Sous la souveraineté du peuple, tout projet de 3ème mandat est une chimère

Algassimou Diallo, Expert Polyvalent en Développement

Par Algassimou Diallo : Tout tourne en ce moment à l’envers en République de Guinée. 2020 est devenu la date fatidique que tout le monde évoque et qu’aucun ne parvient à cerner. Le ciel est lourd au-dessus de la Guinée et des Guinéens. L’horizon semble de plus en plus sombre et difficile à scruter. Les Guinéens n’ont en ce moment que des questions sans réponses. Dans les bureaux, dans les marchés, dans les transports publics, dans les cafés, en public ou en privé la question relative à l’éventualité ou non d’un troisième mandat est le sujet le plus abordé.

De quoi sera fait l’année prochaine ? La constitution sera-t-elle modifiée ? Si oui comment ? Le Président souhaite-t-il briguer un troisième mandat ? Si oui, réussira-t-il à le faire ? Qui pourrait l’en empêcher ? Le peuple ? L’opposition ? La Société civile ?…

Ces questions méritent notre attention et devraient pousser chaque acteur à se questionner sur l’avenir de la Guinée en général et le principe de l’alternance démocratique en particulier. C’est dans ce cadre que depuis quelques mois, je n’arrête pas de penser à cette situation et au bout, en me basant sur les constats ci-dessous, je conclus que l’alternance ne sera pas prise en otage. A condition que les mesures ci-dessous suggérées soient prises en compte par les ACTEURS.

Mes constats sur la Guinée actuelle :

Un ras le bol généralisé sur le mode de fonctionnement actuel du pays. La quasi-totalité des Guinéens qu’ils soient acteurs politiques, acteurs sociaux, acteurs économiques, … Qu’ils vivent en Guinée ou ailleurs, presque la quasi-totalité des guinéens sont écœurés par sur le niveau de débats (de caniveaux) et les crises politiques répétitives dans notre Pays.

La violation systématique des libertés publiques. Depuis plus de 6 mois, toutes les manifestations publiques sont totalement interdites (Cf : L’instruction du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation CIAIR N° : 138/MATD/DNAT/18 du 23 juillet 2018) même lorsque les procédures en la matière sont respectées par les organisateurs. Le pays est plongé dans une exception démocratique où une partie de la constitution a été suspendue sans aucune concertation avec les différentes parties prenantes qui animent la démocratie et l’Etat de droit. L’Etat a renforcé son dispositif de répression et viole l’intégrité physique de quiconque se hasarde à braver ses interdits. Toutes les Institutions Républicaines sont défaillantes et défendent le régime plutôt que de défendre le peuple et promouvoir la justice.

Les organisations de la société civile y compris les centrales syndicales sont en majorité des structures en perte de légitimité. La plupart d’entre elles sont étiquetées proches de la mouvance ou de l’opposition. Pire, en Guinée les plateformes de la société civile ne sont représentées que dans la Capitale et au niveau de certains chefs-lieux de Région. La plupart d’entre elles n’ont pas de liens fonctionnels avec la base dans les secteurs, Districts, Quartiers, Communes et Préfectures. Ce déficit de connexion entre les faitières et les populations à la base créer un dysfonctionnement qui ne favorise ni légitimité, ni implication, ni participation encore moins la mobilisation.

Les populations Guinéennes sont actuellement très divisées par les pratiques des politiques et les discours ethniques. Toutes les actions et initiatives qu’elles soient politiques, économiques ou sociales sont lorgnées avec des lunettes politiques et ou ethniques. Ceci a pour conséquences l’absence de toute solidarité citoyenne. Le pays n’a pas un PEUPLE mais un regroupement d’ethnies. La majorité des Guinéens ne se mobilise plus pour des actions d’intérêt collectif mais plutôt à l’appel de leur parti politique ou de leur communauté.

Par ailleurs, toutes les revendications sociales et politiques organisées depuis une année n’ont connu aucune satisfaction. Les répressions sauvages, les arrestations arbitraires, l’installation des Postes Armés dans certaines parties de la Capitale, l’indifférence de milliers de Guinéens face aux dérives du régime, la résignation collective, le silence coupable des institutions républicaines, les manipulations politiques & ethniques et la corruption avérée de certains leaders de ces revendications sont entre autres les raisons qui justifient l’échec des revendications sociales et politiques.

L’écrasante majorité de la population Guinéenne est jeune (15 – 35 ans) et aspire enfin au changement. Dans les discours au niveau des lieux publics, on attend de plus en plus une volonté de se départir de cette vielle génération de classe politique et de gouvernants. Beaucoup de jeunes aspirent à s’engager dans les formations politiques ou les organisations sociales mais ne font pas confiance en ceux qui les animent.

