Comment évitez les manifestations en Guinée ? « Il faut dialoguer », dit Fatta Kourouma du HCR

En séjour en Guinée depuis quelques jours, monsieur Mamady Fatta Kourouma, alias « Le Prince » a accordé ce lundi, 8 janvier 2018, un entretien à des journalistes dont un de Guineematin.com sur la situation des réfugiés à travers le monde et le regard qu’il porte sur la Guinée, en tant que fonctionnaire international travaillant au HCR depuis 20 ans.

Décryptage !

Présentez-vous à nos lecteurs ?

Je suis Mamady Fatta Kourouma « Le Prince », juriste internationaliste guinéen. J’ai étudié en Guinée et aujourd’hui je suis en master professionnel au Cameroun pour l’action sécurisation en Afrique. Nous travaillons sur beaucoup de projets et j’ai été recruté par le HCR en Guinée en juin 1997 pour la crise libérienne. A l’époque, j’étais au cabinet d’avocat avec comme associé, maître Koly Camara. J’ai passé 6 ans comme staff interne au HCR ; mais, national au niveau de N’Zérékoré, Guéckédou, Forécariah et Dabola. Aujourd’hui, je suis international depuis 2003 et j’ai fait 20 ans au HCH. Cela m’a permis de partir de la protection internationale à l’administrateur principal au HCR.

Quelle est la situation globale des réfugiés à travers le monde ?

Mamady Fatta Kourouma : Nous sommes presque débordés par les crises. Nous avons l’une des plus importantes crises aujourd’hui qui est la crise Syrienne. Vous avez aussi la crise au Yémen, celle de la RDC qui perdure ; mais aussi, la crise malienne qui concerne tout le Nord de 4 à 5 pays d’Afrique. J’ai la chance de gérer la partie septentrionale du Cameroun, notamment dans la crise nigériane avec la situation de Boko Haram. Je peux vous dire que le HCR est compétent non seulement pour la protection de tous les réfugiés ; mais aussi de tous les déplacés, les apatrides et les rapatriés.

En Guinée, nous ne sommes pas un pays en guerre ; mais, nous sommes toujours haut placés parmi les pays de demandeurs d’asile. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette situation, selon vous ?

Mamady Fatta Kourouma : Je pense que c’est une situation purement interne. Elle n’est pas propre à la Guinée.

Ce n’est pas un problème de mal gouvernance ?

Mamady Fatta Kourouma : Non ! On ne peut pas parler de mal gouvernance. C’est une situation de crise généralisée. Il faut reconnaître que depuis 1990 jusqu’à nos jours, il y a eu assez de changement au niveau de l’apport des gouvernements africains en général. Vous avez aussi la situation qui fait que l’Europe devient la métropole qui attire la jeunesse compte tenu des différentes crises que nous connaissons aujourd’hui en Afrique. C’est le cas des crises économiques, sociales, le manque d’emploi, etc. Donc, ce n’est pas propre à la Guinée. Vous avez des ivoiriens, des nigériens, des sénégalais, des maliens qui sont retenus aujourd’hui en Libye.

Comment vous gérez les réfugiés qui affluent aujourd’hui en Afrique ? 

Mamady Fatta Kourouma : Pour le HCR, nous avons catégorisé notre assistance. Le cas Libyen est un cas spécifique. Généralement, un réfugié, c’est celui qui quitte son pays suite à une attaque par, soit une partie de son territoire, soit pour des opinions politiques, soit pour des actions raciales, ces personnes traversent leurs frontières  internationales, on les considère comme des réfugiés. Les migrants économiques qui quittent volontairement leur pays pour se rendre en Libye, c’est des choses qu’il faut étudier au cas par cas afin de déterminer qui est réfugié. On ne peut pas les imager globalement comme la situation que nous avons connue ici en Guinée avec la guerre au Libéria, en Sierra Léone où on pouvait dire qu’on connait la situation. Il y a eu une attaque, des troubles à l’ordre public dans une partie de l’Etat et les gens ont traversé une frontière internationale d’où ils sont considérés comme réfugiés.

Quelle est votre analyse de la situation socioéconomique de la Guinée ?

