Forum des états généraux des droits de l’Homme : le constat mitigé et les exhortations de Gassama Diaby

Le ministre de l’unité nationale et de la citoyenneté a lancé hier mercredi, 20 juin 2018, le forum national des états généraux des droits de l’Homme en Guinée. La rencontre qui se tient à Conakry, mobilise de nombreux acteurs concernés par la question. Ils vont travailler pendant trois jours, sur la politique nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme ainsi que son plan d’action. En lançant ces travaux, le ministre Kalifa Gassama Diaby a fait le diagnostic de la situation et interpellé chacun sur son rôle en faveur de la promotion et de la protection des droits humains dans notre pays.

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité de son discours d’ouverture du forum national des états généraux des droits de l’Homme.

Mesdames et Messieurs,

C’est avec un immense plaisir que je vous accueille en ce mercredi, 20 juin 2018 pour l’ouverture de ce Forum National des Etats Généraux des Droits de l’Homme qui nous conduira ensemble à déterminer ce que doit être notre lettre de politique nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme ainsi que son plan d’action. Pour les populations de la Guinée, pour le peuple de Guinée, et dans le respect de nos engagements internationaux et régionaux, nous nous devons, pendant trois jours, d’accomplir un travail irréprochable, rigoureux, honnête et juste.

La tenue de ce Forum coïncide avec la célébration cette année du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, un document fondateur qui a proclamé les droits inaliénables de chaque individu en tant qu’être humain, sans distinction aucune. Nous sommes tous égaux, quel que soit notre race, notre couleur de peau, notre sexe, notre langue, notre religion, notre opinion politique ou toute autre opinion, notre origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou toute autre situation. Ne l’oublions jamais, nous nous devons d’en être convaincus.

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme nous responsabilise tous. Nous devons défendre nos droits et ceux des autres. Mais elle responsabilise encore plus l’Etat parce qu’il est le débiteur principal en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme. Je compte sur vous tous.

Je dois aussi vous dire que c’est avec un immense soulagement que je vois aujourd’hui s’ouvrir ce forum qui représente la dernière étape d’un long, difficile et complexe processus, les Etats Généraux des Droits de l’Homme, qui a débuté en 2014 et qui nous a tenu, les uns et les autres, au bout de nos énergies, de nos passions et de nos engagements jusqu’à présent.

J’en profite pour remercier publiquement les partenaires techniques et financiers qui nous ont accompagnés jusqu’à présent : en particulier le Système des Nations Unies à travers l’Organisation du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme (OHCDH), l’Union Européenne mais aussi la FIDH, et plus récemment Search for Common Ground.

Rappelons brièvement le contexte dans lequel se sont déroulés ces Etats Généraux des Droits de l’Homme.

Les Etats Généraux des Droits de l’Homme – un processus participatif sur plusieurs années. Une vision avait été dégagée pour faire de la Guinée un pays émergent à l’horizon 2040. Des engagements étaient également pris dans le sens de la réconciliation des guinéens, mais aussi dans la formulation et la mise en œuvre d’une politique nationale de promotion et de protection des droits humains.

C’est dans cet esprit que le Ministère des Droits de l’Homme et des Libertés Publiques (MDHLP) était créé en septembre 2012. Il lui succèdera en décembre 2015 le Ministère de l’Unité Nationale et de la Citoyenneté. Conscient de la situation des droits de l’Homme dans le pays, les équipes de ce Ministère enclenchent un processus dynamique et participatif, appelé Etats Généraux des Droits de l’Homme. Il est envisagé comme un moment de discussions et de définition des grandes orientations de l’ambitieux projet de construction d’une société respectueuse de la dignité humaine.

Après la conception des outils et la formation des acteurs, des consultations préfectorales ont permis entre 2014 et 2017 l’analyse contextuelle de la situation des droits de l’Homme en Guinée, la cartographie des violations aux droits de l’Homme et la formulation de recommandations et de grandes orientations pour la promotion, la diffusion et la mise en œuvre des droits de l’Homme dans le pays. Les consultations ont aussi été l’occasion d’informer et de sensibiliser les populations sur leurs droits et devoirs, et de les conscientiser aux enjeux liés à la problématique des droits de l’Homme.

