Dr Alya Diaby à Guineematin : « nous ne faisons pas de bruit… L’INIDH n’est pas une ONG »

Dr Alya Diaby, président de l’INIDH

L’actualité sociopolitique guinéenne est dominée par le bras de fer entre la mouvance présidentielle et l’opposition républicaine autour de la mise en place des conseils communaux. Des manifestations étouffées, des morts d’hommes et des dégâts matériels sont enregistrés. Pour aborder cette actualité et bien d’autres, deux reporters de Guineematin.com ont rencontré le président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH), Dr Alya Diaby. Au cours de notre interview, il a été question, entre-autres, de ces manifestations violentes, de la grève des enseignants, du dossier du massacre du 28 septembre 2009.

Décryptage !

Guineematin.com : des guinéens sont tués à l’occasion des manifestations organisées par l’opposition républicaine. Aujourd’hui, on parle de près de 100 morts. Quelle est votre réaction ?

Dr Alya Diaby : d’abord, nous déplorons qu’il y ait des morts lors des manifestations, en principe qui devraient être pacifiques. Ce sont pour la plupart des cas d’accidents, ou en tout cas des questions dont les enquêtes ne sont pas encore complètement terminées. Mais, quoi qu’il en soit, ce qu’il faut, c’est que la première des choses, en cas de meurtre, en cas de mort d’homme, en cas de mort dans les violences, il faut les regretter. Et exiger, comme on l’a toujours fait, que des enquêtes sérieuses aient lieux, que des responsabilités soient situées et que des sanctions soient prises contre les responsables.

Guineematin.com : mais, pourquoi votre institution ne se fait pas souvent entendre à travers des communiqués par exemple ?

Dr Alya Diaby : nous sommes une institution étatique. Nous ne sommes pas une ONG. Ces communiqués-là, on les laisse aux ONG, aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme. Nous agissons dans le respect de nos différences. Donc, si on parle à tout bout de champ, personne ne va nous écouter. Notre action exige, si vous voulez, un minimum de retenue pour faire avancer certaines causes et obtenir certains résultats. Si vous voulez, nous ne faisons pas de bruit parce que nous sommes une institution nationale. Nous travaillons, nous voulons être un arbitre. Ce que vous nous demandez de faire, c’est de faire partie d’un camp, ce que nous ne pouvons pas faire nous. Nous ne pouvons faire partie ni du camp de ceux qui s’opposent, ni du camp de l’Etat. Nous sommes une institution qui a été établie pour être un arbitre, je voudrai m’en tenir à ça.

Guineematin.com : par rapport quand-même à ces violations des Droit de l’homme, est-ce que vous êtes en train d’entreprendre quelque chose, même si ce n’est pas forcement visible par les médias ?

Dr Alya Diaby : la première des choses, quand il y a des manifestations, pour ne pas dire des choses qui pourraient se révéler fausses, nous envoyons nos propres commissaires pour qu’ils fassent ce que nous appelons un monitoring, ils documentent. Quand il y a eu le meurtre du jeune Ibrahim Bah, on a envoyé deux (2) commissaires qui ont fait un rapport, le rapport est là. La dernière fois, on l’a transféré à la Cour constitutionnelle, officiellement. Quand il y a eu les problèmes à Kindia, nous avons envoyé des commissaires qui ont documenté. Nous avons des vidéos sur tout ce qui s’est passé, les propriétés qui ont été détruites et tout. Mais, nous ne sommes pas une entité qui est là pour faire du bruit, de la dénonciation. Nous travaillons, nous faisons des rapports que nous publions quand c’est nécessaire. Et, nous avons l’obligation de sortir un rapport annuel. Et donc, de temps en temps, nous interpellons les organismes étatiques pour indiquer des voies à prendre. Mais, encore une fois, c’est ça notre travail. Ne nous demandez pas d’être une ONG, puisqu’on ne peut pas diriger une institution nationale comme on dirigerait une ONG.

Guineematin.com : est-ce qu’en règle générale, quand vous faites des recommandations, elles sont prises en compte ?

Dr Alya Diaby : de temps en temps. De toute manière, ce n’est pas à nous de juger, c’est ceux qui nous suivent, qui savent que des recommandations sont faites par ci et par là, de juger de cela. Ce sur quoi moi je voudrai être jugé, c’est le travail sur lequel je suis chargé de faire et que nous sommes en train de faire. Maintenant, ne demandez pas est-ce que les autres donnent suite à votre travail. Chacun fait son travail. Ce que je peux répondre, c’est au nom de l’INIDH. Nous venons de faire un monitoring dans les prisons, nous avons fait un rapport sérieux là-dessus, qui établi le nombre de personnes, la vétusté des maisons, des prisons et la maladie qui sévit. On a demandé aux autorités de prendre les dispositions par rapport à toutes les personnes qui sont détenues, qui sont malades aujourd’hui et qui sont mal nourries. Nous avons fait des statistiques qui sont comparables sur toutes ces questions. Ce que nous pouvons faire, c’est ce genre de travaux. Par exemple, vous, vous nous demandez d’aller jusqu’à Kindia ou à N’Nzérékoré. Mais, personne ne se pose la question de savoir quels sont les moyens dont dispose l’INIDH. Toute l’INIDH n’a pas un seul véhicule pour faire ces activités que vous nous exiger ou qu’on fasse. Mais, nous on est en train de faire les efforts nécessaires. J’envoie les commissaires, ils prennent des taxis, de temps en temps ils prennent leurs propres véhicules, souvent ils tombent en panne, on m’appelle. Donc, nous sommes en train de faire ce que nous pouvons avec les moyens de bord.

