Fodé Mohamed Soumah avertit les opposants guinéens : « si on laisse faire… »

Fodé Mohamed Soumah, président du parti GéCi
Fodé Mohamed Soumah, président du parti GéCi

Récemment rentré au pays, après un long moment passé en France, le président du parti GéCi, Fodé Mohamed Soumah, a accordé une interview à Guineematin.com, dans la journée du jeudi, 31 janvier 2019. L’opposant a survolé l’actualité sociopolitique du pays, appelant à une unité d’action de l’opposition pour contraindre le pouvoir à organiser les élections législatives et empêcher le président Alpha Condé d’aller vers un glissement du calendrier électoral pour rester au pouvoir au-delà de 2020.

En attendant la version vidéo, voici le décryptage de la première partie de cette interview.

Guineematin.com : il y a un long moment que vous étiez à l’étranger ; mais, qu’est-ce qui vous a tant tenu hors du pays, loin de vos militants et de votre parti, la Génération Citoyenne (GéCi) ?

Fodé Mohamed Soumah : après notre départ de la majorité présidentielle, nous avons décidé de mettre un peu les structures du parti en veilleuse. Vous savez, c’est très difficile de faire la politique en Afrique lorsque vous n’avez pas d’élus, vous n’êtes pas dans les institutions. Et puis, j’avais besoin de souffler, je suis parti à Paris où je suis resté quatre mois et là, je suis de retour.

Guineematin.com : qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la majorité présidentielle ? Je précise que vous êtes de ceux qui ont contribué à la réélection du Président Alpha Condé en 2015.

Fodé Mohamed Soumah : absolument ! Le parti, ne pouvant pas aller aux élections présidentielles dans la mesure où nous avions été affaiblis par notre absence sur les bancs de l’Assemblée nationale, et n’ayant pas non plus les moyens conséquents pour aller au combat avec les autres, nous avons décidé de rester en stand-by. Et, comme cette élection ne pouvait pas se passer sans nous, nous avons discuté et nous avons essayé de voir dans quelle mesure nous pouvions y contribuer et participer. Nous avons vu que nous avons eu un combat rude avec le pouvoir pendant les trois premières années où la gouvernance du Président Alpha Condé a été désastreuse et où il y a eu beaucoup de problèmes. Vers la fin de son mandat, il s’est rendu compte qu’il fallait se mettre au travail.

Et, sincèrement, à moins d’être un opposant qui s’oppose à tout, la fin de son premier mandat, nous estimons qu’elle était positive. Pourquoi ? Parce qu’il y avait l’énergie en continu, plus de sécurité, d’hygiène, la cité grouillait d’activités : je veux parler de nos parents qui sont dans le système informel, les salons de coiffure, de couture, les mécaniciens, les menuisiers. Vraiment, les activités économiques avaient repris. Donc, on a estimé que c’était l’occasion de l’accompagner pour poursuivre les chantiers qu’il avait annoncés avec du retard parce qu’il s’était mis à faire de la politique politicienne pendant longtemps.

Mais, à mi-mandat, on s’est rendu compte que sur les discours de campagne, les promesses de campagne, j’ai fait la campagne à ses côtés, tout a été biaisé. Les problèmes du Président, c’est que, au lieu de se mettre au travail, ça a été d’abord de neutraliser ses adversaires. Et si vous regardez autour de lui, vous ne voyez que ses adversaires : ceux qui ont appelé le pays à se soulever, à l’insurrection populaire, coup d’Etat, guerre civile. Mais, pour neutraliser ses adversaires, il les a mis à ses côtés. Et pendant ce temps, il ne travaille pas.

Au jour d’aujourd’hui, tous les indicateurs sont dans le rouge. J’estime que les priorités qu’il avait annoncées sont passées aux oubliettes. Je vais parler de l’emploi jeune, de la diversification de notre économie et pire, aujourd’hui, la situation est bloquée avec un débat clivant, avec des stratégies de politique politicienne qui ont contribué à retarder les échéances électorales. Aujourd’hui, on se retrouve face à une Assemblée au mandat échu et on va vers des lendemains incertains. Je crois que c’est le moment pour tous les politiques de s’impliquer, et la GéCi a fait des propositions dans ce sens et j’espère qu’on va en parler.

Guineematin.com : vous étiez avec Cellou Dalein en 2010 et vous êtes resté dans l’opposition jusqu’en 2015. Vous avez rejoint la mouvance en 2015 et vous avez accompagné le président Alpha Condé pour sa réélection. Comment ça se passe ces changements de camps ? Est-ce qu’il y a des malentendus qui vous poussent à partir ou bien vous regardez un certain nombre d’aspects pour prendre votre décision ?