Deux ateliers ont ensuite eu lieu en 2016. Ils ont permis d’élaborer le Rapport diagnostic des consultations préfectorales et de dégager les recommandations recueillies au fil du processus. C’est sur la base de ce rapport que nos travaux vont s’achever avec la tenue de ce Forum National des Etats Généraux des Droits de l’Homme. Une Lettre de politique nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme, ainsi que son plan quinquennal chiffré, sera présentée dans les prochaines semaines au Gouvernement.

La question des droits de l’Homme n’est pas une question théorique, elle est au cœur de la vie de chacun de nous en Guinée. Elle doit être au cœur de la politique du gouvernement. Les valeurs et principes que véhiculent les droits de l’Homme sont indispensables à une vie humaine harmonieuse et paisible. Croire fermement en l’égalité de tous les hommes et femmes, en la justice et en la liberté fait de chacun de nous des acteurs de la paix.

Notre Constitution ne contient pas moins de vingt-deux articles garantissant les droits de l’homme. Ces articles constituent pour chacun de nous, gouvernants et gouvernés, autant de repères essentiels pour garantir que les droits et libertés sont promus et respectés, et que chacun est bien conscient de ses devoirs également. Depuis ces dernières années, nous avons des signes encourageants dans un contexte de relative stabilité politique et sociale, de renforcement de notre démocratie, et de reprise économique.

Les constats relevés tout au long des Etats Généraux des droits de l’Homme et les défis

Droit à l’éducation et à une information instructive. Mais nous ne sommes pas encore prêts à affronter les grands défis des prochaines années. Pour cela, le savoir doit être au cœur de notre quotidien. Dans chaque famille, dans chaque école, la soif de savoir doit nous habiter et nous guider. L’éducation de nos enfants et de nos jeunes doit s’améliorer rapidement, car c’est une véritable injustice de ne pas avoir accès à une éducation de qualité. Et les chiffres sont têtus. Malgré les efforts consentis, encore des milliers d’enfants n’ont pas accès à une éducation primaire gratuite et de qualité. Et nombreux sont ceux encore qui quittent le système scolaire sans savoir ni lire, ni écrire.

Les inégalités d’accès à l’école persistent encore entre les zones urbaines et rurales, et entre les filles et les garçons. Trop de filles ne vont toujours pas à l’école. Nous ne pouvons toujours pas former suffisamment de jeunes aux métiers, et ceux-ci restent « laissés pour compte » sans perspective d’avenir.
Cette situation doit changer au plus vite. Il en va de l’avenir de nos enfants, de nos jeunes et de celui de notre pays. Au cœur de cette éducation, notre culture et notre patrimoine artistique et culturel ont toute leur place.

Les média et toutes les structures d’information doivent faire un réel effort afin de fournir à la population guinéenne les clés de compréhension des défis auxquels la Guinée doit faire face dans un monde globalisé en perpétuel évolution. Chaque personne doit notamment disposer d’une information instructive et neutre sur les grands défis des années à venir : impact de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques sur la vie quotidienne de chacun ; émergence des nouvelles technologies qui bouleverseront le travail, les modes de communication, l’exercice même de la démocratie ; effets de la mondialisation des économies et des finances ; transformations radicales des structures économiques et sociales à l’œuvre.

L’éducation et l’information ont un effet essentiel pour garantir la jouissance effective des droits et la capacité à les faire valoir face aux autres personnes ou face aux institutions. C’est pourquoi, la promotion et la protection des droits de l’Homme ne peuvent s’inscrire sans une démarche globale de renforcement de l’accès à l’éducation et une meilleure circulation de l’information.

Garantir les droits civils et politiques

S’agissant du respect des droits civils et politiques, l’Etat a mis en place ces dernières années plusieurs institutions prévues par la Constitution : INIDH, Médiateur de la République, Haute Autorité de la Communication, Cour Constitutionnelle, Cour des Comptes. Une Commission provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale a présenté en juin 2016 son rapport. Nous avons connu plusieurs élections qui ont désigné le Président de la République, les Parlementaires et les Représentants des communes. La liberté de culte est garantie.

L’opinion organise régulièrement de grandes manifestations. Les organisations de la société civile se sont multipliées, et ceci, malgré les entraves administratives. La liberté syndicale, la liberté de commerce et d’entreprendre sont globalement respectées. De grandes réformes de la justice et de la sécurité ont été lancées et se poursuivent. Notre volonté de poursuivre cet élan existe.
Mais dans le même temps, les violations aux droits civils et politiques se poursuivent.