Guineematin.com : aujourd’hui les acteurs politiques sont plus que divisés. Que faut-il faire pour une sortie de crise ?

Dr Alya Diaby : le dialogue, je ne connais pas d’autres voies pour régler le problème que par le dialogue. Quand le dialogue aura été rompu, il faudra revenir au dialogue. Donc, nous demandons aux autorités à tous les niveaux, celle qui dirige et celle qui s’oppose, les partis qui s’opposent, de dialoguer et de s’entendre pour trouver les solutions. C’est notre pays, de toutes les façons, on n’a pas d’autres choix que de s’entendre. Je demande à tout le monde, y compris la presse, d’être des aiguilles pour raccorder les morceaux de la Guinée, mais jamais des couteaux pour les séparer. Surtout ceux qui proposent qu’on ne dialogue pas, ceux-là ne sont pas en train de travailler pour la Guinée. Nous ne croyons à aucune autre solution, sauf le dialogue.

Guineematin.com : on parle de droits de l’homme et aujourd’hui, on a comme l’impression que le gouvernement ne veut pas entendre qu’il y ait des voix discordantes. On empêche même les gens de marcher, de manifester leur mécontentement, alors que c’est des droits constitutionnels. Quel regard jetez-vous là-dessus ?

Dr Alya Diaby : en règle générale, le droit de manifestation est garanti par la Constitution. Mais, la même Constitution nous dit que les droits fondamentaux s’exercent dans le respect de la loi. Et donc, il y a une loi sur les manifestations, la loi de 2016 sur les manifestations et le maintien de l’ordre public. Tout le problème, il y a des fois où certaines, pour des raisons d’ordre public, pour des raisons de sécurité, peuvent être interdites. Lorsqu’une manifestation est interdite, en ce moment-là, il faut bien que les citoyens aussi respectent ce genre d’interdictions. Tout le problème c’est qu’on ne peut pas continuer à interdire indéfiniment les manifestations. C’est là aussi qu’il faut peut-être parler à l’Etat pour qu’il y ait un équilibre. Mais, les manifestations peuvent être interdites, c’est dans la loi.

Guineematin.com : l’école guinéenne est minée par une crise sans précédent. On sait que l’éducation, ça fait partie des droits de l’homme et les enfants ne reçoivent pas les cours qu’il faut parce que certains enseignants sont en grève. Quel regard jetez-vous sur cette grève du SLECG ?

Dr Alya Diaby : nous sommes gêné, parce que c’est un droit fondamental ; le droit à l’éducation de nos enfants qui est violé. Nous l’avons dit dans le discours d’ouverture de la dernière session, la session de septembre. Nous demandons à toutes les parties, l’Etat et les syndicats, de tenir compte des droits de nos enfants, du droit à l’éducation de nos enfants. Ceci dit, il faut bien que les choses soient claires. Notre rôle, ce n’est pas de dire que le SLECG ou le gouvernement a raison ou doit reculer. Non. Mais, il faut bien que l’on s’entende. L’augmentation de salaires dont on parle, au cours de l’année 2018, les salaires ont été augmentés jusqu’à hauteur de 40%. Est-ce qu’au cours de la même année on peut obtenir plusieurs augmentations de salaires ? Il faut quand-même être réaliste. Ça, c’est au-delà de la question des droits de l’homme, sinon moi-même je suis enseignant, j’ai intérêt que les salaires des enseignants soient augmentés. Mais, je pense qu’il faut aussi tenir compte de nos difficultés, des problèmes de la nation. J’ai reçu ce matin le budget de 2019, qui dit dans ses principales règles, que l’on a tenu compte de l’augmentation des 40% pour tous les fonctionnaires. Il ne faut pas oublier que le SLECG n’est pas isolé, les résultats que le SLECG va obtenir, vont être élargis à tous les fonctionnaires. Est-ce que vous connaissez une fonction publique au monde où on peut augmenter les salaires à plus de 40% plusieurs fois dans l’année ?

Guineematin.com : mais Dr, beaucoup disent que les 40% étaient déjà un acquis, qu’ils avaient été ponctionnés et que c’est un juste retour des choses ?

Dr Alya Diaby : quel que soit, là maintenant, vous rentrez dans les versions, là on prend la position d’une des parties. L’essentiel, c’est que toutes les façons, il y a eu une augmentation de 40%. Ça, ce n’est pas contestable. Quel que soit maintenant le côté par lequel on prend cette augmentation, c’est qu’il y a eu augmentation. Est-ce que la même année ça vous parait réaliste de demander encore une autre augmentation ? Je ne pense pas, même le Bureau International du Travail, je ne pense qu’il veuille accompagner les gens dans ça. Je pense que les syndicats, pour ne pas perdre la face, doivent quand-même raison gardée. Et vous savez, Jean Jack Rousseau a écrit dans le contrat social que « pour réussir, il ne faut pas tenter l’impossible ».

