60 ans après le discours de Sékou Touré devant De Gaulle : les souvenirs d’Elhadj Biro Kanté

Elhadj Biro Kanté, compagnon de l'indépendance

La date du 25 août 1958 reste mémorable dans l’histoire tumultueuse de notre pays, à un moment où l’accession à la souveraineté nationale devenait de plus en plus inévitable. De passage à Conakry, le général de Gaulle aura eu l’une des surprises de sa vie, avec le discours tenu ce jour par Ahmed Sékou Touré, qui deviendra quelques semaines plus tard, premier président de la Guinée indépendante. Ce discours, aussi franc que direct, prononcé sur un ton péremptoire par Sékou Touré, est resté gravé dans les annales.

Pour évoquer ce pan de l’histoire de la Guinée, un reporter de Guineematin.com a donné la parole, ce samedi 25 août 2018, au doyen Elhadj Biro Kanté. Ce compagnon de l’indépendance, ancien maire de Beyla, ancien Gouverneur et ancien ambassadeur, ancien membre du parti-Etat, PDG-RDA, est revenu sur cette page de l’histoire contemporaine

Guineematin.com : à la date du 25 août 1958, un discours élogieux a été ténu par feu Sékou Touré en prélude au référendum du 28 septembre de la même année. Soixante ans après, qu’est-ce que vous retenez de ce discours de Sékou Touré devant le Général De Gaulle?

Elhadj Biro Kanté : je vous remercie. Effectivement, vous avez dit un discours élogieux, c’est vrai. Le 25 aout 1958, le peuple de Guinée a reçu le Général de Gaulle qui est venu présenter à la Guinée et aux territoires d’Outre mer une Constitution française qui faisait de la France et ses colonies, une colonie. Il a avait une tournée en Afrique, la visite de Conakry n’était pas prévue. Mais, à la dernière minute, Pierre Mesmer, qui était Gouverneur général à Dakar a dit que s’il ne venait pas en Guinée, la Guinée échapperait la France. Alors, c’est mal connaître le président Sékou Touré, il croyait que le Général De Gaulle allait infléchir la position guinéenne. Donc, il est arrivé ici le 25 aout. J’étais-là en tant responsable du PDG, maire et en même temps secrétaire général de la section PDG de Beyla. Donc, j’ai assisté à l’évènement. Ce que je retiens, c’est que le 25 aout, De Gaulle en arrivant à Conakry, a été accueilli avec enthousiasme. Et, il ne savait pas qu’il marchait sur du sable mouvant jusqu’à la salle qu’on appelle aujourd’hui la salle du 25 aout. C’est là où siégeait l’Assemblée territoriale qui avait pour président, notre camarde, paix à son âme, Elhadj Saifoulaye Diallo. Ce jour-là, trois (3) discours ont ponctué cette rencontre. Les trois discours qui ont consacré l’indépendance de la Guinée et de l’Afrique. Parce que les gens disent souvent la Guinée. L’indépendance de l’Afrique, la dignité de l’Afrique a été posé ce jour-là dans cette salle. Le président Saifoulaye a pris la parole, il a donné l’avant-goût au Général De Gaulle, en disant que l’homme qui a dit non au Nazisme, non à la capitulation de la France pendant la deuxième guerre mondiale ne trouverait aucun inconvénient que notre peuple aspire à son indépendance, aspire à sa dignité. Ça, c’était le premier point. Oui, il l’a dit. Le deuxième point saillant, c’est de ce discours dont vous parler. Mais, une seule phrase qui l’a bouleversé. Il a dit « Nous préférons la liberté dans la pauvreté, à l’opulence dans l’esclavage ». Ça, ça a touché notre étranger. Mais, cela n’indiquait pas que nous voulons refuser à 100% la proposition qui nous est faite. Nous avons juste proposé des amendements à la Constitution. Ces amendements sont contenus dans son discours. Nous voulions avoir une assurance que nous sommes des hommes indépendants, libres qui s’associent à la France et que nous pouvons partir à tout moment de cette association, de cette communauté.

Guineematin.com : quel avait été la réponse du Général de Gaulle ?

Elhadj Biro Kanté : De Gaule a rejeté d’un revers de main cette proposition en disant : « on a parlé d’indépendance ici. L’indépendance était à la disposition de la Guinée, elle peut là prendre le 28 septembre 1958 en disant Non à la constitution qui lui est présentée, dont la France ne trouverait aucun inconvénient. La Guinée suivra le chemin qu’elle voudra et la France tirera certes des leçons ». Voilà un peu les traits saillants de cette rencontre. A partir de ce jour-là, la Guinée a compris sous la direction de feu Ahmed Sékou Touré, que nous n’avons pas d’autres choix pour la Guinée, pour l’Afrique que de voter Non. Et, comme vous le dites, cela me rappelle de beau-jours, de beaux moments. L’enthousiasme qui était, la ferveur en Guinée, en Afrique. Les messages pleuvaient, les messages de félicitations, des encouragements de partout.

