Manifestations du SLECG : « c’est une honte », dit Pépé Balamou du SNE

Michel Pépé Balamou
Michel Pépé Balamou

Le syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG) a décidé de durcir davantage sa position face à la crise au sein du secteur éducatif guinéen. Les enseignants entendent intensifier leurs manifestations de rue, notamment en brûlant des pneus sur la chaussée, pour mettre la pression sur le gouvernement et l’amener à dégeler leurs salaires et à accepter d’ouvrir des négociations avec eux. Et, cette situation désole Michel Pépé Balamou, le secrétaire général du Syndicat National de l’Education (SNE).

Pour ce dernier, c’est une honte que de voir des éducateurs se livrer à de telles pratiques. C’est pourquoi, il invite le gouvernement à sortir de sa fermeté et à dialoguer avec le SLECG pour trouver une solution à cette crise qui perdure. Il l’a dit au cours d’une interview qu’il a accordée à Guineematin.com hier, mardi 25 décembre 2018.

Décryptage !

Guineematin.com : depuis près de trois maintenant, le système éducatif guinéen est paralysé par la grève des enseignants déclenchée par le SLECG. La situation perdure et aucune solution n’est encore en vue. Quel est votre regard sur cette situation ?

Michel Pépé Balamou : c’est un constat amer. Nous, nous estimons que la lutte syndicale doit être menée dans les règles de l’art. Et, il revient aussi au gouvernement qui a la charge de promouvoir le dialogue social, de prendre la mesure de la chose et de trouver un dénouement heureux à cette crise. Et que chacune des parties fasse preuve de concession pour que l’école guinéenne reprenne de plus belle.

Guineematin.com : ces derniers temps, le SLECG est en train de durcir davantage la situation en organisant des manifestations de rue pour protester contre le gel des salaires et exiger l’ouverture de négociations avec le gouvernement. On a même vu des enseignants brûler des pneus dans la rue le lundi dernier à Conakry. Comment percevez-vous cette situation ?

Michel Pépé Balamou

Michel Pépé Balamou : c’est une honte. Voir des enseignants qui se livrent à de telles pratiques, je crois que cela est symptomatique de l’indécence morale, professionnelle et académique. Moi jusqu’à date, je ne crois pas que ça soit des enseignants qui brûlent des pneus dans la rue. Mais vous savez, la fermeté peut conduire à la radicalisation et la radicalisation peut entraîner aussi des rapports de force. Et lorsqu’il y a la force, les gens vont sortir de leur décence morale et professionnelle pour se livrer à du n’importe quoi. Ce que nous sommes en train de voir, c’est une honte.

Parce que nous nous sommes des éducateurs, un enseignant, c’est un modèle : il enseigne, il éduque, il forme, il transforme de façon qualitative et quantitative des jeunes pour les rendre utiles à eux-mêmes, utiles à leurs familles et utiles à la société et au monde entier. Si nous qui sommes des modèles, nous prenons le décalque du mauvais comportement pour aller transposer ça dans la rue, je pense que ça a atteint un niveau qu’il faille faire appel à la tempérance et à la modération.

Guineematin.com : n’est-ce pas la fermeté du gouvernement qui a amené le SLECG à se radicaliser ?

Michel Pépé Balamou

Michel Pépé Balamou : je suis d’accord, parce que le Premier ministre est promoteur du dialogue politique et social, en vertu de l’article 58 de la constitution. Et je pense que ce langage de fermeté qui a été tenu par le Premier ministre n’est pas de nature à apaiser la situation. Mais, n’en déplaise, nous sommes des éducateurs. Ce n’est pas parce qu’il y a fermeté par endroits que nous allons nous livrer à autre chose. Je condamne d’une part cette fermeté du Premier ministre, il n’a qu’à expliquer au SLECG qu’il n’a pas de possibilité et quelles mesures palliatives faut-il prendre. Donc, à partir de ce moment, nous qui sommes éducateurs, devons faire en sorte que nous ne nous affichions pas devant l’Etat. Parce que l’Etat est revêtu du manteau de la puissance publique, il détient le monopole de la violence physique, légale et légitime.

