Hery Djéhuty, bras droit de Kemi Séba : « les dirigeants africains sont inféodés et soumis à l’étranger » (Interview)

Le refoulement de l’activiste panafricaniste Kemi Séba de l’aéroport de Conakry, il y a quelques jours, continue d’enregistrer diverses réactions. Le franco-béninois, qui répondait ainsi à une invitation de l’artiste Elie Kamano, devait organiser une série de conférences en Guinée. Pour parler de ce refoulement et des objectifs du mouvement Urgences Panafricanistes, Guineematin.com a reçu la visite de Hery Djéhuty, bras droit de Kemi Séba. Dans cette longue interview, réalisée samedi 10 mars 2018, Hery Djéhuty est revenu sur plusieurs sujets.

Guineematin.com : Kemi Seba, c’est cet activiste désormais assez connu sur le plan africain et même international, récemment refoulé de l’aéroport international de Conakry. Alors, vous qui êtes un des proches collaborateurs de monsieur Séba, quelles sont vos impressions par rapport à cette action des autorités guinéennes ?

Hery Djéhuty : écoutez ! Ce sont les guinéens qui se sont mis en porte-à-faux avec l’opinion publique africaine en global, puisque tous les medias africains ont été indignés par ce refoulement. Le fait qu’un gouvernement africain interdise à un citoyen panafricain , un ressortissant de la CEDEAO, un béninois qui était en règle, qui a tous ses papiers, qui avait la possibilité de fuir le sol africain du fait qu’on lui refuse de venir sur le sol guinéen, a permis un peu de braquer les projecteurs sur ce régime et sur ce caractère anti-panafricain.

Guineematin.com: est-ce que c’était opportun à un moment où justement il y a une succession de crises dans ce pays que Kemi Seba tente de venir en Guinée ? Est-ce que c’était le moment propice à ce genre d’initiative ?

Hery Djéhuty : écoutez ! C’est au moment où il y a de crise, au moment où il y a d’autres tentions, au moment où il y a des blocages qu’il faut qu’il y ait une médiation, qu’il faut qu’il y ait une communication. Lorsqu’en Afrique vous avez une crise politique, nos dirigeants de ce pays sont les premiers à vouloir une médiation qui vienne de l’extérieur. Là, il s’agissait de communiquer, d’échanger, de faire en sorte qu’on puisse discuter sur les questions de la bonne gouvernance. C’est un message pacifique. Qu’est-ce qu’on veut ? On veut qu’il y ait des guerres, on veut qu’il y ait des conflits ? On veut qu’il y ait des gens dans la rue et qui se fassent tirailler par la police ? Où on préfère se rassembler, trouver une solution, au tour de la discussion. Ce sont les idéaux panafricains, c’est la méthode qui est la notre, c’est la méthode de Kemi Séba, c’est la méthode de non-violence. Au contraire, plus que jamais, il était nécessaire, il était intéressant que Kemi Séba puisse venir en Guinée et aller à la rencontre de jeunesse de ce pays.

Guineematin.com : c’était donc à cela l’objectif de sa mission en Guinée ?

Hery Djéhuty : Kemi Seba devrait se rendre en Guinée sur l’invitation de l’activiste Elie Kamano. Il s’agissait d’un cadre de tournée qu’il a l’habitude de faire pour le compte de son organisation non gouvernementale, de sensibiliser la jeunesse, sensibiliser les étudiants sur la question de la souveraineté africaine, sur la nécessité que cette jeunesse doit se responsabiliser, de ne plus compter sur les élites qui ont démissionné. Donc, ce message de responsabilisation, ce message de réveil des consciences, ne pouvait pas être accepté par un gouvernement qui méprise les aspirations de sa population. Preuve en est la grève actuelle qui secoue ce pays, preuve en est le blocage suite aux élections communales au début février. Les autorités savaient quelle était l’audience, la filiation, la fusion qui est entre Kemi Seba et la jeunesse de ce pays. Et, ils ont tout fait pour torpiller ce déplacement, d’où le fait qu’il n’a pas été possible pour lui de fouler le sol guinéen.

Guineetain.com : est-ce que les autorités guinéennes avaient été informées de son arrivée et des raisons de sa visite en Guinée ?

