiste à désengorger les artères publiques de la capitale guinéenne. A quelques jours de la fin de cette opération, un reporter de Guineematin.com a rencontré Mamadou Camara, contrôleur général de police et directeur national de la sécurité publique. L’entretien a porté sur le déroulement de ce plan d’urgence, les résultats obtenus et les obstacles rencontrés sur le terrain.

Guineematin.com : Au  mois de septembre dernier, le ministère de la sécurité et de la protection civile avait lancé un plan d’urgence de la sécurité routière. En quoi a consisté ce plan?

Mamadou Camara : Le plan d’urgence de la sécurité routière n’a pas été entamé par notre département seulement ; mais, c’est une décision gouvernementale. Vous savez, il arrivait à des moments donnés où des accidents mortels, catastrophiques étaient enregistrés ça et là. Suite à ces faits très récurrents, le gouvernement a décidé d’organiser ce qu’on appelle les états généraux de la sécurité routière. Puisque vous savez que l’organisation des états généraux est très contraignante, le gouvernement a décidé provisoirement de mettre en œuvre un plan d’urgence de la sécurité routière en vue d’enrayer certains accidents de la circulation routière. Cette décision est gouvernementale et le Ministère de la sécurité et de la protection civile n’a exécuté que la phase opérationnelle de ce plan d’urgence qui comporte deux phases.

Quelles sont ces deux phases ?

C’est d’abord la phase de la sensibilisation qui concernait plusieurs départements. Vous savez que la gestion de la route est transversale. Il y a plusieurs départements ministériels qui sont impliqués dans la gestion de la route, notamment le Ministère des travaux publics qui conçoit les routes, le Ministère des transports utilise la route, le Ministère de l’Habitat est impliqué dans la gestion de la route et le Ministère de la sécurité est impliqué dans la gestion de la route en terme d’application des lois et règlements. Les différents départements que je viens de citer ont été impliqués dans la phase de la sensibilisation des populations à quitter les emprises des routes qui comprennent naturellement les chaussées, les caniveaux et les trottoirs. Donc, cette phase a duré un mois de sensibilisation et qui a été menée dans toutes les communes de Conakry et ses périphéries notamment  au Km36 et à Kagbélen.

La  deuxième phase c’est la phase opérationnelle que  le ministère de la sécurité a commencé à exécuter il y’a trois mois. Donc, cette phase opérationnelle comprend plusieurs volets. Il y a le volet déguerpissement des emprises, des chaussées c’est à dire des trottoirs, des caniveaux. Ensuite, il y a le rétablissement  de l’ordre dans la circulation que vous avez dû constater. Vous le savez bien il y a eu des moments à Conakry où la circulation était devenue un tabou. Il y a non seulement les doubles et triples files qui se créaient de part et d’autre, des stationnements un peu partout de nature à toujours créer des embouteillages à tout moment. C’est pourquoi le plan d’urgence que nous avons monté a pris en compte tous ces aspects.

Ces derniers temps, on ne voyait quasiment plus vos agents dans les différents carrefours. Mais hier, on a vu un nombre important de policiers dans la circulation.  Qu’est-ce qui explique cela ?

Il n’y a pas eu d’arrêt dans le suivi du plan d’urgence de la sécurité routière. Il y en a qui parlent de dysfonctionnement ; et, moi, en tant que technicien, je ne dirai pas qu’il y a eu arrêt ou il y a eu dysfonctionnement, mais il y a plutôt des perturbations qui ont été enregistrées. Vous le savez comme moi, la Guinée a été secouée pendant trois semaines par le mouvement des élèves. Donc, on était en face de deux problèmes. Il y a le rétablissement de l’ordre public général dû aux mouvements de troubles causés par les élèves et il y a aussi la mise en ordre de la circulation routière. Je pense que dans ces deux aspects il faut prendre en compte en terme sécuritaire l’ordre public qui était le mouvement des élèves dans la rue. Donc, on a géré cette situation et on a préféré mettre toutes les forces dans la gestion de cette situation. Bien que les forces fussent sur le terrain, mais à chaque fois que les élèves sortaient cela mettait en cause le plan d’urgence de la sécurité routière.  Cela a entraîné des perturbations mais il n’y a jamais eu arrêt. Dès lors que les écoliers ont repris normalement les chemins de l’école, nous nous sommes dit qu’il n’y a plus de temps à perdre mais continuer sur ce qu’on avait fait.

