Presse écrite à l’ère du numérique ! Diallo Souleymane du Lynx à Guineematin

Elhadj Diallo Souleymane, PDG du groupe de Presse Lynx-lance et Lynx Fm

« Le régime Alpha Condé a essayé de restreindre les libertés, dont la liberté de la presse. On ne nous enferme pas, parce que nous avons profité de la transition pour décriminaliser les délits de presse. Il est difficile d’enfermer un journaliste ; mais, ça s’arrête là. On ne nous facilite pas la tâche du tout. Et, sous Alpha Condé la presse est banalisée, elle est critiquée par le pouvoir. Donc, quand le président de la République critique les médias devant les hommes d’affaires, c’est la mort des médias, la mort programmée des médias… », a notamment fait remarquer Elhadj Diallo Souleymane, un des pionniers de la presse indépendante guinéenne et ancien membre du CNT (organe législatif de la Transition, en 2010). 

A un moment où l’on assiste à une explosion des nouveaux types de médias, la presse écrite est de plus en plus dans la tourmente. Les défis se multiplient dans un environnement concurrentiel plus que rude. Un des aspects les plus remarquables de ce constat est lié à l’avènement du Smartphone, la prolifération des applications des médias et des réseaux sociaux. Bon an mal an, la presse écrite résiste, s’adapte et innove pour ne pas périr.

Pour parler des défis que connait la presse écrite, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre de monsieur Diallo Souleymane, fondateur du groupe de presse Lynx/Lance et de la radio Lynx FM. Avec monsieur Diallo, il a été question des débuts de la presse en Guinée, de mutations qu’elle a connues et des défis qui se dressent sur son ce chemin en ce moment.

Guineematin.com : aujourd’hui, on constate que la presse écrite traverse une zone de turbulence, notamment avec la révolution numérique. Qu’en est-il réellement ?

Diallo Souleymane : les défis de la presse ne manquent pas. Disons que la presse guinéenne est née avec des défis. Sous la première République, c’était le défi de l’existence. A la deuxième République, sous les militaires, c’était le défi de la survie. Maintenant, ce défi continue ; mais, les raisons ne sont pas les mêmes. Pendant la première République, le régime était totalitaire où il n’y avait pas de presse. Il y avait des militants qui travaillaient dans les médias. Les médias de l’époque, les médias de l’Etat et du gouvernement, tout journaliste était d’abord militant. Pendant le régime du Général Lansana Conté, les choses se sont beaucoup améliorées parce que nous avons eu les textes. Nous les avons eus sous Conté, c’était énorme. La loi sur la liberté de la presse, la Loi 005/91/CTRN du 21 décembre 1991. Elle était extrêmement dure, mais c’était quand même une loi. La presse a été acceptée malgré les autorités puisque Conté lui-même avait accédé à l’existence des journaux. Ça, il faut le reconnaître. Il avait dit qu’il avait senti la nécessité d’avoir la presse. Et, quand la presse est venue, il l’a un peu regretté, mais il l’a toléré. La presse vivait de tolérance et de ses revenus. Avec le professeur Alpha Condé, les choses ont changé de tous les côtés. Côté institution, le régime Alpha Condé a essayé de restreindre les libertés, dont la liberté de la presse. On ne nous enferme pas, parce que nous avons profité de la transition pour décriminaliser les délits de presse. Il est difficile d’enfermer un journaliste, mais ça s’arrête là. On ne nous facilite pas la tâche du tout. Et, sous Alpha Condé la presse est banalisée, elle est critiquée par le pouvoir. Donc, quand le président de la République critique les médias devant les hommes d’affaires, c’est la mort des médias, la mort programmée des médias, personne ne va plus s’y intéresser. C’est ce qu’il ne comprend pas. Mais, c’est ça la réalité. Le plus important, c’est l’évolution des médias eux-mêmes.

Guineematin.com : que dire de la presse écrite dans le cadre justement de cette évolution ?

