Qui est Boubacar Diallo, alias « Grenade », le joker de la justice guinéenne ?

Dans une déclaration publiée le jeudi 15 mars 2018, le Parquet du tribunal de première instance de Dixinn, a annoncé l’arrestation de Boubacar Diallo alias « Grenade ». Un jeune militant actif de l’UFDG, accusé entre autres de détention illégale d’armes à feu et qui est placé sous mandat de dépôt à la maison centrale de Conakry, où il attend son jugement. Il est soupçonné notamment d’avoir tiré sur des manifestants et sur des agents des forces de l’ordre lors des manifestations politiques à Conakry.

En mai 2016, le jeune homme avait reçu une balle lors d’un affrontement entre des partisans de l’UFDG et les forces de sécurité à Hamdallaye. Peu après cet incident auquel « Grenade » a réussi à survivre grâce aux soins qu’il avait reçus, le site investpress.info, avait cherché à comprendre ce qui s’est réellement passé en allant à la rencontre du jeune homme en question.

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’entretien que « Grenade » avait alors accordé à nos confrères.

Bonjour

Comment vous êtes – vous retrouvé dans une telle situation, vous devriez être sur les bancs, avez-vous été inscrit à l’école par vos parents ?

Boubacar Diallo, alias Grenade

Boubacar Diallo : Ecoutez, je m’appelle Boubacar Diallo, je suis né en 1994. J’ai effectivement été à l’école et j’ai étudié jusqu’en 9ème année, mais mes parents ont divorcé alors que j’étais très jeune. Ma maman tombait souvent malade, elle souffrait de fièvre typhoïde. Quand son état était plus ou moins stable, je partais à l’école et quand elle faisait une rechute, je séchais les cours pour m’occuper d’elle. Mon papa voulait que je reste chez lui, mais je tenais trop à ma mère et je ne voulais pas l’abandonner. C’est ainsi qu’il m’a dit que si je ne restais pas avec lui, il ne paierait plus mes études. J’ai décidé alors de rester avec ma mère et de poursuivre les cours dans une école publique. Elle s’était remariée, nous n’avions pas beaucoup de moyens. En 2010, j’ai abandonné les études pour me lancer dans le petit commerce, vu que l’état de santé de ma mère se dégradait de jour en jour. De 2010 à 2011, un de mes grands qui gravait des CD au grand marché de Madina m’a confié son conteneur qui se trouvait alors à la cité Enco5. Entre temps, la maladie de ma mère s’est aggravée, elle a été hospitalisée au CHU Donka. Cette situation me perturba encore une fois. J’ai dit à mon grand (le propriétaire du conteneur NDRL), de trouver quelqu’un qui pourrait me remplacer. Mais comme il avait confiance en moi, il m’a dit de trouver moi-même quelqu’un que je vais laisser là-bas. Ce qui fût fait, et je suis allé ainsi rester à côté de ma mère. Il était question de l’évacuer à Dakar, mais le temps de régler les papiers médicaux, elle est décédée. Je me souviens encore de ce jour, c’était un vendredi, je suis resté à côté d’elle jusqu’à 23 heures. Ma grand-mère m’a dit d’aller dormir parce que je passais la nuit chez un ami dans le voisinage. Je ne voulais pas y aller, mais elle a insisté à tel point que je suis parti. Aux environs de 2 heures du matin, ils ont appelé le jeune chez qui je dormais pour lui annoncer la mort de ma mère. Il m’a réveillé et m’a dit de venir avec lui chez nous, sous prétexte que ma maman bougerait à 3 heures du matin pour Dakar. En arrivant chez nous, j’ai entendu les pleurs, j’ai compris alors que ma maman est décédée et je suis tombé de la moto, j’avais 17 ans. Le plus dur pour moi a été le refus de mon père d’assister aux obsèques de ma mère, il n’a même pas laissé sa femme venir.

Après le décès de votre mère, avez-vous essayé de vous réconcilier avec votre père ?

Boubacar Diallo : Je suis venu vivre chez lui, mais sa femme ne me traitait pas comme son enfant. Parfois même, elle ne répondait même pas à ma salutation. Quand j’informais mon père, il me disait ceci : « Que tu le veuilles ou pas, c’est ici que tu vas rester, je ne peux rien faire d’autre ». Je ne pouvais pas rester avec une femme qui ne me commissionnait pas, qui ne me considérait pas comme un membre à part entière de sa famille. J’ai décidé alors de retourner chez le second mari de ma mère qui, au moins m’écoutait et me consultait comme si j’étais son propre fils. Pendant ce temps, je continuais à vendre les CD, et en même temps je conduisais aussi un mini bus que ma tante, une des jeunes sœurs de ma maman m’avait confié. Je ne m’en sortais pas mal entre les deux, j’avais placé un ami au niveau du conteneur qui me rendait compte, et tout allait pour le mieux.

Comment vous êtes-vous retrouvé comme militant de l’UFDG ?

Boubacar Diallo : Depuis 2012, J’ai rejoint ce parti parce que, El Hadj Cellou est l’espoir de cette jeunesse qui chôme aujourd’hui en Guinée, qui est complètement désespérée. Je me suis inscris volontairement dans la section motard parce que je crois en ce parti.

Qu’est-ce qui s’est réellement passé ce jeudi, 19 mai 2016, après l’inhumation de Mamadou Saidou Bah au cimetière de Bambéto ?