Guineematin.com : que dire des autres pays qui avaient dit Oui le 28 septembre et qui traitaient Sékou Touré de dictateur ?

Elhadj Biro Kanté : il y a de ces chefs d’Etats machins qui ont été déjà acquis à la cause de la France de rester dans la communauté. Donc, c’est dire que mon état d’âme, je ne veux pas faire de comparaison aujourd’hui. Mais, le PDG était un parti démocratique. On a traité Sékou Touré de dictateur. Non. La dictature c’est dans l’autre camp, parce que nous avons dit que nous voulons ça, on dit vous prenez ça ou rien. Le 14 septembre, le PDG a convoqué tous les cadres guinéens encore pour décider de ce qui va arriver. Parce que le 25 aout, aucune décision n’avait été prise. Faut-il voter Oui ou Non ? Faut-t-il aller à l’indépendance ou non ? Cela a été décidé officiellement le 14 septembre 1958 à la place de l’actuel emplacement du Palais des Nations. J’étais à cette rencontre, elle a duré une journée. Alors, nos amis soudanais, le Mali s’appelait le Soudan, ils ont dépêché un de nos camardes, Madéra Keïta qui fut secrétaire général du PDG RDA ici. C’est lui qui a été délégué pour demander au PDG RDA de s’aligner aux autres partis. Mais, on était engagé dans une voie de non-retour. Notre peuple était déjà sensibilisé parce que la voix de Sékou de Sékou était la voie de Dieu, quand il dit, Dieu a accepté. C’est ainsi que le 28 septembre, le peuple est allé aux urnes. Déjà, le jeu était fait, il n’y avait plus d’opposant en Guinée. Donc, l’administration coloniale n’avait rien fait, c’est nous qui avons tout fait, c’est nous qui avons organisé. Il n’y avait pas d’urnes bourrées, pas de coercition. Je vous assure, j’ai un billet de 25 francs CFA, qu’une vielle femme m’a donné quand on a organisée une danse pour fêter le Oui. La Guinée a payé chère pour libérer l’Afrique.

Guineematin.com : après 26 ans de règne, le PDG-RDA s’est effondré comme un château de cartes avec la mort de Sékou Touré le 26 mars 1984. Que dire de la prise du pouvoir par l’armée ?

Elhadj Biro Kanté : je respecte Lansana Conté, quoi qu’il nous ait remplacés par la baïonnette et des coups de bottes. Mais, Lansana Conté est un grand patriote. Il a reconnu que ce sont des crapules militaires qui ont trahi l’armée, qui ont trahi le peuple de Guinée, qui ont conduit au coup d’Etat du 3 avril 1984, sinon Lansana Conté a été un grand homme. Lansana Conté a donné le nom du président Sékou Touré au palais « Sékhoutouréyah ». Quand on l’a remercié, il dit non, ne me remerciez pas. C’est le plus méritant, il a libéré la Guinée et l’Afrique. C’est ce que nous n’entendons pas aujourd’hui. Guineematin, vous m’avez demandé ce que je ressens, voici les trois discours. On ne les enseigne pas dans aucune école aujourd’hui : du primaire au collège, personne ne sait. C’est ce que le guinéen doit savoir d’abord en premier lieu. On a perdu le repère. Ceux qui gouvernent aujourd’hui et ceux qui aspirent à gouverner, tant qu’ils rejettent le passé glorieux de notre pays, ils ne réussiront pas.

Guineematin.com : qu’est-ce que ce Non a apporté au peuple de Guinée les mois et les années qui ont suivis ?

Elhadj Biro Kanté : je crois que toi tu es né après 58, bien après. Et d’abord en 1958, vous ne pouvez pas voir une concession comme ça. Moi, je suis fier de ce Non. Un ambassadeur du Congo-Brazzaville en Roumanie, qui m’a dit que vous, vous avez lutté pour l’Afrique, vous vous êtes sacrifiés pour l’Afrique, nous, nous récoltons les fruits. J’étais fier. Ça a libéré non seulement la Guinée, mais le reste de l’Afrique. Le président de l’Ouganda est venu en Guinée non pas pour une visite d’Etat, mais pour faire un pèlerinage, il l’a dit. Il dit, il faut qu’il vienne dans le pays de Sékou Touré pour un pèlerinage. Il dit que Sékou Touré est un symbole, il a libéré la Guinée et l’Afrique. Le malheur est qu’on rejette ça aujourd’hui. Personne n’a le courage de dire que c’est Sékou Touré qui a libéré la Guinée. Le président Sékou Touré a plus de mérite dans la libération de l’Afrique du Sud que Mandela. Mais, tout le temps, les gens disent Mandela ! Mandela ! Le président Sékou Touré a payé de l’argent pour alimenter l’armée de l’ANC. Le président Sékou Touré a payé de l’argent pour faire venir ici à Conakry des agents de l’ANC pour les entrainer à la guerre à Kindia. Qui a fait ça ? Si on voit le président Alpha Condé envoyé des militaires guinéens au Sahel, nous sommes fiers, mais cela est la continuation de ce que l’autre a fait.

Propos recueillis par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

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