Mamady Fatta Kourouma : En tant que guinéen, je dirais que la Guinée est en marche ; mais, cette marche devrait être accompagnée  par tout le peuple de Guinée. Je crois que pour ceux qui ont connu la Guinée les 30 dernières années, il y a eu quand même un départ. Maintenant, c’est comment ajouter cela à la volonté de l’ensemble c’est sur ça qu’il faut travailler. J’étais avant-hier à Forécariah, j’ai traversé Maférinya, je suis allé à Kindia, je vois que l’agriculture renaît de nouveau et les guinéens commencent à se mouvoir avec leur  possibilité et par leurs propres moyens, la capitale, économiquement est mieux organisée ; mais, je crois qu’il y a un débat qu’il faut organiser.

Le gouvernement américain a décidé de rapatrier beaucoup de nos compatriotes qu’il dit être dans une situation illégale. Etant du HCR, quel regard portez-vous sur cette situation ?

Mamady Fatta Kourouma : En tant que guinéen, je dirais que ce n’est pas encore propre à notre pays, mais à beaucoup d’autres pays. Ma famille vit aux Etats Unis depuis 14 ans. Il y a beaucoup de choses qui se passent aux Etats-Unis et que les gens ne connaissent pas. On a beaucoup de personnes qu’on arrête et qui ont commis des actes contraires aux lois américaines. Certains ont été des récidivistes, d’autres ont commis des crimes et certains ont fait plus de 20 ans sans avoir de papiers. Tous les jours, les américains se retrouvent dans des situations plus ou moins difficiles. Ce n’est plus l’année de la gloire ; mais l’année de la récession. Le monde mouvant est fini, c’est le monde économique ou le combat matériel. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de décisions prise par le nouveau président qui ne sont pas en faveur des immigrés surtout illégaux.

Vous dites que la Guinée est en marche ; mais, quand vous le dites aux guinéens, ils diront que c’est parce que vous n’êtes pas en Guinée. Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y a encore des efforts à fournir, contrairement aux promesses du président Alpha Condé ?

Mamady Fatta Kourouma : D’abord, je ne suis pas politicien. Je voudrais dire que ça se partage. Ce n’est pas parce que je ne vit pas en Guinée ; mais, vous êtes là, ma famille est là, mes parents sont là. Les efforts se conjuguent par des dizaines d’années et non par 5 ans, 10 ans ou 20 ans. C’est pourquoi, il y a les plans quinquennaux, septentrionaux et les plans macros. Pour le cas de la Guinée, en 2011, j’avais de la peine pour atteindre Macenta parce que la route était complètement foutue. Cette année, je peux dire que je peux atteindre Macenta sans avoir assez de difficultés parce qu’elle a été refaite. C’est la même chose, certains diront qu’il y avait combien d’universités ici quand nous étions là ? Il n’y avait que Gamal Abdel Nasser ; et, aujourd’hui, il y en a plusieurs, y compris les privées.

Ainsi, vous êtes convaincu que les choses sont en train de bouger ici ?

Mamady Fatta Kourouma : Je dirais que nous sommes en marche. Il faudrait que nous fournissons des gros efforts pour que cette marche soit organisée ensemble, pas en rang dispersé.

Par rapport à la paix, la Guinée est souvent instable. Chaque fois que quelqu’un est frustré, le soir il brûle des pneus sur la route. Quand on est acteur comme vous, quelles solutions préconisez-vous pour que l’Etat puisse se faire respecter ?

Mamady Fatta Kourouma : Je pense qu’il faut s’asseoir et discuter avec tout le monde. C’est la seule solution, il faut discuter non pas seulement avec les politiciens ; mais avec la population et par tranche d’âge. Il faut aller à Yimbaya, à Matoto, à Sangoya, à Hamdallaye, s’asseoir avec tout le monde pour discuter et comprendre ce qu’il faut pour que ça marche. Ça donnera une vision d’objectifs très différents. Les filles de 17 ans par exemple ne parleront pas des mêmes problèmes que les garçons de 17 ans. De discussion en discussion, on verra les priorités des priorités qu’on pourra accompagner avec des réponses pragmatiques.

Bientôt les élections et nous savons qu’à l’approche de chaque élection, la Guinée tombe dans une situation d’instabilité qui inquiète la communauté internationale. Qu’est-ce qu’il faut cette fois-ci pour éviter de telle situation désagréable ?

Mamady Fatta Kourouma : Je reviens toujours sur la même réponse. Il faut aller au dialogue avec tous les guinéens. Il faut un contact permanent et ne négliger personne. Aller dans les garages, les ateliers, c’est comme la lutte contre le Sida. On a dit que tout le monde peut lutter contre le Sida parce qu’il faut aller dans la rue, dans les ateliers de couture, dans les bars, dans les night clubs, etc. La Guinée est un pays très stable par rapport à beaucoup de pays que j’ai visités dans mon métier au HCR. La Guinée est une véritable famille et c’est ce qu’il faut souhaiter.

