Acquis et faiblesses du régime Lansana Conté : le regard du ministre Jean Paul Sarr (interview)

Le 22 décembre 2018 marque le 10ème anniversaire du décès du Général Lansana Conté, le deuxième président de la République de Guinée. Alors que sa famille et son parti, le PUP, s’apprêtent à commémorer cet événement, c’est aussi l’occasion de revenir sur la vie de l’homme et sur son règne à la tête du pays. Et pour cela, Guineematin.com donne la parole à ceux qui ont côtoyé le président Lansana Conté et qui le connaissent donc très bien. Parmi eux, Jean Paul Sarr, ingénieur agronome, ministre de l’agriculture, de l’élevage, des eaux et forêts sous le régime Conté. Avec lui, nous avons parlé des acquis et des faiblesses de la deuxième République.

Décryptage !

Guineematin.com : il y a de cela 10 ans depuis que le Général Lansana Conté est décédé, l’anniversaire de sa mort sera commémoré le 22 décembre prochain. Vous avez été l’un de ses proches collaborateurs lorsqu’il était au pouvoir, quel souvenir gardez-vous de lui ?

Jean Paul Sarr : le Général Lansana Conté est un homme au-dessus de la mêlée. C’est un grand homme qui est rentré par la grande porte de l’histoire. Puisqu’en fait, si le premier président Ahmed Sékou Touré a amené la liberté avec ses compagnons, le père de la démocratie, c’est le Général Lansana Conté. Il a estimé qu’il était important, avant la conférence de la Baule, de décider sans contrainte de choisir la voie du libéralisme. Et, c’est dans ce contexte que nous vivons aujourd’hui. Sa pensée politique a fait que plus jamais, ce pays ne pourra retourner dans la dictature. C’est ça l’acquis fondamentale du Général Lansana Conté.

C’est un homme qui aimait son pays et son peuple, c’est pourquoi il a embrassé l’agriculture comme priorité des priorités. Parce qu’il a estimé qu’il est important de trouver à manger à la population. Vous savez, l’existence, on a trois (3) besoins fondamentaux : se nourrir, se vêtir et se loger. Alors, le président Lansana Conté avait le souci de cela. C’est pourquoi, on a fait un investissement important aussi bien dans le cadre de la modernisation de l’agriculture, la formation des hommes. Et, il a mis en place un système de financement qui permettait de donner la possibilité à l’ensemble des paysans, que ça soit de la Forêt, de la Haute Guinée, de la Moyenne Guinée, de la Basse Guinée, des moyens de pouvoir produire davantage et de qualité.

En cela, moi j’ai eu à faire ma part de travail. J’ai hérité d’un département, mes devanciers avaient fait le grands pas, je suis venu continuer. Et, pour que cela soit dans les normes, on a mis en place la lettre de politique de développement agricole. C’est une politique participative, volontariste, ça n’a pas été parachuté du sommet. On est allé dans les hameaux. Et, tous ceux qui m’ont vu dans mon département, me voyaient sur le petit écran partout. Il était difficile de me voir dans le bureau, j’étais tout le temps sur le terrain. On a fait participer les bailleurs de fonds, les paysans sur leurs priorités. Et, c’est ce qu’on a pris en compte pour faire cette politique. Nous l’avons fait au niveau des préfectures, au niveau de la région et finalement au niveau national.

Guineematin.com : concrètement, qu’est-ce qu’on peut retenir comme acquis de la gouvernance du Général Lansana Conté ?

Jean Paul Sarr : l’acquis fondamental, c’est la liberté d’entreprendre, la démocratie. Chacun est libre d’investir et de récolter le fruit de son travail sans contrainte ni rien. Donc, c’est quelqu’un qui aimait son pays, qui a donné de larges ouvertures. Il ne se souciait pas de votre appartenance politique. Il dit : le peuple m’a confié un mandat, je vous appelle pour que vous m’aidiez à atteindre ces résultats. En quoi faisant ? En faisant participer chacun des éléments à la construction nationale. Aussi, cet homme, c’est un vrai soldat sinon, la rébellion ne serait pas rentrée ici et ressortir. Il a dit : ce que j’aime, c’est ma Guinée, et je n’accepterai pas une domination de mon pays tant que je vivrai. Et, je suis sûr, même après moi, ma pensée continuera.

