L’Ambassadeur russe aux guinéens : « Chers amis, ne cherchez pas la confrontation »

La Guinée a célébré, le 2 octobre dernier, ses soixante années de souveraineté nationale. L’évènement marquait aussi le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Guinée et la Fédération de Russie.

L’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Fédération de Russie en Guinée et en Sierra Léone, M. Alexandre Bregadzé, a reçu donc des médias dont Guineematin.com à la chancellerie russe à Conakry, pour revisiter les relations diplomatiques, d’amitié et de coopération qui lient les deux pays.

L’Ambassadeur russe, actuel doyen des diplomates en poste à Conakry, a mis l’occasion à profit pour adresser un message de paix aux guinéens et aborder d’autres questions liées au développement socioéconomique de la Guinée, mais aussi d’autres problématiques du continent comme le chômage des jeunes et l’immigration.

Décryptage !

Guineematin.com : il y a maintenant 60 ans que la Russie et la Guinée entretiennent des relations diplomatiques, de coopération touchant plusieurs domaines. Que peut-on retenir aujourd’hui de cette coopération russo-guinéenne ?

Alexandre Begadzé : je dois rappeler que la Guinée a proclamé son indépendance le 2 octobre 1958, et deux jours après, l’Union Soviétique d’alors a reconnu l’indépendance de la Guinée. Donc, nos relations sont historiques et empreintes de respect et d’amitié entre les peuples des deux pays. D’ailleurs, tout ce qui a été fait pendant 60 ans, a donné de bons résultats. Il y a des milliers de guinéens qui parlent Russe, qui respectent notre pays. Et c’est vice-versa avec les Russes. Ce qui veut dire que les 60 ans de relations diplomatiques entre les deux pays sont empreints d’amitié et de coopération très solides entre les deux nations et les deux peuples.

Guineematin.com : comme vous venez de le rappeler, la Russie est un partenaire traditionnel et de premier rang de la Guinée. Selon vous, quels sont les domaines dans lesquels ce partenariat a été le plus remarquable pendant les 60 dernières années ?

Alexandre Begadzé : la formation des cadres est le domaine dans lequel les relations sont plus remarquables entre les deux pays. Lorsque je venais ici, il y a huit ans environ, il n’y avait qu’une vingtaine d’étudiants qui partaient faire leurs études en Russie. Ce nombre est passé à 60 ou 65 personnes par an, sans oublier la centaine d’étudiants envoyés par Rusal. Ce nombre pourrait augmenter dans les années à venir.

Guineematin.com : qu’est-ce qui va changer, qu’est-ce qui sera amélioré ou qui sera instauré pour davantage solidifier ces relations ?

Alexandre Begadzé : traditionnellement, on a eu des domaines qu’on a développés depuis. C’est la formation, la coopération technique et la santé. L’épidémie d’Ebola a permis à la Guinée et la Russie de développer une coopération solide avec la mise à disposition de la Guinée d’un laboratoire mobile et d’un centre de recherche de haute technologie où les chercheurs guinéens et russes travaillent ensemble pour réaliser des travaux de recherche de haut niveau.

Actuellement, les vaccins contre Ebola réalisés à cet effet sont conservés à -5°C dans ce centre de recherche Guinéo-russe à Kindia. C’est fabuleux. Cela n’existe nulle part en Afrique. A long terme et selon la volonté du Président Alpha Condé, les chercheurs vont travailler à la fabrication de vaccins et de médicaments pour la Guinée et d’autres pays.

Guineematin.com : au niveau parlementaire, est-ce qu’il y a des annonces à faire, si oui, lesquelles ?

Alexandre Begadzé : je viens de recevoir la valise diplomatique de la Fédération de la Russie, et j’ai trouvé l’originale de la lettre que le Président de la Douma d’Etat a adressée au Président de l’Assemblée nationale de Guinée, Claude Kory Kondiano. Dans cette lettre, le Président de la Douma a félicité son homologue guinéen pour le soixantième anniversaire de l’indépendance de la Guinée et le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. M. Volodine a envoyé un message par mail et moi je vais déposer l’originale de la lettre dans les mains du Président Claude Kory Kondiano.