Hery Djéhuty : je ne comprends pas pourquoi cette question revient. Lorsque Kemi Seba se déplace, il est enregistré, il communique sur les endroits où il se déplace. Quand quelqu’un vient de faire un contrat pour exploiter un minerai, est-ce qu’il a besoin de s’annoncer en public ? Sa tournée a été annoncée. Tout le monde savait que Kemi Séba allait se rendre sur le territoire. Mais, jusqu’à preuve du contraire, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas eu un seul communiqué émanant de la part des autorités guinéennes nous justifiant pourquoi Kemi Séba a été refusé d’accès sur le sol guinéen.

Guineematin.com : est-ce que vous êtes venu avec Kemi Seba dans le même avion ?

Hery Djéhuty : je suis venu après lui, sur un autre vol. Arrivé sur place, on a trouvé la porte-parole de l’organisation qui est venue de Dakar, et nous avons appris qu’il a été refoulé dans l’avion, qu’on l’a empêché de descendre. Nous ne venons pas en Guinée pour créer le désordre, nous ne venons pas en Guinée pour s’ingérer dans les affaires intérieures. On vient discuter, parler de bonne gouvernance. Je suis en train de dire, parce que justement, la Guinée de Sékou Touré a été capable de dire NON au francs CFA, le refoulement de Kemi Séba sur ce territoire est une négation de la grande histoire de ce pays. La plupart des africains ont vécu cet acte comme quelque chose d’ignoble, de scandaleux.

Guineematin.com: Kemi Séba a eu aussi des problèmes avec les autorités sénégalaises, avec ce billet de franc CFA qu’il a brulé. Est-ce qu’aujourd’hui il n’y a pas une volonté des autorités ou des gouvernements respectifs de tenter un petit peu de lui mettre les battons dans les roues ?

Hery Djéhuty : C’est clairement évident que le combat que mène Kemi Séba vise à l’émancipation de l’Afrique. Nous voulons un continent africain qui puisse jouir de ses richesses. Pour cela, il faut mettre en cause toutes les séries de contrats et d’accords qui ont été passées par entre les classes politiques corrompues et l’oligarchie de l’occident. Le problème, il est là. Nous n’avons aucun problème avec la jeunesse, nous n’avons aucun problème avec la population africaine qui doit ensemble comprendre la justesse de notre combat. C’est un combat non pas générationnel, c’est un combat contre une majorité qui est prolétarisée, qui est paupérisée, qui lutte contre une petite caste oligarchique.

Guineematin.com : Kemi Séba est franco-béninois. Le Benin est un pays membre de la zone CFA, qu’est-ce qu’il a fait pour emmener ce pays à créer sa propre monnaie comme la Guinée, la Gambie, la sierra Leone et d’autres pays qui ont refusé de rester sous la coupe de la France ?

Hery Djéhuty : Kemi Séba est un activiste qui a une organisation, qui je vous le rappelle, à partir de janvier 2016, a mis au centre de ses actions, la lutte contre le francs CFA. Ça fait plus de 30 ans, on avait des experts, des spécialistes qui luttent contre le franc CFA sans aucun résultat. Notre objectif est simple. On a envie de travailler avec toutes les personnes qui sont de bonne volonté pour qu’il y ait un changement en Afrique. Mais il y a une méthode et une façon particulière d’agir et de travailler sur ces questions. Aujourd’hui, lorsque vous avez des dirigeants politiques qui se rassemblent pour trouver une voie de sortie du franc CFA, c’est la conséquence du travail qui a été mené par la société civile et le front anti-CFA. Donc, il faut que chacun puisse travailler en bon intelligence.

Guineematin.com : Justement, qu’est-ce qu’il a fait au Benin ? Pourquoi il est parti à Dakar, brûler un billet de franc CFA au lieu de le faire chez lui au Benin pour donner le coup d’envoi ?

Hery Djéhuty : écoutez ! Kemi Séba est un panafricain, il est Béninois. Il était installé à Dakar, au Sénégal, qui est une terre Africaine. Peut être vous faites partie de ceux qui considèrent que chacun doit rester à sa résidence. Moi, je ne vous vois pas protester, lorsque vous avez des investisseurs étrangers qui viennent piller votre pays. Je ne vous vois pas demander, lorsqu’il y a une conférence de presse interrogé un Bolloré, ou un investisseur brésilien, turc, iranien, pourquoi ne pas investir dans son pays. Nous sommes des panafricains, nous considérons notre pays dans chaque pays africain. Que ça soit au Sénégal, en Guinée, au Cameroun, en cote d’Ivoire. Ce sont les mêmes problématiques de sous-développement. Les africains, la jeunesse ont compris. Chacun a compris qu’il faut s’entraider, il faut s’unir, il faut se rassembler pour qu’on en finisse avec cette injustice. Donc, Kemi Seba a la faculté de se déplacer dans n’importe quel pays africain.