Diallo Souleymane : là, la presse écrite récolte ce qu’elle n’a pas semé, la crise. Il y a cinq-six ans, nous nous sommes réunis à Tunis pour débattre de l’avenir de la presse. Tout le monde était d’accord que la presse écrite avait de beaux jours devant elle en Afrique. C’était faux, on avait mal vu l’avenir se précipiter. Aujourd’hui, malheureusement, c’est le théorème, une nouvelle égale une nouvelle, qui nous fatigue. Parce que, ce que vous lisez dans les réseaux sociaux, c’est loin d’être professionnel. Et, la presse elle-même a tous les problèmes de survie parce que, elle ne va pas en profondeur, si non elle aurait dû résister plus que ça, par ses enquêtes, par sa pertinence. Mais, tel n’est pas le cas. Nous devenons de moins en moins pertinents. Ça, c’est nous qui l’avons posé. Et, puisque nous ne sommes pas très pertinents, nous perdons des ventes. Nous perdons de ventes aussi, parce que, comme je vous le disais, une nouvelle=une nouvelle, quelque soit sa qualité. Donc, le public ne s’y intéresse pas. Et, nous perdons des lecteurs, nous perdons des achats, et maintenant, c’est préjudiciable à l’avenir de la presse.

Guineematin.com : que faut-il faire alors pour inverser cette tendance ?

Diallo Souleymane : c’est de diversifier, d’aller vers le numérique. Là, il faut s’adapter. La presse doit s’adapter et aller au numérique. Si non, le public est mal adapté à ça. Tout ce qui est nouveau en Guinée, c’est lent, c’est difficilement adopté. Donc, nous faisons face à des lenteurs administratives, à des lenteurs structurelles et des lenteurs de lecteurs. La presse écrite elle-même a des problèmes pour aller vers le numérique. Si je prends l’exemple du Lynx, nous avons automatisé le passage de la presse papier au numérique. On a un site web, il reste à le développer, on y est, on est là-dessus. Il y a encore un long chemin à faire. Ce que je disais, c’est la presse numérique elle-même. Nous, nous l’avons, on a une application. Mais, il faut vendre. Nous avons des problèmes à ce niveau, parce que c’est difficile de trouver la structure pour vendre. La vente s’est posée pendant les beaux jours de la presse écrite, parce que ce qu’on vendait ne revenait pas. On avait créé une rubrique ici, une partie de notre comptabilité, les disparus. C’est-à-dire les journaux que vous vendez, on les vend, on les achète, ceux qui les achètent donnent à quelqu’un, et lui il disparait avec l’argent. Aujourd’hui, nous avons des difficultés d’encaissement pare que les structures qui nous permettent de vendre par internet sont extrêmement archaïques en République de Guinée. Nous sommes en pourparlers avec des banques, mais croyez-moi que ce n’est pas facile. Nous produisons le journal aujourd’hui, c’est automatique. Mais, nous avons toutes les difficultés de le vendre, même à Conakry. Pour la publicité, c’est MTN qui le vend. Or, on devrait être vendu par tout le monde. A l’extérieur du pays on est en pourparlers. Mais, croyez-moi, ça bouge difficilement, parce que la Guinée est quelque peu sous embargo dans ce domaine là. A cause du terrorisme, les gens sont devenus extrêmement méfiants, le blanchiment d’argent. Pour pouvoir vendre à l’extérieur, c’est extrêmement compliqué avec les pays civilisés. Avec les pays arriérés comme la Guinée, ce n’est pas possible encore.

Guineematin.com : par rapport au tirage on peut dire que c’est tout aussi compliqué, n’est-ce pas ?

Diallo Souleymane : en termes de tirage, ça baisse. Nous, on a perdu le tiers de nos tirages. Le Lynx ne peut pas survivre en deçà de 3 000 exemplaires. On se promène dangereusement vers les 4 000. Et, je peux vous dire qu’on est seul à ce niveau. C’est très compliqué.

Gineematin.com : est-ce qu’on peut espérer que la presse écrite va pouvoir survivre avec tous ces défis ?

Diallo Souleymane : c’est une colle (rires)… Je ne sais vraiment pas ! La façon dont ça dégringole, personnes ne le sait. Moi, j’avais affirmé il y a 5-6 ans que la presse papier avait de beaux jours devant elle, croyez-moi que je n’étais pas seul. Si je prends des confrères comme El Watan en Algérie, ils tiraient à 700 ou 800 mille exemplaires. Aujourd’hui, je me demande ils sont à combien…

Propos recueillis par Alpha Mamadou Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 628 17 99 27

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