Cela dénote également les bonnes relations de coopération et d’amitié entre la Douma d’Etat et l’Assemblée nationale de Guinée. Je rappelle qu’en 2016, le Président Alpha Condé a effectué une visite d’Etat en Russie et présidé le forum économique avec M. Banki Moon, alors Secrétaire général des Nations Unies et M. Juncker, le Président de le Commission de l’Union Européenne à Saint-Pétersbourg, avant un tête-à-tête entre le Président Vladimir Poutine et le Pr Alpha Condé. A ce moment-là, nous avons décidé de donner un nouvel élan aux relations interparlementaires des deux pays.

En 2017, quand le Pr Alpha Condé, en tant que Président de l’Union Africaine et Président de la Guinée, a effectué une visite d’Etat à Moscou, il y avait dans la délégation guinéenne, le Président de l’Assemblée nationale, M. Kondiano. Pendant ce séjour, il y a eu la présentation du Président du Parlement guinéen à son homologue de la Douma. Depuis lors, les deux personnalités développent des échanges fructueux pour le bien de leurs institutions et dans l’intérêt des deux pays.

Guineematin.com : pouvez-vous nous parler de la composition de la Douma ?

Alexandre Begadzé : C’est une chambre basse, soit l’équivalent direct de l’Assemblée nationale. Elle comprend 450 députés. Ils sont élus pour un mandat de 4 ans. Il y a aussi la Chambre haute qui a 170 membres et équivaut au Sénat.

Guineematin.com : les 19 et 20 juin dernier, deux importants actes marquant la coopération économique entre les deux pays ont été concrétisés par le lancement des activités de Dian Dian et la relance de l’usine de Rusal Friguia. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on peut en retenir ?

Alexandre Begadzé : les deux parties ont retrouvé la confiance mutuelle pour travailler ensemble. Si vous visitez les installations de Dian Dian, vous vous croirez dans la science-fiction, tellement que les installations sont de haut niveau. C’est la dernière technologie qu’ils utilisent et ça, c’est très important. Cependant, il y a des problèmes avec les populations riveraines qui pensaient pouvoir être employées dans la totalité par l’entreprise. Je pense que c’est une situation qu’il faudra expliquer jusqu’à ce que chacun puisse comprendre. Pour travailler dans de telles installations, il faut une qualification.

En attendant, ces compagnies emploient la main d’œuvre, des chauffeurs et que sais-je. Mais pour les travaux techniques, Rusal par exemple dispose d’un réservoir important de cadres guinéens qu’elle a d’ailleurs formés en Russie. Elle a aussi envoyé dans les Universités russes d’autres jeunes étudiants. Avec la qualification, les autres peuvent être recrutés également. Mais cela demande un peu de temps. Ils doivent être professionnels et qualifiés. Cela est valable pour toutes les autres compagnies et sociétés minières qui évoluent sur le terrain.

Guineematin.com : quand est-ce qu’on peut espérer voir la transformation sur place de la bauxite en aluminium via l’alumine ?

Alexandre Begadzé : on transforme déjà la bauxite en alumine avec Rusal Friguia. La transformation en produit fini de la bauxite va intervenir, et je l’espère très bientôt. Même s’il faut tenir compte de la réalité du marché international basé sur l’offre et la demande. A cela, s’ajoute la question de disponibilité énergétique. Sur ce point, le pays est en train de faire des efforts formidables. Le complexe Kaléta-Souapiti sera bientôt opérationnel et le barrage Amaria est annoncé. Tout cela montre de belles perspectives économiques pour la Guinée. C’est encourageant.

Guineematin.com : souvent, entre les pays du nord et ceux du sud, il y a aussi cette histoire de dette. De nos jours, combien la Guinée doit à la Russie ?