Au début du processus, 911 agents étaient sur le terrain. Aujourd’hui, il y a eu augmentation ou rabais  du nombre de policiers ?

Au jour d’aujourd’hui, nous sommes sortis dans le cadre des 911 agents. Parce que je vous dirai que le plan d’urgence a été sous évalué. Quand on faisait le plan, on avait estimé qu’on pouvait le faire avec 200, 300 ou 400 agents sur le terrain. Mais, à l’entame des choses, on s’est rendu compte que même 600 agents ne pouvaient pas tenir la ville de Conakry compte tenu de la récurrence des faits qui créaient les embouteillages notamment l’indiscipline des chauffeurs, l’occupation anarchique, des usagers qui viennent occuper la chaussée. Donc  ces faits étaient récurrents qu’on s’est rendu compte que vers la fin, 911 agents ne pouvaient pas tenir la ville de Conakry. Donc on était obligé d’aller au delà de 900 pour tenir toutes les rues de Conakry. Au jour d’aujourd’hui on n’est plus dans le cadre de 900 agents, on est au delà du cap des agents. Parce que toutes les CMIS déploient suffisamment d’agents sur le terrain, les commissariats centraux déploient suffisamment d’agents sur le terrain et la sécurité routière d’ailleurs, elle,  c’est  sa mission traditionnelle. Elle est obligée d’utiliser les gens au delà des heures normales de travail pour que Conakry puisse revivre un peu son image d’antan dans le cadre de la circulation routière.

En termes de résultats, depuis le lancement du plan d’urgence de la sécurité routière à Conakry, on peut retenir quoi ?

En termes de résultats je dirai que nous sommes globalement satisfaits.

Pourquoi ?

Globalement satisfait parce que le plan dans sa phase opérationnelle a exécuté des missions qui vont au delà de l’aspect sécurité routière. Vous avez suivi à un moment donné quand on a fait le déguerpissement des emprises de la route Madina sur le Niger. Sur cette route, on a constaté que les femmes qui occupaient ces emprises de route étaient assises sur des caniveaux et sous ces caniveaux il y avait des eaux usées de toutes natures. Elles venaient s’asseoir avec des bébés, des enfants de deux ans, d’un an, s’asseoir toute la journée sous le soleil et sur ces eaux là. Partout  on a vu que ces caniveaux étaient complètement remplis de bois  par ces femmes qui venaient s’asseoir sur ces caniveaux.  Ce ne sont pas des aspects liés à la sécurité routière mais des aspects liés à la santé publique. Donc ça c’est  l’un des premiers aspects de notre satisfaction parce qu’on a réussi à faire quitter ces femmes et à leur dire que leur santé n’est pas assurée dans ces lieux. Ça, c’est notre première satisfaction. Notre deuxième satisfaction, c’est que ces femmes qui venaient occuper ces abords des routes avec des gros camions qui circulent, et aujourd’hui malheureusement nous n’avons pas une visite technique pour dire que tel ou tel véhicule est apte à circuler. Donc, le véhicule peut déboulonner à tout moment et quand il dérape c’est des  dizaines et des dizaines de victimes qu’on enregistre. Aujourd’hui, ces femmes on a réussi à les faire quitter aux abords de la route et elles-mêmes se sentent conscientes et ça aussi c’est un aspect extrêmement important. L’un des aspects aussi important c’est au niveau de la sécurité routière. Il arrivait des moments où quand tu as un malade dans un véhicule et que tu dois l’envoyer  dans un centre hospitalier, si tu n’as pas la chance que ça ne soit pas des heures de pointe, le malade risque de succomber avec toi dans la voiture. Les fonctionnaires qui quittent le bureau à 16 heures 30 ont la possibilité de rentrer dans leurs domiciles avant la tombée de la nuit. Aujourd’hui, les populations sont contentes et nous devons faire en sorte que ces actions soient pérennisées.

Est-ce que vos agents qui sont sur le terrain ont fait cas d’obstacles ne permettant pas le bon déroulement du plan d’urgence de la sécurité routière ?

