Service militaire obligatoire en 2018 : une autre vraie fausse mesure

Par Mohamed Mara pour la radio Espace Fm : L’année 2017 s’achève avec un autre effet d’annonce. Désormais tous les étudiants guinéens devront s’acquitter du service militaire au cours de leurs cursus. Si l’idée enchante les anciens qui y voit un socle de socialisation de nos jeunes et l’apprentissage de la citoyenneté, cette mesure en tout point précipité reste hypothétique voire utopique. L’Etat doit prendre le temps de mûrir ce projet avant qu’il ne devienne un autre éléphant blanc pour les finances publiques.

Le service militaire obligatoire, il faut le reconnaître, a été bénéfique pendant deux décennies dans notre pays. Mais notre environnement sous régional en ébullition depuis le milieu des années ‘’80 ‘’, et surtout les réalités économiques difficiles ont contraint l’Etat guinéen à revoir ses priorités. La professionnalisation de nos forces armées et la suppression du service militaire ont été parmi les mesures adoptées sous le régime du Général Lansana Conté. Un retour à cette pratique pour les jeunes guinéens signifierait forcément un changement de cap très important. Devenons-nous une Nation militaire ?

La nécessité de la réinstauration du service militaire obligatoire reste à prouver, et les moyens pour sa mise à exécution doivent être réunis. Or un tel projet est loin de figurer dans la loi de programmation militaire en vigueur. Il est curieux de constater que l’annonce d’un projet aussi stratégique ne soit pas faite par le Commandant en chef des forces armées, mais simplement par un ministre de l’enseignement comme si cette activité, si elle est réinstaurée, relèverait de son département. C’est à la limite une imposture et une usurpation des fonctions du ministère de la défense nationale. De nombreux préalables doivent forcément être envisagés avant l’adoption de cette mesure.

D’abord il faudrait rétablir une meilleure image de l’armée aux yeux de la Nation, particulièrement des jeunes. Notre histoire récente tumultueuse rend ce chantier fastidieux. Les rapports civilo-militaires doivent nécessairement être repensés dans notre pays. On me targuera que c’est l’un des objectifs du service militaire. Mais comment peut-on contraindre des milliers de jeunes à un engagement citoyen ? Comme dans l’humanitaire et l’associatif, le service militaire doit relever du volontariat.

Ensuite il faudrait des moyens énormes dont ne disposent pas notre armée à l’heure actuelle. La mise en place d’une armée d’instruction, à côté de l’actuelle dont la réforme n’est toujours pas terminée, exigerait des équipements et des infrastructures dont elle ne dispose pas forcément. Il suffit de jeter un coup d’œil dans la loi des finances 2018 pour comprendre qu’il ne s’agit ni plus ni plus moins d’une toquade passagère.

Enfin l’argument selon lequel l’affectation des jeunes diplômés dans d’autres régions du pays facilitera leur intégration ne tient pas la route. Cette mission siérait mieux à la fonction publique, plus organisée et plus stable dans la durée. Comment un jeune s’intégrerait-il dans une autre culture en seulement six mois ?

La mesure annoncée par le ministre Yéro est discriminatoire puisqu’elle ne touchera ni les diplômés de l’enseignement technique, ni les fils de familles aisées qui eux, ont les moyens d’échapper à ce devoir, en allant faire leurs études sous d’autres cieux. D’ailleurs comment l’Etat distinguerait-il un CAMARA de Mali, d’un autre de Dinguiraye, Kankan, Kouroussa ou Lola ? Les recensements ethniques sont proscrits par l’esprit de notre Constitution. Le dernier en date remonte au début des années 50 !

Le service militaire tel qu’envisagé actuellement est une perte de temps intellectuelle inouïe pour des jeunes qui attendent de l’Etat davantage de moyens pour qualifier notre système éducatif. Si le gouvernement tient à consolider les liens entre l’Armée et la Nation, qu’il s’attelle plutôt à lutter contre les discriminations, les injustices et les discours politiques de plus en plus nocifs pour le tissu social. Que le droit soit la boussole de notre pacte national et qu’on refuse la culture de la médiocrité au détriment de l’effort et de l’excellence.

On pourra toujours rapprocher nos jeunes de l’armée en introduisant des cours de citoyenneté renforcés dans le cursus primaire et secondaire, ou en créant des journées portes ouvertes sur l’armée pour les élèves. La réalisation d’un musée et la création de centres d’information et de recrutement des forces armées dans tout le pays sont susceptibles de susciter plus de vocation chez nos jeune qu’un dilettantisme creux.

Par Mohamed Mara pour la radio Espace Fm

Facebook Comments Box