Alexandre Begadzé : la dette guinéenne envers la Russie, c’est une petite dette et on va résoudre le problème. Je rappelle que c’est une dette contractée pendant l’existence de l’Union Soviétique. Le problème, c’est qu’après la dislocation de l’Union Soviétique, la banque qui avait accordé le prêt est devenue privée. Et la banque privée a ses actionnaires qui ne soient pas l’Etat et qui sont contre l’effacement de la dette. Donc, il nous faut travailler avec chaque actionnaire pour les convaincre d’effacer cette dette dont le montant de base est de 47 millions de dollars.

Guineematin.com : Soixante ans de diplomatie russo-guinéenne, c’est aussi 60 ans de coopération économique. Comment se portent les relations entre les deux pays à ce niveau et combien d’entreprises russes évoluent en Guinée présentement?

Alexandre Begadzé : Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui évoluent en Guinée. C’est la compagnie Rusal et la compagnie Nord Gold seules qui sont en activité en Guinée. Ce sont deux grandes sociétés russes performantes et très importantes. A mon avis, ces deux sociétés sont capables de générer d’autres business parallèles qui vont compléter leurs activités en Guinée.

Guineematin.com : dans les travaux publics, il y avait la société Enco5 qui évoluait sur le terrain. Qu’en est-il actuellement ?

Alexandre Begadzé : je pense que la société Enco5 est en banqueroute. Elle n’a pas réussi à se transformer en une société moderne et économique. Quand la gestion n’est pas à la hauteur de la demande, elle perd. Malheureusement, Enco5 a perdu du terrain. Sinon en Russie, Enco5 est une grande société.

Guineematin.com : faut-il s’attendre à que la Russie se lance dans le développement d’autres sous-secteurs économiques en Guinée, comme ceux du pétrole et du gaz guinéen qui laissent entrevoir de belles perspectives ?

Alexandre Begadzé : on est fort, c’est vrai, dans les domaines du pétrole et du gaz. Pour le cas de la Guinée, l’existence du pétrole et du gaz, on en parle. Ils disent qu’il y en a. Mais cela demande encore plus d’argent, de moyens techniques et de temps pour rentabiliser ce business. N’oubliez pas qu’à travers l’espace, nos satellites envoient des informations précises et très fiables. Pour arriver à exploiter ce potentiel, il faut un environnement propice qui permet de développer un tel business.

Guineemation.com : lors d’une rencontre avec son homologue russe Vladimir Poutine, le Président Alpha Condé a exprimé le souhait que la Guinée soit considérée comme la porte d’entrée de la Russie en Afrique. Comment est-ce que les autorités russes ont accueilli cette demande guinéenne ?

Alexandre Begadzé : la Guinée était déjà la porte d’entrée de la Russie et pour les autres. Le Président n’a fait que rappeler cela. Le Président Alpha Condé est très ouvert au business. Il n’est pas seulement ouvert avec la Russie mais avec tout le monde. Le Président a réussi à faire venir tout le monde en Guinée. Si les gens viennent investir, c’est parce que les conditions d’investissement sont devenues plus favorables. Le classement Doing business en fait foi. La Guinée engrange des points chaque année.

Elle va continuer son avancée encore et encore. Actuellement, il y a 300 russes qui sont établis en Guinée. Je pense que ce nombre va continuer à augmenter, puisque les Russes sont forts dans plusieurs autres domaines comme le domaine énergétique, les BTP, les mines, l’agriculture,…C’est vrai qu’avant la dislocation de l’Union Soviétique, il y avait plus de 5000 ressortissants russes en Guinée, il y avait des intérêts énormes. Mais avec la dislocation, chacun est reparti dans son pays. Mais rassurez-vous que les Russes vont revenir en Guinée et en Afrique pour fructifier et consolider les relations entre nos peuples.

Guineematin.com : selon vous, qu’est-ce qu’il faut améliorer pour voir émerger en Guinée une économie forte et industrialisée ?

Alexandre Begadzé : la Guinée a de grandes potentialités agricoles qu’elle peut développer pour son progrès socio-économique. Il y a des terres fertiles, du soleil et de la pluie. Si ces terres sont bien exploitées, la Guinée peut être le grenier de l’Afrique de l’ouest. J’ai échangé une fois avec le Président Condé et j’ai apprécié sa vision dans le secteur. Si l’agriculture est bien développée en Guinée, elle peut devenir le premier secteur économique du pays.