Guineematin.com : pour le cas du procès du stade du 28 septembre, il est vrai qu’il n y a pas une date qui est encore fixée, mais il y a comité de pilotage qui est là, il y a même un lieu qui a été choisi (cinéma liberté) pour abriter cet évènement. Qu’est-ce que pensez de ça et qu’est-ce que vous pensez de l’évolution même de ce dossier ?

Dr Alya Diaby : si vous voulez ce dossier et sa gestion, relèvent de la compétence du ministère de la justice. On a mis en place un comité à cet effet qui est en train de préparer ce procès. L’INIDH n’est pas membre de ce comité. Si vous voulez, je n’ai pas de jugement à porter sur quelque chose qui n’est pas encore fait. Quand il y aura de l’action, quelque chose de concret, on se prononcera là-dessus. Mais, je ne veux pas faire des élucubrations sur de simples projections. Pour le moment, ce que nous constatons, c’est qu’il y a l’intention et la volonté d’organiser le procès. Mais, je ne peux pas en dire plus.

Guineematin.com : autre chose liée à ce dossier, c’est le cas Toumba Diakité. Selon ses avocats, il se trouverait dans un très mauvais état de santé et que son traitement mériterait même une certaine évacuation, chose que le ministère de la justice n’approuve pas. Je ne sais pas comment vous percevez cette situation parce qu’il faut quand-même sauver Toumba Diakité pour qu’il puisse témoigner, selon ses avocats bien évidemment ?

Dr Alya Diaby : l’état de santé d’un malade, de quelqu’un qui est privé de la liberté, n’est pas établi par des avocats. Donc, s’il y a des documents officiels authentiques qui sont établis par un personnel médical. En ce moment, nous on se prononcera au vu des documents et au vu de ce que les représentants de l’Etat, le ministère public, qui va représenter le ministère de la justice, aura pensé de tout ça. N’oubliez pas que ce n’est pas le ministre qui arrête ou qui détient Toumba Diakité. Donc, les procédures sont telles que ça sera la justice, les juges qui vont se prononcer au vu de tous les documents. Pour le moment, nous n’avons pas d’informations sur l’existence de ces éléments, pour le moment nous n’avons pas été saisis officiellement par ces avocats-là. Donc, sur le cas Toumba Diakité, je ne peux pas en dire plus. Tout ce que je souhaite, c’est que les droits de l’homme, notamment le droit à la santé de Toumba Diakité, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable de Toumba Diakité soient respectés. Et là, c’est une demande que nous faisons à tout moment et qui n’est pas lié simplement à cette affaire. Nous souhaitons comme vous, que Toumba Diakité soit écouté et que lumière soit faite dans cette situation. Parce que tout le monde pense que c’est un témoin capital.

Guineematin.com : venons-en à la Cour constitutionnelle à laquelle vous avez appartenu à un moment donné. Elle a été minée récemment par une crise sans précédent. Et, certains membres de l’institution accusaient leur ancien président, monsieur Kéléfa Sall, de malversation. Est-ce vous avez une idée sur cette question ?

Dr Alya Diaby : oui, c’est vrai que j’ai été membre, vice-président de la Cour constitutionnelle de la République de Guinée. Mais, j’avais prêté serment de n’exprimer aucune opinion, de ne prendre position sur aucune question relevant de la Cour. Et la question que vous posez, elle relève de la compétence de la Cour. Je constate simplement, que la Cour constitutionnelle a la compétence de sa compétence. C’est-à-dire en cas difficulté sur la question de savoir si la Cour peut prendre la décision, c’est à la cour et à elle seule de décider. J’ai l’impression que nos concitoyens n’ont pas encore compris la place et le rôle d’une juridiction constitutionnelle comme la Cour constitutionnelle. Donc, il n’appartient pas au président d’institution, fut-elle l’institution nationale indépendante des droits humains, d’exprimer un jugement sur ce qui se passe à la Cour constitutionnelle. Ce que je peux dire, j’ai reçu les membres de la Cour constitutionnelle qui sont en train de faire le tour des institutions. Et donc, nous leur avons dit que, tant qu’ils respecteront la Constitution, tant que la Cour Constitutionnelle sera une institution qui assure son office, l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains l’accompagnera et la soutiendra. En cas de dérive, si la Cour constitutionnelle laisse à côté nos valeurs communes, celles qui nous unissent, l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains avisera.

Guineematin.com : un dernier mot ?

Dr Alya Diaby : c’est de demander aux guinéens, de raison garder, de faire de la retenue. Et, demander aussi à la presse de faire une presse responsable. Je veux dire de ne pas aider à enflammer, mais d’aider à apaiser. Et donc, c’est notre nation, notre Guinée qui nous est commune, qui nous est chère. Chacun devait apporter une pierre pour la construire. Mais, il ne faut jamais apporter la main pour déconstruire et déplacer une pierre.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo et Alpha Mamadou Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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