Enfin, la majorité des Guinéens estiment que la mouvance présidentielle a l’intention de modifier la constitution pour permettre au Président Alpha CONDE de se maintenir au pouvoir au-delà de son second et dernier mandat. Actuellement, même si tous les Guinéens polémiques dessus, jusqu’ici le principal concerné n’a ni infirmé ni confirmé cette intention. Et le bénéfice du doute est encore possible.

Suggestions sur la nouvelle stratégie à suivre :

Se basant sur une analyse approfondie de ces sept constats, je pense que si l’opposition et les organisations de la société veulent réussir le pari de mobiliser les Guinéens, tous les Guinéens pour favoriser l’alternance démocratique en 2020, il s’avère indispensable de changer d’approche. Mais alors quelle approche adopter dans un pays où le Président et le Gouvernement ont réussi à rallier toutes les institutions républicaines à leur position ?
En démocratie, la rue est le recours ultime pour amener les gouvernants à respecter les règles démocratiques. Les manifestations publiques constituent un droit consacré par la constitution. En Guinée, les rares acquis obtenus par l’opposition et les organisations de la société l’ont été à travers les manifestations de rue.
Actuellement, sans un changement d’approche, aucune manifestation publique appelée par l’opposition ou la société civile ne pourra atteindre ses objectifs escomptés à cause de toutes les raisons traitées ci-dessous. C’est pourquoi, j’estime qu’il est temps pour les Mouvements dits citoyens, Partis politiques, Plateformes de la société civile, Citoyens engagés, d’éviter de tomber dans le piège du régime. En effet, ce piège consiste à maintenir le pays en général et Conakry en particulier dans un climat d’instabilité politique et sociale continue qui pourrait servir d’alibi pour militariser la capitale et certaines villes de l’intérieur mais aussi et surtout justifier la non organisation des échéances électorales à temps. Ce régime se plait dans les crises car il n’a aucun intérêt à ce que la stabilité règne en ce sens que celle-ci permettra aux populations de comprendre qu’elles sont instrumentalisées dans le seul but de permettre aux Gouvernants actuels (un clan de coquins et de copains) de se maintenir au pouvoir et de profiter des ressources publiques.
C’est pourquoi après maintes réflexions et tirant les leçons de l’expérience vécue dans les forces sociales et ailleurs, je me suis mis dans une posture de retrait et surtout d’analyse du chaos généralisé actuel de notre pays.
Pour moi, la seule et unique préoccupation des Mouvements dits citoyens, Partis politiques, Plateformes de la société civile, Citoyens engagés et donc des populations Guinéennes devrait être centrée sur comment favoriser l’alternance démocratique en 2020 en usant uniquement du cadre légal.
En effet, la lutte contre les inégalités sociales, les détournements massifs de deniers publics, le népotisme, le recyclage des cadres véreux, la réduction de la vie chère ou encore le dysfonctionnement des institutions de la République sont des luttes nobles, cruciales et légitimes certes, mais impossibles à mener dans le contexte actuel. Le Président et son gouvernement savent qu’en dehors de la précarité absolue dans laquelle vivent les Guinéens, ils ont réussi à les divisé au plan politique et ethnique. Ils savent donc qu’aucune manifestation populaire ne pourrait durer dans le temps étant donné que l’écrasante majorité des Guinéens vivent du quotidien et ils savent aussi et surtout qu’en instrumentalisant les appels à manifestations par des interprétations politiques et ethniques, le peuple ne pourrait pas s’unir. Ce qui du coup justifie le fait qu’ils n’ont ni peur des reproches internationales encore moins de l’indignation sélective des populations Guinéennes.
Le régime conçoit, mûrit ses approches de répression et de violations des libertés publiques et les expérimente dans son laboratoire. Après, pour apprécier leur pertinence et leur faisabilité/adaptabilité, il créé des incidents et tend régulièrement au peuple des pièges dans lesquels partis politiques de l’opposition et organisations de la société civile tombent depuis pratiquement 2011. Le régime réfléchit avant d’agir et ses contrepouvoirs agissent avant de réfléchir.
C’est le moment d’affirmer qu’il existe une voie stratégique et démocratique pour favoriser l’alternance politique en fin 2020 sans aucune incidence au plan sécuritaire.
En effet, pour le réussir, les contrepouvoirs doivent réveiller et préparer le PEUPLE de Guinée. Ce défi immense passe obligatoirement par un certain nombre de mesures clés, à savoir :