De nombreux exemples d’exécutions arbitraires/extrajudiciaires/sommaires commises par le passé ont été cités lors de ces consultations préfectorales des EGDH en 2015 et 2016, démontrant la vivacité des souvenirs des citoyens guinéens. Les participants à ces consultations ont également partagé leurs espérances à chaque changement de régime et leurs espoirs déçus par la suite avec la reprise des exactions.

 La persistance de l’impunité quant aux violations les plus graves commises dans le passé (exécutions extra-judiciaires, disparitions forcées, arrestations et détentions arbitraires, tortures et traitements cruels et dégradants, violences sexuelles) est citée comme un problème profond. Les populations prédisent que « les cas de violations isolés qui se poursuivent encore actuellement ne seront jamais punis et les agents des forces de défense et de sécurité continueront à violer les droits des guinéens et des guinéennes dans l’impunité, lors des manifestations, au moment d’une arrestation, lors de la détention ».

Lors de plusieurs manifestations en 2017, à Conakry, à Boké, à Kamsar, à Kolaboui, Sangarédi, des affrontements ont opposé manifestants et forces de l’ordre. De nombreuses personnes ont été blessées par balles, plusieurs sont mortes. Des saccages de bâtiments publics par les manifestants ont été relevés.
La recherche d’aveux et de renseignements pousse dans certains cas les forces de sécurité à recourir à la torture et à des mauvais traitements contre des personnes suspectées de crime.

Plusieurs personnes consultées ont déclaré que certaines unités des forces de défense et de sécurité (garnison, camp, escadron ou commissariat de police) ont leur sein au moins un « spécialiste » en torture. Par exemple, à Koundara, en février 2016, une personne accusée de meurtre à Sambailo, a été ligotée et passée à tabac pour l’amener à reconnaître les faits ou à dénoncer les coupables. La justice a constaté les traces de torture sur son corps. Plusieurs cas de personnes écrouées à la prison centrale de Conakry après avoir subi des mauvais traitements, voire des tortures, sont mentionnés par différentes associations.

Les participants aux consultations préfectorales en 2015 et 2016 indiquent les faits suivants. A Lélouma, il était question des arrestations et de détentions des responsables du district de Balata par les gardes forestiers ; à Boké d’arrestation et de détention des parents d’un débiteur « insolvable » ; à Mali de l’arrestation et de la détention d’un citoyen par un garde communal.

La situation des personnes détenues n’a pas connu de véritables améliorations en 2017 : une vingtaine de décès de personnes détenues, liés à la malnutrition et au manque de soins de santé était rapportée dans plusieurs établissements pénitentiaires du pays, notamment Pita, N’Zérékoré ; à N’Zérékoré, en février 2017, des cas de mauvais traitements à l’encontre de trois femmes détenues étaient dénoncés ; à la prison centrale de Conakry, il était signalé en fin 2017 plus de 1 600 personnes détenues alors que la capacité d’accueil est de 300 personnes.

Dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires du pays, il faut payer pour voir un de ses proches détenu et que celui-ci puisse avoir « un bain de soleil ». Les conditions de détention dans nos prisons sont mauvaises, chacun le sait, et des améliorations sont attendues. Il nous revient, à nous citoyens, de faire notre part et d’organiser une veille citoyenne pour l’amélioration des conditions d’arrestation et de détention des nôtres.

Dans notre lutte contre l’impunité, des avancées timides ont eu lieu sur le chemin que le Président de la République lui-même a « décrit comme difficile à parcourir ». Nous devons porter la lumière sur les zones d’ombre de notre passé. Mais il est important aussi de renforcer notre action au quotidien pour que ceux qui commettent aujourd’hui des infractions soient automatiquement poursuivis, et pour que l’accès des personnes vulnérables au droit et à la justice soit réel. Ceci afin que cesse la vindicte populaire qui n’est pas tolérable dans un Etat de droit.

Nous devons faire plus et mieux : franchir les dernières étapes vers l’abolition de la peine de mort ; mieux assurer la liberté et la sécurité de mouvement de chacun ; supprimer les dernières restrictions à la liberté de presse, de manifestation et d’association ; et améliorer les processus électoraux.
Chacun de nous doit s’obliger à abandonner les discours et comportements de violence et de haine. C’est une mauvaise habitude qu’il convient de corriger au plus vite.

