Militarisation de l’Axe : « ici, on a besoin d’écoles, de centres de santé, d’aires de jeux…»

Ibrahima Aminata Diallo

La mesure prise, hier lundi 19 novembre 2018, par le gouvernement de militariser l’Axe Hamdallaye-Kagbélen ne cesse d’alimenter le débat dans la cité. Une décision qui ne fait pas l’unanimité, surtout dans cette zone de Conakry.

Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com, Ibrahima Aminata Diallo, président de la Plateforme des Jeunes Leaders de l’Axe pour la Démocratie et le Développement (PJDD) n’est pas content de cette mesure. Selon lui, en lieu et place des militaires pour le maintien de l’ordre et de la sécurité, le gouvernement aurait mieux fait d’y construire des écoles, des hôpitaux et des aires de loisirs.

Guineematin.com : quelle est votre réaction par rapport à la militarisation de l’Axe Hamdallaye- Kagbélen ?

Ibrahima Aminata Diallo : dès que la réunion s’est tenue au gouvernorat de Conakry, on a immédiatement reçu des informations, le même jour, faisant état de l’installation des postes armés (PA) dans la zone de l’Axe. Nous avons pris acte de cette nouvelle. Cela, s’est matérialisé hier avec les pick-up qu’on a constatés après la prière du crépuscule. On a vu une vingtaine de pick-up sorties d’usines au tour de l’Axe, notamment au rond point de Bambéto, au niveau de la station, où il y avait une dizaine. Les autres se sont postés au niveau des carrefours de l’Axe. Si toutefois ils sont là dans le cadre de la sécurisation des citoyens et de leurs biens, ça relève de l’autorité de l’Etat. C’est salutaire. Mais, s’ils sont là dans le cadre de mettre les gens dans le silence forcé, en faisant entorse à la loi, au détriment de la justice et des principes démocratiques, nous sommes contre et nous nous indignons et on est révolté en ce moment. Parce que, nous estimons que l’article 10 de la Constitution est clair. La revendication est un droit constitutionnel de première génération. Si nous avons opté pour un Etat démocratique, alors qu’est-ce qui empêcherait de respecter les lois ? Et le Premier ministre actuel, depuis qu’il est venu, il a dit qu’il va restaurer l’autorité de l’Etat. D’accord, mais restaurer l’autorité de l’Etat ne signifie pas mettre les gens dans le silence forcé. Le silence forcé aussi, ce n’est pas la paix. Alors, si c’est le cas, ils ne feront que radicaliser les gens dans la violence. Parce que les gens n’ont plus peur. Aujourd’hui, le monde est devenu un village planétaire, de la même façon que les autres ont leur bonheur, le peuple de Guinée aussi aspire au même bonheur. La situation de la précarité, de la pauvreté des guinéens, ce n’est pas une fatalité. C’est quelques groupes d’individus qui l’ont décidé pour mettre une majorité dans cet état de précarité. Alors, la donne va changer. Comme ça a commencé, je pense que les gens ne vont pas reculer. Et, nous encourageons tous ceux qui sont légalistes de continuer leur lutte dans la non-violence.

Guineematin.com : à votre avis est-ce que ces mesures ne vont pas restreindre la liberté de mouvement des citoyens qui habitent cette zone ?

Ibrahima Aminata Diallo : ça va peut être restreindre, pour ceux qui ne comprennent pas qu’ils sont dans un Etat de droit. Mais, nous invitons les citoyens à ne pas céder à l’intimidation. S’ils ont envie de sortir et vaquer à leurs occupations, à n’importe quelle heure, ils sont citoyens et ils sont libres de vaquer à leurs occupations. Nous surveillons ceux-là qu’on a envoyés et le jour où il y aura tracasserie policière, ou militaire, je pense qu’on va arriver à un niveau où nous allons faire des démarches qu’on a commencé avec la communauté internationale. Dans ce cas, la Guinée sera isolée. Ça, aujourd’hui on est dans ce monde. On est capable de faire en sorte que la Guinée soit isolée. Et que si toutefois on ne respecte pas les lois du pays, on est capable de le faire. Ça, c’est de l’intimidation et cela ne relève pas de la loi, ni de la justice. Qu’ils continuent à vaquer à leurs occupations, qu’ils continuent à être pacifiques, à ne pas être violents et qu’ils continuent à revendiquer dans la légalité avec des pancartes, de façon civilisée. D’ailleurs, il est dit quelque part, un militaire, un gendarme, un policier, ils sont là pour le peuple.