Comment avez-vous apprécié la présidence guinéenne de l’Union africaine, étant dans une institution internationale comme le HCR ?

Mamady Fatta Kourouma : C’est l’une des meilleures présidences parce que le président s’est vraiment investi pour la cause de l’Afrique. Ne serait-ce que l’exemple de dire que nous sommes prêts nous-mêmes à financer l’UA. C’est très important et c’est une réponse de l’indépendance de l’Afrique. Pour la crise malienne, pour la cause des entreprises africaines, il en a fait un cheval de bataille. Il a dit publiquement qu’il faut encourager les entrepreneuriats africains et c’est dans ça qu’on pourra se développer. Je pense que ce sont des termes qu’il faut développer à la jeunesse africaine.

La présidence dans le discours ou dans les faits parce qu’on ne voit pas la réalité sur le terrain ?

Mamady Fatta Kourouma : Aujourd’hui, les africains ont commencé à prendre leur destin en main. La plupart des pays africains se sont acquittés et je crois que c’est la meilleure. Nous n’avons pas demandé à l’Union européenne de nous financer. Donc, le président en exercice en a fait un objectif et ça été annoncé. Je crois qu’ils sont en train de lutter encore pour le passeport africain. Tout ceci, c’est pour dire que l’Afrique revient à l’Afrique et nous pouvons répondre en tant qu’africain. Il ne faut pas avoir la tête dans le cosmos et avoir les pieds dans le néolithique.

Vous avez été récompensé après 20 ans de service rendu à HCR. Quelles sont vos impressions par rapport à cette récompense et quelles sont vos perspectives ? Est-ce que vous comptez plus vous impliquer dans votre pays ou continuer dans votre carrière internationale ?

Mamady Fatta Kourouma : Je dirais d’abord Dieu merci parce que 20 ans n’est pas petit, surtout dans cette bataille, dans ce mouvement d’assistance. J’ai connu beaucoup de pays et beaucoup de noms grâce au HCR. Aujourd’hui, j’ai eu 20 ans, c’est très rapide pour moi. Comme j’ai toujours dit à mes amis, nous sommes les fruits de ce pays et nous devons rester dans ce pays. Si l’Etat nous demande un jour de venir avec des objectifs clairs, pourquoi pas ? L’international, c’est pour mener la Guinée à l’international. Mais, l’objectif, c’est la Guinée. La preuve est que c’est ici qu’on vit. Je suis au Cameroun depuis 5 ans ; mais, ça ne fera pas de moi un camerounais. Je connais le Congo, ça ne fera pas de moi un congolais, le Tchad aussi. L’essentiel, c’est notre pays et c’est pourquoi, quand nous venons, nous saluons vos efforts et nous vous encourageons. Il faudra véhiculer le message que la Guinée appartient aux guinéens et qu’elle devrait réconcilier toute la famille guinéenne. J’ai  rencontré le nouveau ministre des Affaires étrangères, c’est le même message qu’il m’a dit. Il est en train de faire un tableau des guinéens au niveau de la fonction publique internationale. C’est dire qu’une attention particulière est portée à ce groupe spécifique qui doit être connu comme des soldats en réserve pour notre pays et non des soldats en fuite. Ce qui signifie que nous pouvons revenir à tout moment.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant votre carrière internationale ?

Mamady Fatta Kourouma : C’est la naissance de ma fille à mon absence. J’étais dans un monde sans réseau. J’ai appris par le téléphone quand j’étais au Tchad, à la frontière avec le Soudan. Je ne pouvais ni partir, ni appeler directement et il fallait revenir sur Ndjamena. C’est au Tchad aussi que j’ai eu ma première promotion pour partir au Cameroun. Ce sont des choses qui m’ont marqué. Il faut parler aussi des élections en Guinée. Quand nous étions à l’extérieur, les gens nous disaient ‘’votre pays, c’est trop difficile’’. Il y avait beaucoup d’interprétations ; mais, quand ça s’est passé dans la paix et dans la sécurité, ça nous a grandis de plus. Tu es à l’extérieur ; mais, ton pied est là, ton esprit est là, ton œil est ici et tu trembles à tout moment quand tu vois un événement qui ne va pas dans le sens du développement, surtout qui peut donner naissance à la violence.

Propos recueillis et décrypter par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

Facebook Comments Box