Améliorer le cadre et les conditions de vie des personnes (le droit à l’alimentation, à l’eau potable, à la santé, à l’hygiène)

Une Vision a été dégagée pour « faire de la Guinée un pays émergent à l’horizon 2040 à travers la transformation de ses potentialités économiques pour le bénéfice des populations ». Dans le même temps, les Etats du monde entier s’accordent pour tout mettre en œuvre en vue d’atteindre les 17 objectifs de développement durable (ODD) du Programme 2030 lors d’un sommet historique en septembre 2015. Axés sur les personnes et résolument fondés sur les principes de l’égalité et de la non-discrimination, ces ODD visent expressément à « ne laisser personne de côté et à atteindre en premier les plus défavorisés ». Ils s’appuient sur le droit à une alimentation suffisante, à une santé de qualité, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous, le droit à un cadre de vie et à un logement convenable et celui de posséder des terres.

Notre Programme National de Développement Economique et Social 2016-2020, lui-même, développe l’ensemble des risques auxquels est confrontée la population guinéenne tout en soulignant que « la capacité de réponse du système de protection sociale est limitée, et que des risques importants auxquels sont confrontés les ménages les plus pauvres restent peu ou pas du tout couverts ». Il rappelle « qu’aucun des Objectifs du Millénaire pour le Développement (les OMD ont été adoptés avant les ODD) n’a été atteint en 2015 en Guinée ». Ceci vient confirmer les constats faits par les populations et leurs recommandations formulées lors des Consultations préfectorales de 2015 et 2016.

Aujourd’hui, la question des droits économiques et sociaux est au cœur de la gouvernance : ONG, entreprises, toute la société guinéenne en parlent. Cela est salutaire, mais nous devons tous nous engager pour leur concrétisation et leur pérennisation.

Certes, quelques améliorations sont visibles quant à l’accès à l’énergie (électricité, eau), à l’information (internet). La situation alimentaire s’est améliorée et l’offre de soins de santé s’est élargie. Mais la majeure partie de la population reste confrontée à une grande précarité économique et sociale ; les pratiques népotistes sont encore très fréquentes auxquelles s’ajoute la persistance d’une corruption endémique. Les difficultés quotidiennes auxquels sont confrontés nos concitoyens pour se nourrir, pour se laver, pour s’éclairer, pour se déplacer, pour se soigner, pour vivre dignement doivent nous pousser à redoubler d’efforts.

La protection des enfants, la lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes

Laissez-moi terminer sur un dernier point qui me tient à cœur : l’attention particulière que nous devons porter à la protection des populations et des personnes vulnérables.
Des actions ont été développées au cours des dernières années mais la situation des enfants et des femmes, et dernièrement celle des jeunes migrants, devra faire l’objet d’une attention soutenue au cours des prochaines années.

La situation des enfants demeure très précaire. Rares sont les enfants enregistrés à l’état civil, la mortalité infantile reste élevée et la malnutrition est chronique. L’arrêt de l’excision chez les jeunes filles, des mariages forcés et précoces se heurte à de fortes résistances des populations. Pourtant, notre Constitution nous rappelle à l’article 6 que « l’être humain a le droit au libre développement de sa personnalité, (…) et à son intégrité physique et morale ».

Le Rapport diagnostic sur les consultations préfectorales – Etats Généraux des droits de l’Homme en septembre 2016, souligne « que la situation des droits de la femme reste toujours préoccupante en Guinée ». Les violences sexuelles, les mariages précoces, les violences conjugales et les mutilations génitales féminines demeurent répandus sur l’ensemble du pays.

Lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, le 25 novembre 2016, la Ministre de l’Action sociale, de la Promotion Féminine et de l’Enfance, en prenant la parole a rappelé que « malgré de nombreux acquis en termes politique et de législation protégeant les droits des femmes, celles-ci sont de plus en plus soumises à la primauté de la culture, à la traite et à l’exploitation, sont battues, mariées de force, répudiées, ou excisées avec une prévalence de 97%. Elles continuent d’être privées le plus souvent de leurs droits élémentaires: l’éducation, la santé, le droit à l’expression ».

La situation des plus faibles ne s’est guère améliorée et le désenchantement de la jeunesse ne semble laisser comme seule alternative que le mirage d’une vie meilleure ailleurs. Les routes de l’exil sont jonchées de périls auxquels certains n’échappent pas.