D’ailleurs, on doit fuir le malfrat vers le gendarme ou le policier au lieu de fuir le gendarme ou le policier pour aller se jeter dans les mains d’un autre malfrat. Alors nous, nous voulons ça. Nous voulons cet Etat là. S’ils sont là dans ce cadre là, bienvenue. Si ce n’est pas le cas, vraiment ils n’ont qu’à démilitariser l’Axe. A la place de ces gens-là, on a besoin d’écoles, de centres de santé, d’infrastructures sociales base, dignes de nom, à l’image de toutes les autres communes. S’ils font ça, ils vont trouver que les jeunes vont à l’école. Après, ils ont un lieu de loisir, après ils vont se frotter avec les forces de sécurité. Ça va réduire la violence. Au lieu de chercher à intimider, il faut occuper. Les jeunes ne sont pas occupés. Si non, c’est une zone diabolisée, marginalisée, ignorée, oubliée complètement par l’Etat. Donc, en mettant les gens dans cet état là, on les pousse à se replier, et le repli est une source de frustration. L’impunité qui est là, le nombre des jeunes qui ont été tués, tous ces facteurs réunis, constituent les sources de frustration des habitants de cette zone.

Guineematin.com : qu’est-ce que la PJDD, la structure que vous dirigez, fait concrètement avec les jeunes de l’Axe ?

Ibrahima Aminata Diallo : la PJDD, depuis sa création, travaille avec les jeunes de l’Axe dans le cadre de la réflexion pour une nouvelles stratégie de manifestations, notamment pour optimiser mieux les résultats de la lutte que les jeunes de l’Axe mènent depuis un certains temps et pour minimiser les dégâts. Et pour cela, nous avons des représentants un peu partout sur l’Axe jusqu’à Kagbélen. On a même une antenne aujourd’hui à Kagbélen et à Dubréka à l’image du bureau de Conakry. Avec eux, nous sommes en train de partager l’expérience de la lutte non-violente que nous avons eue la chance d’être inspiré par le projet Démocratie Sans Violence de la Baïonnette Intelligente, à travers les formations sur les icônes de la non-violence, notamment Mahatma Gandhi, Nelson Mandela, Martin Luther King. Ce sont les inspirateurs de la plateforme de l’Axe, pas pour renoncer à la lutte, mais plutôt pour changer de stratégie. Avec ça, il y a beaucoup de jeunes aujourd’hui qui commencent à comprendre que la meilleure façon de continuer notre lutte c’est de rester dans ce combat impartial, car l’ambition de notre plateforme, c’est d’être la locomotive de la démocratie en Guinée.

Guineematin.com : quel est le mot de la fin ?

Ibrahima Aminata Diallo : c’est un appel que je vais lancer aux autorités guinéennes. Ils n’ont qu’à comprendre que nous sommes au XXIème siècle, et que le monde est devenu un village planétaire. Le bonheur qu’aspirent les jeunes de Guinée à travers leurs revendications, à travers leur ras-le bol, s’est inspiré de beaucoup d’autres pays. Cette précarité n’est pas une fatalité. C’est possible qu’il y ait un changement…. Je salue tous ceux qui œuvrent pour le renforcement de cette démocratie dans ce pays, et tous ceux qui œuvrent pour la paix, parce que ce n’est pas un décret, mais c’est un processus. Alors, tous ceux qui veulent qu’il n’y ait pas dans ce pays, ils n’ont qu’à inviter le gouvernement au respect des textes de loi, au lieu de faire entorse à cette loi.

Propos recueillis par Saidou Hady Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 654 416 922/664 413 227

Facebook Comments Box