Fodé Mohamed Soumah : sincèrement, si je vais faire le diagnostic, qu’est-ce qui s’est passé ? En 2010, nous avons été à l’élection présidentielle et nous avons perdu au premier tour. Nous avons envoyé une délégation vers les deux candidats arrivés en tête, et le parti a voté pour le candidat qui nous semblait être à même de pouvoir faire bouger, faire avancer le pays, en l’occurrence, c’était Cellou Dalein. Nous avons intégré l’alliance CDP (Cellou Dalein Président). Lorsque nous avons perdu, tout naturellement, nous avons basculé dans l’opposition et nous y sommes restés. Je crois que du mémoire des guinéens, il n’y a pas un leader de l’opposition qui a été aussi présent plus que moi, que ça soit dans les marches, dans les manifestations, les meetings, les conférences de presse.

On a été deux à avoir assisté à tous les évènements de l’opposition : c’est Aboubacar Sylla et moi. Sinon, il n’y a pas un autre opposant qui n’a pas été absent ne serait-ce qu’une fois. Donc, on s’est donné à fond et au moment des législatives, nous avons fait des propositions à nos frères de l’opposition en leur disant : aujourd’hui, nous sommes face à un pouvoir qui a les moyens, qui a les délégations spéciales, les préfets et les gouverneurs. La meilleure façon d’obtenir la majorité absolue face à ce pouvoir, c’est que tous les leaders aillent à l’uninominal dans leurs fiefs et que la liste nationale nous permette d’avoir au moins 75% des députés. J’estime que c’était possible si on l’avait fait ; mais, au dernier moment, presque tous les leaders se sont mis tête de liste.

Eh bien, on n’a pas compris. Du coup, la majorité dont on avait besoin, on ne l’a pas obtenue. Je me suis présenté à Kaloum, on n’a pas été suivi et soutenu par nos pairs. Bien au contraire, on s’est retrouvé face à face entre opposants. Il m’a été proposé deux listes en position d’éligibilité ; mais, j’estime que quand on entre en politique, ce n’est pas pour obtenir des postes. C’est pour vraiment un idéal.

Guineematin.com : qui vous a proposé cela ? Cellou Dalein ou Sidya Touré ?

Fodé Mohamed Soumah : J’ai eu deux propositions : au niveau de l’UFDG et de l’UFR sans que je n’aie besoin de battre campagne. On m’a proposé avec Abé Sylla d’être N°2 et 3 sur la liste.

Guineematin.com : la liste de l’UFDG ou celle de l’UFR?

Fodé Mohamed Soumah : l’UFDG nous a fait la proposition. Cellou a parlé avec Abé, et moi c’est une commission qui m’a rencontré. Parce que moi, Cellou était mal à l’aise pour m’en parler après m’avoir donné sa parole que je serais soutenu à Kaloum. J’ai décliné l’offre et j’ai estimé qu’on ne peut pas aller à l’Assemblée sous une autre bannière en dehors d’une coalition au sein d’un groupe parlementaire.

Et, je me suis battu avec les armes que je disposais. J’ai perdu et après la défaite, le parti s’est retrouvé et on a décidé de quitter l’opposition républicaine. Donc, pendant deux ans, on est resté dans l’opposition extra-parlementaire et cette absence de l’Assemblée nationale nous a tellement affaiblis qu’on n’avait pas la possibilité d’aller à la présidentielle.

Guineematin.com : ça vous a affaiblis comment ? Ça vous a fait perdre des militants ou des moyens financiers ?

Fodé Mohamed Soumah : des militants, des moyens financiers, de la visibilité. C’est un tout qui fait que si on était parti, c’était pour accompagner les autres. Et donc, on a préféré s’abstenir ; mais, on s’est dit, que si on n’allait pas aux élections, on risquait encore de nous enfoncer de plus. On s’est dit qu’il faut qu’on soit dans la campagne et puis on a vu qu’au vu du bilan du premier mandat du Président, on a estimé qu’il fallait donner une chance à la Guinée. En fait, on a toujours le choix du pays, le choix du cœur, de la raison plutôt que du choix du parti.

Guineematin.com : en 2015, vous décidez d’accompagner le Président Alpha Condé. C’est sincèrement parce que son bilan était positif ou bien vous n’aviez toujours pas pardonné le refus de l’UFDG de vous accompagner à Kaloum ?

Fodé Mohamed Soumah : sincèrement, c’est une histoire qui était derrière nous. Je peux vous assurer que malgré ce hic, Cellou et moi, nous sommes de grands amis. On s’appelle, on se voit, on se parle. S’il a besoin de moi demain à 4 heures du matin, il va me voir et vice-verça.

Guineematin.com : même quand vous avez refusé de l’accompagner et que vous êtes allé avec Alpha Condé ?