Boubacar Diallo : Après l’enterrement, nous retournions au domicile de notre président. Quand nous sommes arrivés aux alentours du siège du RPG, au niveau de la station, les gendarmes étaient encore de l’autre côté de la route. Dès qu’ils nous ont aperçus, ils ont traversé. Mes amis ont commencé à paniquer. Je leur ai dit de marcher doucement sans se préoccuper des agents parce que je croyais que la presse était parmi nous. J’ai dit, allons s’ils nous provoquent, la presse sera témoin qu’on était juste de passage et que c’est eux qui ont quitté le côté du siège pour nous provoquer. Automatiquement, ils ont tiré du gaz lacrymogène sur nous, la banderole que nous détenions est tombée. Je l’ai ramassée et j’ai dit aux autres de continuer, parce qu’il était hors de question de reculer même s’il fallait mourir. C’est ainsi que l’un d’eux qui était sur le trottoir m’a appelé en disant : « Grenade, Grenade », dès que je l’ai regardé, il m’a tiré dessus. Mes amis ont alors réagi en jetant des cailloux pour me permettre de quitter les lieux. Je me suis mis à courir sans me rendre compte que j’étais atteint par une balle. J’ai constaté alors que je saignais du nez, de la bouche, mes habits étaient imbibés de sang. Les militants se sont écriés: « Ils t’ont tiré dessus ! ». Ils m’ont pris sur une moto pour le centre médical Jean Paul II. Quelques minutes après, alors qu’on m’administrait les premiers soins, quelqu’un est venu nous alerter qu’un pick-up était en route pour le centre. Ils ont ainsi appelé une de mes tantes qui est venue les aider à me faire quitter les lieux pour la Polyclinique de Dixinn. Quand on est arrivé là-bas, les médecins nous ont demandé de faire une radiographie. Nous quittons alors l’endroit en compagnie d’un médecin parce qu’on n’y faisait pas la radio. En cours de route, on nous a informés que le colonel Balla Samoura est arrivé sur place avec huit camionnettes, demandant après moi. Je me suis demandé alors qu’est-ce que je représente au sein de l’UFDG pour qu’on s’acharne ainsi contre ma personne. Je ne suis qu’un simple militant, pourquoi on m’en veut à ce point ? Ils ont tiré sur moi, cela devrait suffire. Peut-être veulent-ils m’éliminer parce qu’ils savent que je peux reconnaître celui qui m’a tiré dessus.

Nous avons appris que vous étiez armé, que vous déteniez une kalachnikov et que vous avez ouvert le feu sur les gendarmes présents au niveau de l’ancien siège du RPG. Que répondez-vous ?

Boubacar Diallo : Je ne détenais aucune arme sur moi. C’est quand on m’a tiré dessus que les jeunes ont jeté des cailloux pour ne pas qu’on me mette la main dessus. Si je détenais une telle arme tel qu’ils le disent, j’aurais blessé au moins quelques-uns parmi eux, même si moi je tombais mes amis s’en seraient servis pour riposter. Je n’ai jamais fait du banditisme, si j’étais un bandit, les gens qui me confient leurs affaires n’allaient pas le faire. S’ils le font, c’est parce qu’ils ont confiance en moi. Allez-y à Wanindara et renseignez-vous, demandez qui je suis, ils vous diront si je suis un bandit ou pas. Tous les militants de l’UFDG que vous voyez lors des manifestations ont des occupations même s’ils sont jeunes, ils ont toujours quelque chose à faire, nous ne sommes pas des délinquants.

Nous avons des informations selon lesquelles vous seriez un repris de justice, vous auriez fait la maison centrale à plusieurs reprises. Est-ce vrai ?

Boubacar Diallo : J’ai fait la maison centrale une seule fois pendant deux semaines, c’était lors des manifestations politiques de 2012 en prélude aux législatives. Ce jour-là, je venais de déposer la moto d’un frère à la maison, j’ai constaté que les gens fuyaient dans le quartier T5 au niveau du carrefour marché dans la commune de Ratoma. Je leur ai demandé ce qui se passait, ils m’ont dit que les agents de sécurité pourchassaient des militants. J’ai réagi en disant, mais si vous n’avez rien à vous reprocher, pourquoi vous fuyez ? Je suis allé ensuite m’arrêter devant la concession des voisins en bordure de route. Un pick-up qui passait m’a interpellé pour me déposer à la gendarmerie de Wanindara Rails, c’est ainsi que je me suis retrouvé à la maison centrale. Lors du procès au TPI de Dixinn, le procureur n’a retenu aucune charge contre moi quand je me suis expliqué. J’ai été libéré 14 jours après mon arrestation. C’était la seule fois que j’ai fait la maison centrale de Coronthie.

D’où tenez-vous votre surnom « Grenade » ?

Boubacar Diallo : Une fois, lors d’une manifestation, quand notre président a été attaqué en rentrant du TPI de Dixinn, la police a lancé une grenade lacrymogène. Avant qu’elle n’explose, je l’ai reprise et l’ai jetée sur les agents eux-mêmes. Une autre fois, lors des marches pacifiques de 2013, alors que la marche a été interdite sur l’autoroute, l’on s’y rendait avec tous les leaders de l’opposition républicaine via l’aéroport. Je ramasse alors une aubergine que je brandis comme étant une grenade. Je fonce sur les policiers l’aubergine en main et je crie : Hé, M. l’agent ! Il m’a regardé alors que les autres fuyaient, j’ai fait semblant de dégoupiller une grenade en disant : « On va tous mourir ici », j’ai jeté l’aubergine dans la camionnette. Les policiers qui se trouvaient à bord du véhicule ont tous sauté en y laissant leurs armes, parce qu’ils croyaient que c’était une grenade. Depuis lors, les gens m’appellent grenade.

Transmis à Guineematin.com par Idrissa Sampiring Diallo

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