Qu’allons-nous faire individuellement et collectivement pour changer ces réalités ? La Lettre de politique nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme doit nous indiquer des pistes d’action.

L’importance de la Lettre de politique nationale de promotion et de protection des droits de l’homme pour chaque guinéen

Cette Lettre de politique nationale de promotion et de protection des droits de l’homme n’est pas un simple écrit. Elle doit permettre à chaque guinéen de mieux comprendre et de mieux prendre sa place dans notre société.
Elle doit contribuer à guider notre chemin pour faire la lumière sur les violations du passé et à trouver les mécanismes pour éviter que de nouvelles violations n’interviennent à l’avenir.

Elle a pour ambition d’éclairer les décideurs politiques et économiques quant aux défis liés au développement économique et social de notre pays. Pour que personne ne soit tenu à l’écart des fruits de la croissance. Et pour que ce développement tant attendu ne vienne pas détruire notre cadre de vie, notre vivre ensemble et nos espoirs. Elle doit nous aussi nous convaincre que nous avons notre mot à dire sur nos valeurs guinéennes et notre culture lorsque nous nous rendons dans les instances internationales et régionales. Pour qu’au moment où s’ouvre notre pays à l’extérieur, nous ne soyons pas soumis aux seules idées d’ailleurs.

L’espoir est permis, la victoire est possible.
Des hommes et des femmes du Gouvernement, de la société civile, de la communauté internationale et parmi nos concitoyens accompagnent déjà la Guinée dans son irréversible processus de démocratisation et de construction d’une société de paix et de prospérité, respectueuse des droits et libertés de tous. Nous devons les rejoindre dans notre engagement et notre travail quotidien.

Mesdames et Messieurs, (…)
Chers Compatriotes,
Au regard de tout ce qui précède , de ces constats douloureux et certainement pas exhaustifs des cas et des problématiques des Droits de l’Homme dans notre pays, un certain nombre de leçons sont à tirer et à retenir:

– La question des droits de l’Homme, reste une préoccupation majeure pour nos concitoyens et un jeu fondamental pour l’avènement d’une nation guinéenne démocratique, juste et prospère.
– Notre pays fait face à un défi inédit, comme la plus part des États postcoloniaux. Construire un État effectif jouissant de la totalité de sa légitimité et exerçant efficacement son autorité protectrice, rassurante et morale, tout en garantissant l’émergence d’un système démocratique viable.

Pour y arriver , il nous faut d’une part dissocier la part politique de l’Etat de sa dimension administrative et technique.
D’autre part, veiller à ce que la part administrative de l’Etat ne soit pas submergée par des logiques politiques partisanes…,au risque de compromettre sérieusement les vocations et les dynamiques de développement et de rationalité institutionnelle durable.

– Pour que les droits de l’Homme deviennent un repère structurant de nos rapports sociaux et politiques , il nous faut travailler pour donner sens et corps à ce que Pierre Hassner aimait appeler « le triangle d’or « , c’est-à-dire le rapport complémentaire et dynamique entre les droits de l’Homme, l’Etat de droit et la démocratie, et veiller à ce qu’aucun élément de ce triangle d’or ne se retrouve isolé des autres ,  au risque d’une perte de sens et de perspective légitime durable.

* Concevoir et appréhender les droits de l’Homme en dehors de leur rapport au principe de l’Etat de droit et de la démocratie, c’est les dépouiller de leur sens politique et les réduire à une unique dimension humanitaire.
Les droits seuls en dehors de la politique ne font pas une vision de monde. (c’est l’expérience actuelle de la mondialisation et sa vision étriquée de l’humain et de ses désirs de bien et du bonheur, une expérience en difficulté).

* la perception du principe de l’Etat de droit en dehors des droits de l’Homme et de la démocratie, comme conséquence d’un néolibéralisme est d’abord le résultat d’une mauvaise compréhension de l’idée d’Etat de droit qui est pourtant conçu selon Hayek  comme « un État minimal qui assure une prévisibilité absolue aux affaires et qui réduit la politique en tant qu’invention d’un destin collectif à un strict minimum restrictif et étriqué « 

* Quant à l’idée de démocratie victime quelque fois, et souvent même dans certains endroits  (c’est le cas chez nous ) à des simples procédés et mécanismes de désignation des titulaires des pouvoirs, débarrassant ainsi l’idée démocratie des principes des droits humains et de l’Etat de droit, fragilise la théorie démocratique comme la définition et l’entretien d’un lien structuré et normalisé avec le peuple.