Et, c’est pourquoi à un moment donné, on a dit « Koudeï ». Les gens pensent que c’est son corps, personne n’est éternel, mais c’est sa pensée politique, la démocratie qu’il a instaurée, la liberté d’entreprendre, la liberté de monter et de descendre. Il tenait à la sécurité du pays. A son temps, vous n’entendiez pas des crimes crapuleux n’importe comment et n’importe où. Vous conviendrez avec moi que le système de sécurité mise en place, intéressait toute la population. Il était important que l’administration puisse être à l’écoute du peuple, aux difficultés du peuple conformément à l’option qu’il avait choisie. Donc, c’est quelqu’un qui nous a beaucoup marqué que le plan du patriotisme. C’est quelqu’un qui nous a marqué sur l’ouverture vers les autres.

C’est quelqu’un qui nous a appris la patiente et la tolérance. Il arrivait des moments où nous autres, on était excédés, mais lui, il gardait son calme olympien. Il dit : nous sommes guinéens, il est inadmissible que nous nous bâtions entre nous. Quel que soit le prix de la paix, il disait qu’il faut l’assumer. C’est un homme de la paix, c’est un homme qui aime son pays, c’est un homme qui est foncièrement attaché à ses coutumes, à sa culture.

Guineematin.com : est-ce qu’il y a quelque chose quand même que vous regrettez, quelque chose que vous n’avez pas apprécié dans la gouvernance du feu Général Lansana Conté ?

Jean Paul Sarr : je suis un peu peiné. Je vous l’ai dit, pendant 11 ans, j’ai pratiqué l’homme et j’étais avec lui. Ce qu’il aimait le plus, c’est l’agriculture. Il aimait donner à manger à la population. Car pour lui, c’était la meilleure façon de combattre la pauvreté. C’est avec la pauvreté que vous avez des dérives, des convulsions sociales à tout moment. Il me l’a dit, il dit que les quatre (4) régions naturelles doivent se suffire. C’est pourquoi, en Forêt, il y a la SOGUIPAH ; en Haute Guinée, il y a le coton ; en Moyenne Guinée, la paume de terre, l’horticulture. Il disait que quand les gens ont à manger, ils ne seront pas dans la rue. Alors, il faut veiller sur l’équilibre, que chaque guinéen se sente chez-lui.

Guineematin.com : vous pensez donc que tout était parfait ?

Jean Paul Sarr : non, la perfection n’est pas de ce monde, Dieu seul est parfait. Mais ce que je dis, quand vous agissez, il faudrait que ce qui est bien, dépasse ce qui est mauvais. C’est ça la part des choses. Moi, j’ai apprécié étant auprès d’un homme que j’ai pratiqué pendant 11 ans. Il me l’a dit : je te confie quelque chose qui me tiens à cœur, l’agriculture. Ma Guinée, ma patrie, je n’accepterai jamais que ce pays subisse de qui que ça soit. Je suis prêt à prendre les armes.

Guineematin.com : aujourd’hui, en tant qu’ancien ministre, quel regard avez-vous de la gouvernance du professeur Alpha Condé ?

Jean Paul Sarr : je ne me détermine pas par rapport à la gouvernance de ceci ou de cela. Je constate simplement que le domaine que je connais, l’agriculture que je connais, doit encore reprendre et repenser vraiment la stratégie, le plan d’action et les projets qui supportent ce plan d’action. Je l’ai déterminé tout à l’heure, c’est-à-dire que le plan d’action agricole est une politique volontariste, participative. Ça veut dire qu’on a pris en compte les besoins immenses du peuple de Guinée et que nous avons traduit en politique de développement. C’est ce qu’il faut faire. Je vous l’ai dit, on a quatre (4) microclimats. Les engrais et autres que nous devons faire, il y a des formules et autres qui sont établies selon les spéculations. Que ça soit les céréales, les tubercules ou les fruitiers, chaque spéculation doit être abordée selon la science et la vulgarisation.

Guineematin.com : un dernier mot ?

Jean Paul Sarr : je reste convaincu que notre pays, dans son unité, est un grand pays. La Guinée est un grand pays qui, a des moments donnés de l’histoire, on a montré la voie à suivre. Aujourd’hui, la jeunesse, les femmes, doivent se donner la main, faire tout pour sauvegarder la paix dans notre pays. Nous devons combattre l’ethnocentrisme, combattre le régionalisme. Mais vous savez, la paix c’est un comportement comme l’a dit quelqu’un. Il faudrait que chacun de nous accepte l’autre dans sa diversité, dans sa façon de faire pour que nous puissions évoluer dans la paix. Et ça, c’était l’œuvre chère au Général Lansana Conté.

Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

Facebook Comments Box