C’est des faits très récurrents que nous constatons. Au début du plan d’urgence de la sécurité routière nous avons adressé une  correspondance au ministre de la défense nationale pour que le chef d’Etat  major  général des armées  prenne des dispositions pour d’abord nous épauler et expliquer à nos collègues de l’armée que le plan que nous mettons en place n’est contre personne et que nous demandons que tous  se soumettent aux principes du plan d’urgence. Mais malgré la sensibilisation que le Chef d’Etat major lui-même a effectuée dans toutes les structures militaires pour demander le soutien des militaires, il y a eu quelques éléments quand même qui se sont rebellés contre nos éléments sur le terrain en s’attaquant aux policiers, mais ces cas ont été réglés. Au delà aussi des hommes en tenue qui constituaient des handicaps pour nous, il y a aussi le fait que certains civils viennent à tout moment se rebeller contre nos agents. Le guinéen veut faire appliquer la loi mais il ne veut pas que la loi s’applique à lui. Dès lors que vous lui faites appliquer la loi, il dit que vous ne savez pas que je suis tel, or il oublie que lui-même pour sa propre sécurité il doit s’intégrer dans les règles de la vie normale. Mais malheureusement il y a des réticents, mais puisque c’est notre métier on est très habitués à cela.

Il y a toujours des gens qui pensent que cette opération n’est que de la poudre aux yeux. Quelle assurance pouvez- vous donner à ces gens qui pensent ainsi ?

En réalité, le plan d’urgence avait un objectif  de trois mois. Mais, le ministre est en train de faire des efforts au près du gouvernement pour que ces actions soient pérennisées. On a fait une mutualisation des forces. Sinon, le spécialiste en sécurité routière au niveau de la police, c’est la direction nationale de la sécurité routière. On aurait dû laisser cette mission à la sécurité routière pour exécution, mais pour donner une force au plan d’urgence le ministre a insisté à ce qu’on mutualise nos forces. Que les forces des compagnies mobiles d’intervention et de sécurité soient intégrées dans le plan, que les forces des commissariats centraux de police soient intégrées dans le plan pour appuyer les forces de la sécurité routière. Donc, tout ça, veut dire que le ministre est en train de faire suffisamment d’efforts pour tenter de pérenniser. Et le département est en train de réfléchir pour que la direction nationale de la sécurité routière soit une direction forte qui puisse prendre la main au delà des trois mois et continuer à pérenniser les acquis que nous avons déjà obtenus. Mais, il ne faut pas se leurrer aussi, il faudrait que d’autres départements  viennent en aide parce que comme je l’ai dit la route n’est pas seulement  l’apanage de la police. Il y a plusieurs entités, le Ministère de l’administration du territoire, les Ministères des travaux publics et des transports, tout le monde est impliqué dans la gestion de la route. Donc si au niveau gouvernemental les efforts sont aussi mutualisés nous pensons que la pérennisation de ces acquis ne fera pas défaut.

Vous avez un message à l’endroit de vos agents mais aussi des citoyens ?

Bien sûr que j’ai un message très fort à lancer, d’abord à l’endroit de nos agents. Il faudrait que nos agents comprennent qu’aujourd’hui tout le monde est en train de parler de la police, du bien fait de la police à travers ce plan d’urgence de la sécurité routière. Ce bien fait n’est pas à l’endroit seulement du ministre de la sécurité et de la protection civile, c’est à l’endroit de tous les policiers. Donc, nous devons être en mesure de gérer des situations qui arrivent sur le terrain, qu’on se mette au dessus de certaines considérations et qu’on se mette au dessus de petites spéculations qui ternissent l’image de la corporation.

A l’endroit des populations, c’est pour leur dire que cette action n’est dirigée contre personne ; mais, elle profite à tous les citoyens de tous les niveaux  et de toutes catégories. Qu’on soit gouvernant ou gouverné, qu’on soit marchand ou commerçant ça profite à tout le monde. La Guinée, aujourd’hui, on est dans un labyrinthe où tout le monde sort au même moment et tout le monde rentre au même moment. S’il y a le respect des principes et des règlements que la police puisse mettre en œuvre, il va s’en dire qu’il n’y aura pas de victime mais c’est toute la population guinéenne qui va en profiter. Chacun quittera son domicile à temps voulu et rentrera à destination ou à son lieu de travail à temps voulu et il reprendra encore le chemin de la route à temps voulu et rentrera à la maison à temps voulu.

Interview réalisée et décryptée par Siba Guilavogui pour Guineematin.com   

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