Si vous créez des actes de nature à troubler l’ordre public, alors vous allez voir l’Etat devant vous. Donc c’est pourquoi, un syndicat est un partenaire de l’Etat, c’est un dialogue social. C’est pourquoi il revient aussi à l’Etat, de promouvoir le dialogue social, d’anticiper les crises, de faire preuve de proactivité et de capacités managériales pour anticiper ces crises. De faire en sorte qu’avant chaque ouverture, de convoquer toutes les couches sociales, professionnelles et syndicales autour de la table pour voir à mi-parcours à quel niveau les accords ont été appliqués, quelles sont les crises qui courent, et quoi faire pour ne pas les laisser aussi exploser pour empêcher les enfants guinéens d’aller à l’école.

Guineematin.com : récemment, le gouvernement s’est disposé à rouvrir les négociations mais à condition que le SNE et la FSPE soient présents à ces discussions. Ce que le SLECG a refusé, estimant que ces organisations syndicales ne sont pas concernées par cette crise et qu’elles ne doivent pas donc prendre part à ces négociations. Comment trouvez-vous cette position du SLECG ?

Michel Pépé Balamou : bon, il est de leur droit de ne pas accepter que nous partions avec eux. Et, il revient à la partie gouvernementale de savoir raison garder et de les ramener à la raison. Vous savez, c’est une querelle d’égo, de leadership et nous, nous n’allons pas nous inscrire dans ce cadre-là. D’autant plus que lorsque nous fûmes nés, nous avons essayé d’adresser des lettres au SLECG pour leur dire que nous avons obligation d’aller ensemble, obligation de s’unir. S’il est vrai que les cinq structures syndicales se battent pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants, il va de soi que nous fassions une synergie d’action pour aller vers la table de négociation, pour faire en sorte que l’Etat puisse nous écouter, et que d’dorénavant les enseignants puissent reprendre le chemin de l’école et que les enfants puissent étudier dans les meilleures conditions. Quand je dis les enseignants, ce sont les enseignants qui sont syndiqués au SLECG.

Et, vous n’êtes pas sans savoir que la FSPE a demandé à la grève. Ils disent que nous, nous n’avons pas été en grève, je suis d’accord. Mais, la FSPE a été en grève. Pourquoi refuser alors que la FSPE soit autour de la table de négociation ? Vous voyez que c’est donc un problème d’égo. Et, je vais vous dire qu’il ne suffit pas seulement de déclencher une grève pour être écouté par la partie gouvernementale. Nous, on a déjà déposé notre plateforme revendicative, les autres structures aussi en ont déposé. Donc, la menace de la grève porte plus que la grève elle-même. Donc si on est écouté, on ne va pas en grève. Et on va toujours envoyer des lettres au SLECG pour trouver une solution heureuse à cette crise. Parce que la défaite du SLECG, c’est la défaite de toutes les structures syndicales et de toutes les centrales syndicales.

Guineematin.com : vu qu’il n’y a toujours pas de négociations visant à trouver solution à cette crise qui dure depuis trois mois environ, est-ce qu’il ne faut pas craindre aujourd’hui une année blanche en Guinée ?

Michel Pépé Balamou : non, une année blanche, c’est trop dire. Et, j’ai même entendu dire que l’UNESCO aurait décidé d’enclencher une année blanche à partir du 15 décembre. Où on n’en est aujourd’hui ? Nous sommes le 25 décembre, rien n’a été fait. Je crois qu’on ne doit pas se mettre dans le propagandisme syndical. Un syndicat responsable ne doit pas se livrer à la propagande. L’UNESCO est un partenaire technique, l’UNESCO intervient dans quatre (4) axes prioritaires dans un pays. L’UNESCO aide à la formation des formateurs, l’UNESCO aide à un appui technique et financier, l’UNESCO aide au contrôle de l’enseignement et de l’apprentissage et des évaluations dans un pays.

Et, il y a un principe de souveraineté, chaque Nation est libre et donc il revient à l’Etat seul de déclencher une année blanche. Et pour que l’Etat déclenche une année blanche, il doit d’abord envoyer les inspecteurs sur le terrain pour évaluer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, pour évaluer l’évolution des programmes d’enseignement, pour évaluer les évaluations sommatives et formatives qui se déroulent sur le terrain, de la capitale jusque sur le dernier village où se trouve une école en République de Guinée et remonter un rapport d’activité. C’est à l’issue de ce rapport d’activité, que l’Etat peut décider du déclenchement de l’année blanche ou pas.

Guineematin.com : le gouvernement menace de radier les enseignements qui n’accepteraient de pas de reprendre le chemin de l’école jusqu’au 31 décembre prochain. Est-ce que le gouvernement peut radier un enseignant pour fait de grève ?