Guineematin.com : Quels sont les pays dans lesquels évolue votre mouvement Urgences Panafricaines et comment ça fonctionne ?

Hery Djéhuty : on évolue en majorité dans les pays francophones, dans les pays de la zone lusophone, dans les pays de la zone anglophone. L’objectif, il est un, il est simple. Nous n’arriverons jamais à gagner notre indépendance, notre liberté si nous sommes divisés, si nous sommes segmentés. L’idée est de créer des convergences entre les différents mouvements panafricains de tous ces pays pour que nous puissions parler d’une seule et même voix.

Guineematin.com : vous luttez contre la division de l’Afrique. Voulez que l’Afrique soit considérée pratiquement comme un seul pays. Est-ce vous pensez que les dirigeants africains comprennent ce combat ?

Hery Djéhuty : les dirigeants Africains majoritairement, à quelques rares exceptions, les dirigeants politiques sont inféodés et sont soumis à l’étranger. Donc, il ne faut pas compter sur eux pour que le processus de liberté du continent africain se fasse. Aujourd’hui, il y a quelques présidents qui se drapent sur des mots vertueux du panafricanisme. Vous avez dans ce pays, le président Alpha Condé qui avait un peu essayé de berner les plus naïfs en adoptant des propos sur le franc CFA, en expliquant que les africains avaient nécessité de se retrouver entre eux pour rabaisser la question de la crise au Togo. Mais, lorsqu’on est confronté à un cas réel, à un cas concret, les masques tombent. On voit finalement que tout ça ne peut prospérer. Les dirigeants africains ne sont pas légitimes pour parler de panafricanisme. Ce sont des traitres à l’égard de l’histoire. Cette idéologie est partagée par des masses africaines, partagée majoritairement par la société civile, et c’est elle qui être porteuse de ce grand changement.

Guineematin.com : selon vous donc c’est la société civile qui doit porter le combat, pour emmener l’Afrique à s’unir et à faire face aux véritables problèmes qui l’assaillent ?

Hery Djéhuty : dans les pays ou la nation est constituée, le pouvoir politique doit jouer son rôle. Le problème, on a des classes politiques qui n’ont pu jouer leur rôle. C’est le même cycle. Vous avez un pouvoir inique, un pouvoir injuste. Vous avez ensuite une opposition qui dit lutter contre le président au pouvoir. Une fois que cette opposition accède au pouvoir, finalement il n’y a pas de grands changements. Donc finalement, c’est à la société civile de faire la pression, de pousser, parce qu’elle est en contact aux réalités du peuple. C’est elle qui à une véritable expertise, parce qu’elle vit ce qui se passe sur la politique, sur l’économie, sur la sociologie, sur l’écologie. C’est elle qui, en s’organisant, doit contribuer à éveiller le peuple au maximum et être une espèce de caisse de résonance de ce que veut le peuple. Nous ne croyons plus le terrain politique classique de ces opposants qui tiennent leur ordre de mission en voyageant à Londres, à Berlin, à Washington, à Paris pour donner des crédits en disant le jour où nous arriverons au pouvoir, nous assurerons la continuité des contrats. Voilà pourquoi, à chaque fois, ils déçoivent la population.

Guineematin.com : Kemi Seba n’a pas pu donc avoir accès à la terre guinéenne. Mais vous, vous êtes arrivée ici, est-ce que vous avez rencontré les ONGS qui vous ont invités et quel est le message que vous avez livré à ces ONG ?

Hery Djéhuty : l’accueil a été extraordinaire. J’ai passé les huit jours à rencontrer les responsables des différentes associations, nous avons échangé. J’ai pu voir de quelle façon ils travaillent. Ce qui est important c’est de parler avec le peuple, de parler avec la population pour qu’ils nous disent ce qui ne va pas, qu’ils nous disent les problèmes auxquels ils sont confrontés. Kemi Séba, dans tous ses déplacements, il prend toujours le temps pour recevoir les gens des différentes organisations.