S’unir autour de l’essentiel :
Actuellement beaucoup d’initiatives de sensibilisation et de mobilisation sociale existent çà et là à Conakry et dans certaines grandes villes du Pays. Elles sont le fait des partis politiques et de certaines organisations de la société civile. Ce qu’il faut déplorer ce que dans un contexte de division ethnique et de manipulation politique, sans un effort d’unité au niveau des leaders et sans un but clair, aucune de ces initiatives ne pourrait transcender les clivages actuels entre les guinéens. Au sein de l’Opposition, les égos et les intérêts égoïstes ont effrité le combat pour l’édification d’une Guinée démocratique et unie. Au sein de la société civile, idem.
Si ces acteurs se battent comme ils le prétendent pour l’intérêt de la Guinée et des Guinéens, c’est le moment de mettre fin aux clivages, d’enterrer les égos, d’abandonner les luttes par silos, d’arrêter de tirer sur les fibres ethniques, régionalistes et mercantilistes pour s’unir autour de l’essentiel : Défendre la démocratie et favoriser l’alternance en 2020.

Mouler le citoyen Guinéen :
Comme je l’affirmais un peu plus haut, aujourd’hui la Guinée a des individus regroupés au sein de classes politiques, d’organisations maléfiques et d’intérêts égoïstes mais pas un peuple. Les patronymes et les affichages politiques ouvrent plus de portes que le simple fait d’être Guinéen. Le pays n’a malheureusement que plateformes de la société civile éparses, des partis politiques se réclamant d’une opposition plurielle et des clans soudés autour de pratiques économiques et sociales néfastes à l’unité nationale. Dans un tel contexte, le pays ne compte que des partisans et des militants pas de citoyens. Pour reconstruire la citoyenneté il faudrait voir la diversité comme une opportunité et non comme un obstacle.
Pour favoriser l’alternance en 2020, un seul parti politique, un seul mouvement ou une seule organisation de la société civile ne pourra jamais relever le défi. Les populations Guinéennes ont besoin de voir une unité des leaders autour d’un objectif commun. Ceci aura l’avantage de changer le discours politique actuel essentiellement axé sur les clivages ethniques. Au lieu de parler d’ethnies ou de partis politiques, le pays aura un discours novateur centré autour de l’unité nationale, la citoyenneté, la justice et la démocratie. Les Guinéens peuvent s’unir et défendre un idéal collectif mais ont besoin d’informations, de formations et surtout de modèles pour les inspirer.
Pour parvenir à transformer les partisans et les militants d’aujourd’hui en citoyens unis demain afin de favoriser l’alternance, il est impératif pour les formations politiques et les organisations de la société civile de travailler dès maintenant sur 3 fronts complémentaires, à savoir :
i. Investir les Secteurs, Quartiers, Districts et Villages pour aller à la rencontre des citoyens et les mobiliser autour d’un idéal commun : la démocratie et le développement
ii. Informer et sensibiliser tous les citoyens sur les avantages de la démocratie, de l’unité nationale et de l’alternance tout en évitant totalement de parler d’ethnies et formations politiques (opposition ou mouvance). Les Guinéens doivent comprendre et accepter que le bonheur collectif est un gage de bonheur individuel et qu’un pays ne pourrait se développement qu’en respectant ses lois
iii. Faire comprendre à ces citoyens leurs droits et devoirs tout en insistant sur leur responsabilité citoyenne dans la défense des valeurs démocratiques y compris l’alternance.

Préparer la résistance citoyenne face à la velléité de tripatouillage de la constitution :
Enfin, il faudrait dans chaque Secteur, Village, Quartier et Commune identifier un noyau de citoyens chargés de perpétuer les séances de mobilisation et de sensibilisation. Il faudrait préparer la mentalité collective de tous les citoyens guinéens à la nécessité de se préparer pour une mobilisation sans précédent le lendemain du jour où le Président de la République en personne ou son Premier Ministre parlera de la modification de la constitution en vue d’un 3ème mandat. Toutes les localités Guinéennes et tous les Guinéens sans distinction d’ethnie, d’âge, de sexe ou de religion doivent se préparer pour cette seule et unique manifestation publique pour demander le départ du régime en cas de velléité avérée de modification de la constitution ou de maintien au pouvoir au-delà de la fin du mandat en cours. Cette manifestation une fois lancée ne devra s’arrêter que lorsque le peuple aura repris sa liberté. Tout, absolument tout devra être à l’arrêt niveau national jusqu’à ce que la constitution soit respectée.
Somme toute, pour préserver ses rares acquis démocratiques en favorisant notamment l’alternance en 2020, le peuple de Guinée devra se départir de sa résignation légendaire, transcender ses clivages et exiger de ses gouvernants le respect de sa constitution. Ceci passera inéluctablement par une unité d’actions au niveau des leaders de la société civile et de l’opposition mais aussi et surtout par le réveil citoyen des populations Guinéennes à tous les niveaux.

Algassimou DIALLO 

Expert Polyvalent en Développement

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