Michel Pépé Balamou : vous savez, l’interprétation des textes juridiques posent aujourd’hui beaucoup de problèmes. Il y en a qui parlent de la loi L28 qui parle du statut particulier de la fonction publique. Il y en qui parle du code qui régit les employeurs et leurs employés au niveau du privé. Mais toujours est-il que par endroits, nous au niveau du SNE, nous ne voudrons pas que nous y arrivons. D’autant plus que nous sommes une structure qui défend les enseignants et un syndicat est avant tout, ce qu’on appelle un avocat. Et, l’avocat défend tout le monde : un malfrat, un voleur, un délinquant ou une prostituée. Donc, nous ne voulons pas faire de distinguo entre les enseignants. Nous, nous avons la porte ouverte vers tous les enseignants. Et, nous avons déjà résolu beaucoup de problèmes au niveau des enseignants dont les salaires ont été arbitrairement gelés ou dispatchés dans d’autres préfectures qui n’est pas leur préfecture d’origine.

Nous avons essayé aussi d’interpeller la partie gouvernementale sur le fait que le salaire est sacré. Vous avez vu ce qui arrive à certains enseignants qui commencent à être délogés, certains qui sont déclarés morts, d’autres aussi ont perdu leurs épouses pour leur incapacité à trouver des produits pour les soigner. Le déclenchement d’une grève consiste à améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants, ça ne consiste pas à détruire leurs conditions de vie. Le syndicat défend le travail et les travailleurs. Donc, si le travail est détruit, il va de soi que la structure syndicale qui a déclenché la grève d’être responsable, de faire attention. Elle doit se dire que nous n’avons pas déclenché cette grève pour tuer le travail. Vous avez vu le cas de l’usine de Fria. Alors si nous nous évertuons à dire que l’Etat fait preuve de fermeté et que nous aussi nous continuons dans ce rapport de force, nous faisons du tort aux enseignants. Donc, je crois que nous n’arriverons pas à la radiation.

Guinematin.com : vous avez parlé d’une plateforme revendicative que votre syndicat, le SNE, a déposée auprès du gouvernement. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Michel Pépé Balamou : oui, voilà qui justifie que nous devons être appelés par le gouvernement. Quand on nous dit que nous sommes un syndicat fantôme, nous sommes fabriqués par le gouvernement, vous voyez nous sommes à notre siège ici, nous sommes une organisation légale. Et ce qui nous reste, c’est de faire une offensive à l’internationale. Et, vous savez, nous essayons de voir autrement. Parce que le SNE a vu que depuis 1992, toutes les revendications ne se limitaient qu’au salaire. Et si le SLECG continue de revendiquer le salaire, nous avons dit que nous ne sommes pas opposés. Mais, nous voulons faire le syndicalisme autrement. La revalorisation des primes liées à la formation. Qu’est-ce qui fait que l’Etat se retranche dans sa fermeté ? Parce que par endroits, l’Etat pense qu’en ajoutant sur l’indice salariale, il sera dans l’obligation d’augmenter pour tous les enseignants. Mais nous nous sommes dit que si on se limite à ce qu’on va appeler ici les primes qui sont liées à la fonction enseignante : les primes de craie, les primes de documentation, voire les primes de correction et les primes de zone, je crois qu’un médecin ne va pas dire que vous avez donné une prime de craie aux enseignants, moi aussi je veux ma prime ; ou un agronome ne peut pas dire que vous avez donné des primes aux enseignants, moi aussi je veux ma prime.

Ces primes-là, nous les défendons et qui ne sont liés qu’à la formation enseignante, vous allez voir que ça va très bien marcher. Et, nous avons aussi pensé à un autre secteur sensible de la vie nationale. Ce sont les écoles privées qui, lorsqu’il y a la grève, sont les parents pauvres. Parce qu’après la suspension de la grève, elles ne bénéficient d’absolument rein, et ils végètent dans la nature. Vous savez, pendant la crise d’Ebola, certains ont perdu leurs femmes, d’autres ont été délogés tout simplement parce que les cours n’ont repris que le 19 janvier 2015. Et nous, nous avons pensé que ces gens-là doivent être règlementés. Donc, nous allons partir vers la partie gouvernementale pour qu’elle règlemente le secteur privé et qu’elle subventionne ces écoles privées. Et pourquoi pas à la longue, recruter ces enseignants-là, dans les institutions d’enseignement publics secondaires et universitaires.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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