Moussa Yéro aux femmes : n’attendez pas tout d’un homme qui peut profiter pour vous exploiter, vous martyriser

journaliste et activiste des droits des femmes, Moussa Yero Bah

La journée internationale de la femme est célébrée le 08 mars de chaque année partout dans le monde. Un moment pendant lequel la préoccupation des femmes reste au centre des débats. En prélude à la célébration de cette date en Guinée, un reporter de Guineematin.com a rencontré Moussa Yéro Bah, journaliste et présidente de l’ONG Femmes Développement et Droits Humains en Guinée.

Au cours d’une interview réalisée ce mardi 06 mars 2018, Moussa Yéro Bah s’est exprimée sur la célébration de la fête du 08 mars, mais aussi sur les violences faites aux femmes en République de Guinée.

Guineematin.com : le 08 mars, c’est la journée internationale de la femme. Quel est votre avis sur la célébration de cette journée ?

Moussa Yéro Bah : c’est une célébration annuelle, le 08 mars de chaque année. C’est l’occasion de faire le point sur la situation des femmes à travers le monde. Cette année, on va parler surtout des femmes activistes du monde rural et urbain qui ont un certain impact sur la vie des femmes en général. Je pense que c’est l’occasion pour toutes les femmes du monde de faire le point chaque année, de se regarder dans le rétroviseur et de dire ce qu’on a fait, les avancées qu’on a pu enregistrer, etc. Parce que quoi qu’on dise, il y a quand même des difficultés à obtenir cet épanouissement dont on parle tant. Et, ce résultat qu’on veut atteindre, c’est-à-dire l’objectif du système des Nations Unies qui voudrait qu’en 2030 que toutes les femmes aient un emploi et aient un salaire égal à un travail égal, qu’elles aient un salaire égal au même titre que les hommes. Donc, ce combat est en train d’être mené petit à petit, même si on sait que ce n’est pas gagné d’avance. Parce qu’il y a des difficultés dues à certaines pesanteurs, c’est-à-dire les pesanteurs sociales et culturelles.

Justement vous parlez de difficultés, dites-nous quelques-unes ?

Les difficultés, c’est entre autre la pauvreté. Quand nous prenons la pauvreté, c’est ce qui fait que certains parents n’arrivent pas à amener leurs enfants à l’école. Par exemple, ils se disent que s’ils ont une fille ou un garçon, ils préfèrent envoyer le garçon à l’école ; ça, c’est les pesanteurs sociales et culturelles. Ils stigmatisent la fille et estiment que le garçon pourrait mieux réussir à l’école ; donc, on préfère amener le garçon. Alors que quand la femme a la chance d’être scolarisée, quand elle a la chance de pousser les études et de trouver un travail, elle participe aussi au développement de son pays, elle participe à l’éducation des enfants.

Généralement, la maman est beaucoup plus proche des enfants ; donc, ça permet d’apporter un développement vraiment harmonieux de la société.

D’autres difficultés qu’on peut citer, c’est par exemple le manque d’infrastructures ou l’éloignement. Quand vous partez dans les confins les plus reculés parce que le plus souvent on parle des villes mais dans les zones rurales, les filles ont du mal à aller à l’école à cause des distances.

Le plus souvent, certaines se font agresser en cours de route, il y a des cas de viols qu’on enregistre, des cas de violences que subissent ces jeunes filles à cause de la distance entre leurs domiciles et l’école. Ce qui fait que beaucoup ne parviennent pas à poursuivre les études parce qu’elles ont peur d’être agressées. Il y a aussi les cas de mariages précoces et forcés, on préfère donner la fille très tôt en mariage et dès qu’elle se marie elle commence à faire des enfants, elle n’a plus la chance de poursuivre les études et reste mère au foyer.

Au moment où le monde s’apprête à célébrer la fête du 08 mars, des violences sont encore faites aux femmes. Votre regard sur la situation en Guinée ?

C’est quelque chose qu’il faut déplorer parce qu’il faut le dire, huit femmes sur dix subissent des violences en Guinée. Mais, ce n’est pas une spécificité guinéenne. Les cas de violences se font à travers le monde ; mais, la différence, c’est l’application de la loi. Parce qu’ici les violences conjugales sont punies par le code pénal guinéen. Normalement, on ne doit pas agresser, frapper, violenter sa femme à plus forte raison la tuer.