Guineematin.com : vous avez certainement écouté ces ONG comme l’avez dit. Vous avez entendu les réalités dans lesquelles elles travaillent. Quel est le constat que vous faites par rapport à l’actualité guinéenne ?

Hery Djéhuty : finalement, ce n’est pas une actualité politique qui est si différente des autres pays. Pour ce qui est de la crise électorale, suite aux élections locales du 4 février, on a une opposition qui ne reconnaît pas le scrutin qui considère qu’il y a eu des fraudes. Il y a un pouvoir qui veut trainer les choses. Il y a une CENI qui va forcement donner un résultat en faveur du régime. Parce que cette commission électorale n’est pas indépendante et a un lien avec la présidence. Donc, les mêmes problématiques, les mêmes blocages électoraux se trouvent dans tous ces pays. Que ça soit en Guinée, au Cameroun, d’où l’importance de sortir des espèces de nationalités étriqués et avoir une vision extérieure.

Guineematin.com : comme vous l’avez dit les pays africains généralement ont toujours des problèmes lorsqu’il y a des élections. Est-ce que selon vous, il ne faut pas revoir le modèle de la démocratie que nous appliquons en Afrique ?

Hery Djéhuty : totalement, ça fait partie des branches que Kemi Seba devrait s’exprimer, dans son prochain livre où il est en train de travailler, il abordé une question que nous nous appelons la tragi-démocratie. On a un modèle de démocratie qui a été importé au moment des indépendances depuis l’Occident avec des constitutions qui sont faites aux bureaux de l’Elysée qui ne collent pas aux réalités, qui permettent à nos dictateurs, à nos sous-préfets locaux, de procéder aux différents tripatouillages. On a des institutions qui donnent l’apparence qu’elles renvoient à une véritable République. Mais en réalité, tout est géré par le président de la République. Il n’y a pas de véritable indépendance d’où le blocage institutionnel que nous rencontrons. L’objectif c’est de faire en sorte que dans la démocratie Africaine qu’il puisse avoir des véritables contre pouvoirs. Qu’il puisse avoir le fameux conseil de sages qui a la possibilité, si nous avons un président qui se comporte mal, d’être révoqué comme on faisait à l’époque de nos royaumes. Il y avait un conseil de notables, si le roi en question n’avait pas une gouvernance qui devrait contribuer au bien être de la collectivité, il était révoqué.

Guineematin.com : certainement le pouvoir vous qualifie de perturbateur. Votre groupe panafricaniste comment on peut vous croire ? On ne vous voit qu’à la télé ou sur les réseaux sociaux ?

Hery Djéhuty : c’est de bonne guerre pour celui qui voit mal votre action politique. Nous, on ne perturbe pas. Ceux qui perturbent ce sont ceux qui ne sont pas capables de donner un salaire décent aux enseignants de ce pays, ils ne sont pas capables d’offrir un fonds social pour permettre aux femmes d’aller célébrer le 8 mars. Ceux qui perturbent, ce sont ceux qui ne sont pas capables de doter ce pays d’institutions qui permettent, lorsqu’il y a élection, qu’il n’y ait pas de blocage institutionnel. Ce n’est pas nous. Nous n’avons pas d’armes, nous n’avons jamais appelé à la violence. Ça fait plus de 20 ans que Kemi Séba est activiste. Vous ne trouverez jamais un seul acte de violence de la part de Kemi Séba. Donc, ce discours de la diabolisation, il est connu.

Guineematin.com : quel est le mot de la fin ?

Hery Djéhuty : je tiens à adresser mes chaleureux encouragements à la jeunesse guinéenne qui nous a accueillis de la meilleure des façons. Je pense qu’il y a une maturité de la part de la population africaine, de la part de la jeunesse africaine et vous avez un rôle à jouer dans ce processus en tant que medias africain. C’est de contribuer à ces faits de masse. Il y a une répartition des rôles. Que chacun doit jouer sa partition et que finalement ce grand basculement sera profitable à tout le monde. J’ai pu voir la veuve de Sékou Touré ce dimanche (madame André Touré, ndlr), qui nous a félicité pour notre action, qui a donné ses bénédictions les plus chaleureuses à Kemi Séba et pour tout ce qu’il représente pour la jeunesse Africaine.

La rédaction de Guineematin.com

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