Guineematin.com : quelle lecture faites-vous de l’évolution démocratique en Afrique avec le départ, ces derniers temps, de grands leaders comme Mugabe du Zimbabwe et Edouard Dos Santos d’Angola ?

Alexandre Begadzé : l’Afrique est le continent d’avenir. Elle a un énorme potentiel et un bel avenir. Moi je l’appelle d’ailleurs le continent du soleil. Si on parle de démocratie, il faut savoir qu’il n’y a pas un modèle universel. Chaque pays a ses propres réalités, ses coutumes et ses lois…Quand je vois que les Présidents Mugabe et Dos Santos étaient longtemps au pouvoir, cela correspondait à mon avis aux traditions de ces pays. Pour moi, quel que soit le pays, s’il souhaite appliquer les principes démocratiques, ces derniers doivent avoir des couleurs nationales et qui prennent en compte les traditions de ce pays…

Guineematin.com : la jeunesse africaine est confrontée au chômage, à l’immigration et à la pauvreté. A votre avis, quelles sont les solutions pratiques que les dirigeants doivent appliquer pour changer la donne ?

Alexandre Begadzé : Je vois dans ce processus deux volets. Le premier, la jeunesse veut voyager et découvrir le monde. Le second, les jeunes cherchent quelque chose ailleurs qu’ils n’ont pas sur place. Et ça, c’est un processus universel. Il y a 100 ans ou plus, les Européens partaient en Amérique ou ailleurs, les gens quittaient l’Egypte pour d’autres destinations. Le processus migratoire fait partie de la vie de l’humanité. Mais ce qui se passe actuellement entre l’Europe et l’Afrique fait partie d’un business qui n’est pas propre.

On incite les gens à partir et ce n’est pas gratuit, ils paient beaucoup d’argent. Il y a des sociétés clandestines qui profitent de ça malheureusement. Par contre, la migration officielle existe et va exister. Vous entendez qu’il y a tant et tant d’autres pays qui sont en manque de main d’œuvre, ça c’est normal. Mais la clandestinité, il faut s’en méfier et s’en éloigner. Elle n’est pas du tout bonne. Parfois les gens cherchent le bonheur ailleurs sans savoir que le bonheur est sur place. Ils le laissent derrière eux pour aller ailleurs sans jamais le retrouver.

Pour corriger cela, il faut des programmes éducatifs et des cours de civisme qui inculquent à l’enfant le caractère patriotique. Par exemple moi, quand j’étais tout jeune pionnier, j’avais un serment dont je me souviens encore et dont je me sers énormément. C’est très important. Et je suis toujours fidèle à ce serment…C’est des choses qui peuvent faire de nous des personnes responsables.

Guineematin.com : parlez-nous des priorités russes en Afrique dans les prochaines années.

Alexandre Begadzé : la Russie se concentre de plus en plus sur elle-même. Avec des vastes terres qui n’ont jamais connu un coup de pioche. Il faut qu’on s’occupe de notre propre terre. Moi je suis persuadé que plus on devient plus forts, plus on aura la possibilité d’aider et de travailler avec d’autres partenaires. Que ce soit la Guinée ou d’autres pays. Actuellement, il nous manque la main d’œuvre. Et depuis cinq ans, la Russie est devenue un pays exportateur de céréales.

Guineematin.com : pour finir, quel appel avez-vous à lancer aux guinéens, s’il en était besoin ?

Alexandre Begadzé : chers amis Guinéens et Guinéennes, ne cherchez pas la confrontation. Cherchez la paix à toutes les occasions. C’est avec la paix qu’on peut avancer, créer, construire et développer une nation. Avec la paix, nous sommes et seront toujours avec vous. En ce qui concerne la paix, nous sommes toujours prêts à vous soutenir pour que la paix règne dans votre beau pays.

Interview réalisée par Abdallah BALDE pour Guineematin.com

Tél. : 628 08 98 45

Facebook Comments Box