Arrêt de la Cour suprême sur l’annulation de l’élection du maire de Matoto : les explications du juriste Mohamed Camara

L’arrêt de la Cour suprême dans le procès opposant l’UFDG au ministre de l’administration du territoire autour de la décision de ce dernier d’annuler l’élection du maire de Matoto, tenue le 15 décembre 2018, continue de faire couler de la salive à Conakry. Les réactions fusent de partout et chacun y va de son commentaire. Guineematin.com est allé donc à la rencontre du juriste Mohamed Camara pour en parler. Avec lui, nous avons évoqué les raisons qui ont poussé la Cour suprême à se déclarer incompétente à juger l’affaire et des conséquences de cette décision.

Décryptage !

La Cour suprême a rendu son arrêt dans le contentieux opposant l’UFDG au ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation, le Général Bouréma Condé. Le principal parti d’opposition du pays avait saisi la Cour pour faire annuler la décision du ministre invalidant l’élection du maire de Matoto, organisée le 15 décembre 2018, mais la juridiction s’est déclarée incompétente à juger l’affaire. Beaucoup de citoyens ont du mal à comprendre cet arrêt de la Cour suprême, d’autant plus que chaque partie fait croire que cette décision lui est favorable. De quoi s’agit-il au juste ?

Mohamed Camara : d’abord, en application de l’article 739 de la Loi 059 du 26 octobre 2016 portant sur le code pénal, il est interdit de commenter les décisions de justice si c’est dans l’optique de jeter du discrédit. Cela dit, si c’est une question technique pour élucider la lanterne des citoyens, bien volontiers on peut donner une petite analyse pour la compréhension du sens de la décision rendue. Alors, quand vous prenez l’arrêt qui a été rendu à la Cour suprême, la Cour pour s’être déclarée incompétente ne veut pas dire qu’il n’y a pas de juristes qualifiés en son sein pour statuer sur ce cas. Ça veut dire simplement que l’objet de la plainte ne relève pas de la compétence de la Cour suprême.

Autrement dit, tout ce qui est comme élections locales, le contentieux qui en résulte, tant à la phase pré-électorale, électorale et post-électorale, l’élection locale, le contentieux relève exclusivement de la compétence des tribunaux de première instance, en application de l’article 114 de la loi électorale, donc la Loi 039 du 24 février 2017 portant loi électorale. Donc, la Cour peut belle et bien se déclarer incompétente si l’objet de votre plainte ne relève pas de sa compétence. Maintenant, quand elle se dit incompétente, cela ne veut pas dire qu’une autre Cour ou une autre juridiction ne peut pas être compétente, ça veut dire simplement qu’elle appelle à mieux se pourvoir.

Alors ça relance la nécessité pour, à la fois les citoyens tout comme les praticiens du droit, de faire de la veille juridique en constance et puis davantage étudier les domaines de compétence des différentes juridictions. C’est pour éviter ce type de cas qui arrivent de façon récurrente. Figurez-vous, en 2010, sur les 24 candidats à l’élection présidentielle, 14 ont porté des griefs y compris le parti au pouvoir actuellement. Mais, ça a connu une forme de mêmes échecs essuyés. Parce qu’en droit, il est vrai que la forme commande le fond, mais dès vous saisissez une juridiction parce que vous estimez que vous avez le droit, la capacité et l’intérêt à agir conformément à l’article 9 du code de procédure civile, alors du coup, le juge peut volontiers admettre votre plainte.

Si en examinant votre plainte au fond, le juge se rend compte que le fond ne relève pas de sa compétence, il ne va pas hésiter de se déclarer incompétent. Et, quand vous prenez l’autre dimension de la chose, c’est que la Cour a indiqué comme cela aux acteurs, bon la juridiction qui est compétente, c’est le tribunal de première instance. Vous savez un contentieux peut naître pendant l’élection, avant l’élection et après l’élection. Un exemple typique d’un contentieux avant l’élection communal : lorsqu’il est fait par exemple obstacle à un citoyen de s’inscrire sur une liste électorale à l’effet de voter pour l’élection communale. Donc, cela peut donner lieu à un contentieux.