La loi de la majorité que d’aucuns nomment la tyrannie majoritaire est une menace pour la philosophie morale qui fonde la démocratie dans son rapport global et éthique au peuple comme source et bénéficiaire du pouvoir.

– Les pesanteurs socioculturels sont devenus des véritables obstacles et parfois menaces pour les droits de l’Homme, et même l’Etat de droit et la démocratie dans notre pays.

Sans renoncer à notre histoire , à notre culture et à la fierté de ce que nous sommes et de ce qui est digne de fierté dans ce que nous avons été, il nous est indispensable de déconstruire certaines dimensions socioculturelles qui nous structurent, afin de réinventer un héritage culturel capable de représenter aussi bien notre histoire que notre avenir démocratique.

L’obsession culturaliste, parfois combinée à un narcissisme fantasque est devenue un handicap majeur pour notre devenir collectif, même notre survie future. La culture, aucune culture n’est pure ni figée, encore moins exempte d’inventaire et de créativité

A chaque génération et à chaque contexte l’obligation de restituer un héritage culturel dynamique à même de satisfaire au besoin et de l’histoire et de l’avenir.

– La fragilité et la structure fonctionnelle de nos États méritent d’être revues, afin de leur donner toute leur dynamique et leur insuffler l’énergie nécessaire à leur renouveau démocratique et éthique.

 Vous l’aurez compris, le combat pour les droits de l’Homme dans notre pays, est aussi un combat pour l’Etat de droit et la démocratie. C’est une bataille de tous les instants, de tous les acteurs et de toutes les énergies.

Mais,  disons-le ici clairement, c’est un engagement et un travail ingrats. Travailler pour la promotion et la protection des droits de l’Homme, c’est accepter d’être traité de traître, d’infiltré, d’ingrat, de filou, et je ne sais quoi d’autre.

Il faudra l’accepter et rester imperturbable, impassible, les yeux rivés  sur la finalité heureuse, les pieds encrés dans des réalités souvent tristes et douloureuses, le dos rond, les oreilles sourds à des perfidies politiques les plus incroyables.

Car quand on travaille pour les droits de l’Homme, on travaille pour la justice, on évite ce que Pierre Hassner appelle « la revanche des passions contre la raison du droit ».

  On ne peut pas défendre la dignité humaine et faire le choix d’une ethnie contre une autre, une religion contre une autre, un parti contre un autre, une victime contre une autre, une justice contre une autre.

  On reste fidèle, dans le cadre d’une vision politique et globale des droits de l’Homme, c’est-à-dire d’une société politique structurée autour de l’idée de droit dans le cadre d’un rapport au corps politique  ( le peuple ) au principe simple mais si révélateur du rêve d’une humanité universelle  » tous les hommes naissent égaux et libres en droits et en dignité…… »
Cela fait une vision politique du monde.

Défendre les droits de l’Homme c’est défendre la justice, défendre la justice c’est défendre une certaine idée de la dignité humaine et de la vérité. Et comme le disait l’autre  » La vérité ne porte jamais préjudice à une juste cause »

  Le respect, la promotion et la protection des droits humains sont les fondements de la paix.
Ce pays, cette société guinéenne qui souvent, face à l’incapacité subjective d’affronter les défis du monde, se laisse tenter par la nostalgie d’un passé idéalisé, d’une culture magnifiée. Erreur!

Pas plus que les autres sociétés nous ne saurons faire croire à l’existence d’une culture authentique naturellement compatible avec les idéaux des droits de l’Homme revendiqués aujourd’hui.

 Cette culture ou pour dire exactement ces cultures devront naturellement nous servir de socle, de béquilles, mais elles doivent elles aussi passer les grilles de l’inventaire humaniste démocratique et politique.

Il nous faut déconstruire tous les mécanismes d’aliénation en cours dans notre pays. Car on ne peut pas construire une société démocratique, sans libertés. On ne peut pas faire un nouveau monde avec des vieux mécanismes et de vieilles recettes

Il faut guérir notre pays, la société guinéenne de tous ses mécanismes d’aliénation et de renoncement moral et humaniste.

Vive la Guinée
Vive l’unité nationale
Vive les droits de l’Homme, la justice et la paix.
Je vous remercie.

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