Et, malheureusement, ce que nous vivons aujourd’hui, c’est des cas comme ça où des femmes sont agressées jusqu’à ce que mort s’en suive. On a vu des cas qui se sont passés à Paris, à Liège en Belgique. Ces derniers temps, le cas de Mariama Kallo, de Oumou Tanbara ; mais aussi de Aicha Touré, la dernière dame qui a été frappée à deux semaines de son accouchement et qui, malheureusement, est décédée. Ce sont des choses qui sont déplorables. Et, je pense que ce qu’il faut faire et dire, c’est de continuer la sensibilisation pour que les femmes comprennent qu’elles ne sont pas obligées de rester dans un foyer où elles sont violentées parce que sinon elles risquent de perdre la vie. Et, quand vous perdez la vie, vous laissez des orphelins ; et, ce n’est pas ce que les parents auraient souhaité, ce n’est pas ce que la société souhaite. On préfère préserver une vie ; et, comme ça, quand vous avez un monsieur qui est violent, éloignez-vous de lui ou bien vous portez plainte à la justice, et ça pourrait faciliter les choses.

L’Etat guinéen va célébrer la journée du 08 mars à travers son ministère de l’Action sociale et de la protection féminine. Quelles sont vos attentes de la part de ce ministère ?

Le ministère de l’Action sociale d’ici fait son mieux qu’il peut pour célébrer cette journée. Mais, je pense que il y a beaucoup de choses qui sont prévues, surtout le fait d’aider les jeunes dames qui travaillent à l’intérieur du pays, qui sont dans les coopératives. Les teinturières par exemple dont le travail va être mis en exergue ; ça, c’est un pas à saluer parce que ces femmes-là travaillent dans l’ombre. Elles n’ont quelque fois pas suffisamment de moyens de faire la promotion du travail qu’elles font, c’est-à-dire la teinture. Donc, le fait de mettre le travail que ces femmes-là font en exergue, c’est un pas à saluer. Le fait aussi de pouvoir remettre des prix à des femmes qui ont évolué dans les mutuelles de financement, qui ont pu réellement gérer les fonds qu’on leur a alloués et gérer ces fonds à bon échéant, leur donner des prix, ça pourrait encourager d’autres femmes à travailler davantage. Parce qu’il faut le dire, il y a beaucoup de femmes qui sont au chômage. Pourquoi, parce que justement elles n’ont pas suffisamment de moyens pour commencer leurs entreprises ou parce qu’elles n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ou bien parce qu’elles n’ont pas pu être soutenues. Parce que si nous voyons un peu les statistiques données par les Nations Unies, vous avez près de 628 millions de jeunes dont la majorité est composée de femmes qui sont au chômage à travers le monde. Donc, mettre en exergue le travail de certaines femmes, surtout qui évoluent dans les zones rurales est un acte à saluer. On voudrait surtout que ces femmes soient appuyées après cette fête et qu’on accorde peut être des prêts à ces femmes pour qu’elles puissent lancer des activités génératrices de revenus. Les former aussi à certaines activités professionnelles telles que la teinture, la saponification, ça pourrait permettre aussi de ne pas tendre la main. L’autonomisation des femmes est un grand facteur de développement d’une nation. Si les femmes sont autonomes, si elles réussissent à gagner leurs vies, à gagner le pain quotidien de la famille, ça permet d’aller vers le développement.

En célébrant cette fête, quel est votre message à l’endroit de vos collègues femmes ?

Que toutes les femmes se lèvent, se battent, qu’elles attachent leurs pagnes, qu’elles sachent qu’on ne peut pas rester derrière tout le temps à attendre qu’on nous donne quelque chose ou qu’on nous offre un cadeau sur un plateau d’or. Il faut se battre, il faut arracher par exemple la célébrité, la richesse, tout ce qui peut faire de toi une personne indépendante, ça s’arrache. Tout ce qui peut faire de toi aujourd’hui une personne reconnue à l’échelle de ton pays ou à l’échelle internationale, c’est une lutte ardue. Il faut se battre, il faut étudier, il faut accepter de se former ou bien il faut apprendre un métier qui puisse nous permettre vraiment de rester indépendant, d’être libre ou d’être autonome. Ça permet d’aller de l’avant et ne pas attendre toujours tout de l’Etat.

Il y a de petites choses qui peuvent vous permettre de devenir quelqu’un d’indépendant en faisant le commerce par exemple, en apprenant la couture, en apprenant la teinture ou même la restauration ou la coiffure. Il n’y a pas de sot métier et y a même des femmes qui travaillent à domicile et qui essayent de gagner leurs vies. L’essentiel, c’est d’attendre quelque chose à chaque fin du mois et que vous puissiez avoir quelque chose par vous-même pour vous permettre d’apporter votre pierre à l’édification de votre pays. Pour vous permettre de prendre votre vie en charge, de prendre la vie de votre enfant en charge pour ne pas attendre forcément tout d’un homme qui, quelque fois, pourrait se servir du fait que vous n’avez rien sous la main pour vous martyriser, pour vous exploiter. Donc, il faut être autonome tout en en se battant.

Interview réalisée par Siba Guilavogui pour Guineematin.com

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