Donc l’article 114 de la loi électorale a fait en tout cas, annuler le principe de double degré de juridiction dans notre pays quant aux élections locales. Sinon, en principe, il y a toujours le double degré de juridiction. Vous faites un recours au tribunal de première instance, si ça ne prospère pas, vous saisissez la Cour d’Appel, un procès en appel. Si ça ne prospère pas ou vous avez succombé, alors vous pouvez vous pourvoir en cassation. Mais toujours est-t-il que dans la matière, il faut saisir la juridiction spécialisée par rapport à son domaine de compétence.

L’UFDG a saisi la Cour suprême pour attaquer la décision du ministre Bouréma Condé d’annuler l’élection du maire de Matoto. Le procureur a déclaré que cette décision est illégale, mais la Cour n’a pas tranché le problème. Est-ce que ça veut dire que bien qu’elle soit illégale, cette décision reste valable ?

Mohamed Camara : il est vrai qu’en matière administrative, quand un acte administratif unilatéral est pris, il appartient aux cours et tribunaux de la déclarer nul et de nul effet, même s’il faut dissocier l’acte pris par le responsable administratif par rapport à sa propre personne. Donc en la matière, ce sont les cours et les tribunaux qui peuvent se prononcer toujours sur la légalité ou le caractère illégal d’un acte et le déclarer ainsi nul et de nul effet. Toujours est-il que quand la cour se déclare incompétente au niveau de la Cour suprême, ce sont les tribunaux de première instance, donc en l’occurrence le tribunal de première instance de Mafanco qui est territorialement compétent. Parce que c’est Mafanco qui relève de sa juridiction et qui est matériellement compétent parce qu’on est en matière de contentieux électoral lié aux élections communales.

Vous dites que c’est le tribunal de Mafanco qui est compétent à juger cette affaire. Seulement, l’avocat de l’UFDG, en l’occurrence Me Salifou Béavogui, dit qu’à l’heure qu’il est, les parties n’ont plus la possibilité de saisir le tribunal de première instance pour cause de délai.

Mohamed Camara : oui, pour cause de délai, c’est pourquoi je dis encore une fois que ça relance la nécessité pour, à la fois les partis politiques mais aussi pour les citoyens, d’avoir des pools de juristes diversifiés avec des profils diversifiés mais chaque personne ayant une spécialisation. Ça permet d’avoir des éléments de compréhension pour éviter ce type de difficultés enregistrées pour ne pas dire échecs essuyés. Parce que même en partant au niveau d’un tribunal de première instance, il faut voir la question de délai. Même si c’est une question de recours pour excès de pouvoir, le délai à compter de la notification c’est deux (2) mois. Mais, si c’est une question de contentieux électoral, le délai c’est 72 heures. Donc, ce qui fait que pratiquement ça pose problème.

Je disais tantôt que beaucoup de citoyens ont du mal à comprendre cet arrêt parce que les avocats des deux camps se disent tous vainqueurs du procès. Selon vous, qui a remporté ce procès devant la Cour suprême ?

Mohamed Camara : oui, les avocats sont dans leur rôle que de dire bon, chacun tirant le drap de son côté, c’est tout à fait de leur registre. Mais de là à dire que la Cour a pris fait et cause pour un camp, non hein. La cour n’a pas du tout pris fait et cause pour un camp, elle s’est déclarée seulement incompétente parce que l’objet de la plainte ne relevant pas de sa compétence en tant que tel. Il est vrai que le recours pour excès de pouvoir est maintenant une compétence partagée entre la Cour suprême et les tribunaux de première instance. Pour des questions de manifestations par exemple, la compétence est partagée au niveau du recours pour excès de pouvoir. Mais en matière de recours pour le contentieux électoral, la compétence est exclusivement réservée aux tribunaux de première instance.

Alors, quelles conséquences cet arrêt de la Cour suprême peut avoir ?

Mohamed Camara : bon, c’est le statu quo entier qui est là d’abord jusqu’à preuve du contraire. Et après maintenant, voir comment les acteurs vont se retrouver. Toujours est-il que moi je me limite aux faits et aux principes. Tout ce qui est rapports entre les acteurs politiques, les forces en présence, je ne me mêle pas à cela. Je m’en tiens aux faits, aux principes et aux textes de base comme sources de rattachement.

Entretien réalisé par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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