Trafic d’enfants, projets agricoles… Le préfet de Koundara à Guineematin (interview)

Frontalière au Sénégal et à la Guinée Bissau, la préfecture de Koundara est confrontée à un sérieux problème migratoire. De nombreux jeunes, candidats à l’immigration clandestine vers l’Europe, traversent la frontière pour aller au Sénégal, avant de rallier le Maghreb. Mais, plusieurs d’entre eux sont souvent arrêtés au Sénégal et reconduits à la frontière sans moyens de retourner chez eux.

C’est donc le préfet de Koundara, Hassane Sanoussy, qui les prend en charge et s’occupe de leur retour dans leurs familles respectives. Ce dernier qui s’est confié à un envoyé spécial de Guineematin.com dans la ville, a déploré cette situation, pointant du doigt la responsabilité parentale.

Décryptage !

Guineematin.com : la 4ème assemblée générale de l’association Winden Janguen ADLAM se tient en ce moment à Koundara. Comment avez-vous accueilli le choix de votre ville pour abriter cette rencontre ?

Hassane Sanoussy : il faut avouer que j’ai accueilli cette nouvelle avec beaucoup de joie. Pour la simple raison que c’est d’abord une association qui a été agrée par le gouvernement de la République et surtout qu’il s’agit de la culture de notre pays. Donc, ne perdez pas de vue que le président de la République, le Professeur Alpha Condé, attache une importance capitale à nos langues nationales. Ce n’est pas pour rien qu’il a été créé un ministère chargé de l’alphabétisation. Donc, moi je ne pourrai que saluer cette initiative.

Guineematin.com : vous êtes à Koundara depuis 4 ans, en tant que préfet. Qu’est-ce qu’on peut retenir concrètement de votre action ?

Hassane Sanoussy : j’ai supervisé les collectivités dans le cadre du développement des infrastructures au niveau des collectivités. Ne perdez pas de vue que depuis que je suis là, nous n’avons pas encore reçu les moyens pour nous permettre de faire aussi des investissements en matière d’infrastructures. Mais quand même, nous avons fait beaucoup aussi. Vous avez vu la tribune, vous avez vu aussi la place de la République. Malgré que je n’ai pas encore les moyens de ma politique en matière de développement, mais j’avoue que tout se passe très bien. Le peu que nous gagnons à travers les recettes locales, nous investissons immédiatement. Et, les preuves sont là, tangibles.

Guineematin.com : la préfecture de Koundara partage la frontière avec deux pays : la Guinée Bissau et le Sénégal. Ce qui fait qu’elle est confrontée à des problèmes, notamment d’immigration clandestine. Parlez-nous-en.

Hassane Sanoussy : là, vous faites bien de poser cette question. Parce que c’est une affaire récurrente et ça me fatigue. Ça me fatigue très sincèrement pour la simple raison que par mois, je peux recevoir près de 100 à 150 jeunes (il brandit des photos pour prouver ces dires). Des enfants qui vont au Sénégal pour tenter l’aventure européenne. Ces enfants sont renvoyés à nos frontières encore par les autorités sénégalaises. Et quitte à l’autorité préfectorale, au nom du gouvernement, d’aller les récupérer dans la brousse de Bhoundou Fourdou ou de Kandeïda ou de Missira pour les ramener à Koundara.

Je les loge d’abord, je les fais nourrir, avant d’avoir toute la situation de leurs parents pour pouvoir renvoyer ces enfants à leurs familles. Le Gouverneur de Labé est mon témoin, le Gouverneur de Boké aussi est mon témoin. Du 1er au 06 janvier seulement, j’ai reçu 50 jeunes que je dois renvoyer dès demain sur Labé. Parce que leur provenance : c’est Labé, c’est Pita, c’est Dalaba, c’est Mamou, c’est Koubia.

Guineematin.com : vous nous disiez plus haut que n’avez pas des moyens. Comment parvenez-vous alors à gérer cette question migratoire ?

Hassane Sanoussy : je vous dis que c’est une crise qui est d’abord récurrente. Et malgré tout, je fais le maximum de moi-même. Même mon salaire, je l’utilise pour louer des taxis pour renvoyer ces enfants-là chez leurs parents. Je n’ai reçu aucune subvention dans ce sens. Mon ministre, Général Bouréma Condé, que je salue de passage, a fait le maximum de lui-même, à l’effet de me permettre d’avoir les moyens substantiels pour me permettre, chaque fois que des enfants sont arrêtés et déposés à la frontière, d’avoir le prix du carburant au-moins pour les ramener chez eux. Et également avoir des véhicules pour les déposer dans leurs familles respectives. Là, j’avoue que mon ministre a tout fait. Mais malheureusement, jusqu’à présent, je n’ai aucun moyen.

Mais, je me débrouille au nom des droits de l’Homme, et je suis le représentant du gouvernement. Donc, je suis dans l’obligation de récupérer ces enfants renvoyés de nos frontières par le gouvernement sénégalais ou par le gouvernement Bissau-guinéen pour les ramener dans leurs familles respectives. Mais, c’est des enfants qui viennent parfois très déshydratés, ayant fait la prison au niveau du Sénégal ou de la Guinée-Bissau avant d’être rapatriés à nos frontières.

Il faut les nourrir, il faut les loger d’abord, il faut leur apporter des soins avant de les renvoyer. Vous pouvez demander au préfet de Labé même ou au préfet de Mali qui sont tous mes témoins. Les frontières sont poreuses, même si vous envoyez 50 mille militaires à nos frontières, ils ne peuvent pas empêcher ces enfants de passer. Il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de mer, les gens ne font que rentrer dans la brousse et traverser.

Guineematin.com : vous dites que le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation s’est battu, en vain, pour vous permettre d’avoir des moyens pour faire face à cette situation. Ne pensez-vous pas que la véritable solution à ce problème, c’est de travailler de manière à empêcher les départs massifs des jeunes, c’est-à-dire encourager la création d’emplois, lutter contre la précarité pour permettre aux jeunes de rester au pays ?

Hassane Sanoussy : il faut savoir que beaucoup de migrants que nous recevons ici sont des enfants de 7, 8, 9 et 10 ans. Donc ce n’est pas un problème d’emploi, il n’y a pas de précarité. S’il y a la précarité, c’est vous qui le dites et ça n’engage que vous. Je situe la responsabilité au niveau des parents parce que pour eux, il faut aller en Europe pour avoir ceci, pour avoir cela, alors qu’on a tout.

Quand on me dit que ces enfants vont pour l’école coranique en Mauritanie, c’est pour former quoi ? Nous avons des écoles coraniques ici, nous avons tout ici. Vous venez à Koundara, j’ai trois (3) écoles coraniques ici jusqu’au collège. Vous allez à Labé, ils ont des écoles coraniques. Donc, ils ne vont pas pour étudier à l’école coranique ou pour un problème de précarité ou quoi que ça soit. C’est eux qui savent pourquoi ils partent.

Mais la plupart de ceux que j’ai interrogés et qui ont été entendus, ils vont rejoindre quelques parents soit en Lybie, soit ceci ou cela. Voici les documents qui en font foi. Donc pour moi, ce n’est pas un problème de précarité, c’est un problème parental parce qu’il y a le trafic d’enfants. Ces enfants vont étudier l’école coranique au Sénégal, en Gambie, en Guinée-Bissau et après qu’est-ce qu’on fait de ces enfants parce que j’ai été à Dakar.

Ces enfants-là, une fois qu’ils sont au Sénégal, les Karamokos (maitres coraniques) qui sont là-bas, ouvrent les grosses boites pour leur donner et leur dire d’aller quémander, ils font le mendiant à travers la ville. N’importe quel enfant qui n’envoie pas à son maître 500, 1000 ou 2000 francs CFA, toi tu es exclu.

C’est une exploitation qu’on fait sur ces enfants-là. Et d’autres par contre traversent le Sénégal pour la Mauritanie. Mauritanie directement pour la Lybie. Une fois en Lybie, ils cherchent les bateaux pour partir. Et, il y a un bureau, ça j’ose le dire et personne ne pourra me démentir, il y a ce bureau à Labé, qui est en train de retirer de l’argent aux gens, pour dire bon, nous allons envoyer tes enfants en Europe en passant par Koundara. Et nous, nous sommes très vigilants. Parce que j’ai des instructions fermes reçues du gouvernement de la République à tel enseigne que j’ai demandé à mes services de sécurité le long de nos frontières de veiller strictement sur la question.

Guineematin.com : Koundara est une zone agropastorale par excellence. Comment ça se passe, notamment au niveau du secteur agricole ?

Hassane Sanoussy : ce secteur est règlementé. Et c’est là qu’il faut rendre un hommage mérité au président de la République, sans démagogie. Le président de la République, conscient que notre préfecture est une zone agropastorale, il nous a envoyé, à travers une société, des machines agricoles neuves avec des engrais et tout ce qu’il faut pour assister les populations. Et, ces machines sont là, ces engrais sont là. Et Dieu merci, cette année nous avons eu beaucoup de pluie et la récolte se passe normalement. Donc, on n’a pas de problème autour de ça maintenant. Les machines sont garées maintenant puisqu’il n’y a pas de labour. Une fois qu’il y a le labour, on met tout à la disposition des paysans. Ils viennent prendre ça en location à travers cette société.

Propos recueillis par Ibrahima Sory Diallo, envoyé spécial de Guineematin.com à Koundara

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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