Fodé Mohamed Soumah : on est des amis, on a fait une campagne extraordinaire. En fait, le problème, c’est que je ne connaissais pas Cellou. C’est lorsque la GéCi a décidé de l’accompagner qu’on s’est connu et qu’on a commencé à s’apprécier.

Guineematin.com : maintenant, vous estimez bien le connaître ?

Fodé Mohamed Soumah : non ! On ne connait jamais bien une personne. Je dis que je ne le connaissais pas, c’est par rapport au Président Alpha Condé qui est un grand frère et que je connaissais depuis Dakar et Paris. Donc, j’ai fait le choix du parti. Le parti a décidé que ce serait Cellou, je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu. La première fois qu’on s’est vu, c’était dans mon salon. Il est venu pour nous remercier. On a été les premiers alliés de l’UFDG.

Guineemagtin.com : en 2010 ?

Fodé Mohamed Soumah : voilà ! C’est pour vous dire qu’on a fait le choix de la Guinée.

Guineematin.com : Cellou et Alpha Condé, qui sont-ils réellement ? Est-ce que c’est des bons messieurs ? Est-ce qu’ils sont mauvais ? Qui sont-ils en réalité ?

Fodé Mohamed Soumah : je ne ferai pas de choix, je ne donnerai pas de décisions, ni de dispositions à faire entre eux. L’un est mon frère, l’autre est mon ami. Donc, j’estime que je n’ai pas le choix à faire pour le cas d’espèce ; mais, j’ai des relations avec chacun d’entre eux.

Guineematin.com : est-ce que vous regrettez de n’avoir quand même pas accepté d’être sur une liste nationale pour avoir un poste de député ?

Fodé Mohamed Soumah : c’est pourquoi j’en ai voulu à l’opposition républicaine. Parce qu’en fait, on avait décidé de faire une liste commune. Donc, la GéCi ne pouvait pas en 48 heures dresser sa liste. En fait, on s’est laissé endormir. On avait que la liste de 15 personnes, donc les 15 dossiers.

Guineematin.com : vous manquiez de responsables ?

Fodé Mohamed Soumah : non ! On avait dit qu’on allait faire une liste commune. La GéCi s’est dit donc qu’on va essayer de placer les 15 personnes.

Guineematin.com : au niveau national ?

Fodé Mohamed Soumah : au niveau national. On n’avait pas notre propre liste parce qu’on s’était mis d’accord. C’est au dernier moment, les gens avaient leurs listes sous les manteaux, leur plan B. Donc, on n’avait que 48 heures pour finaliser notre liste. Et, on s’est rendu compte que c’était impossible, d’où l’absence de la liste nationale de la GéCi. Sinon, on avait largement la possibilité d’avoir au moins 1000 personnes sur une liste.

Guineematin.com : on tend vers d’autres élections législatives, même si on ne connaît pas encore la date de la tenue de ces élections. Comment vous allez vous y prendre ?

Fodé Mohamed Soumah : le problème, c’est qu’on a des députés au mandat échu, il n’y a pas de chronogramme, il y a une CENI qui vient d’être installée, on vient de voter la loi de finances 2019, il n’y a pas de budget global pour ces élections. En fait aujourd’hui, c’est l’opposition qui doit se réveiller, c’est elle qui doit pousser le pouvoir à organiser ces élections. Durant mon séjour parisien, j’ai eu pour mission de rencontrer tous les leaders guinéens qui passaient. C’est ainsi que j’ai rencontré tous ceux qui étaient là.

Guineematin.com : vous avez rencontré qui par exemple ?

Fodé Mohamed Soumah : Kouyaté, Sidya Touré à deux reprises, Papa Koly, Faya Millimono. Dimanche passé, j’étais avec Cellou avant de prendre mon avion. Donc, on a discuté avec tous ceux qui étaient de passage. Maintenant, on attend le retour de Cellou, Sidya est déjà là. Et puis, on va se retrouver. Nous pensons à la GéCi, que c’est l’unité d’action qui va faire fléchir ce pouvoir.

Guineematin.com : concrètement, à quoi on peut s’attendre ?

Fodé Mohamed Soumah : aujourd’hui, nous sommes inquiets parce que nous avons d’un côté, une opposition républicaine qui est en train de se disloquer. Nous avons l’opposition démocratique en gestation et au sein de cette opposition démocratique, on a des positions pas concomitantes dans la mesure où nous avons l’UFR qui est en train de consulter sa base, Ousmane Kaba qui déclare qu’il ne siègera pas alors qu’ils sont déjà en gestation. C’est pour vous dire que nous allons sincèrement vers des difficultés. S’il n’y a pas l’unité d’action comme à l’époque des Forces vives, je parie qu’on fera le jeu du pouvoir.

Tout le problème aujourd’hui, c’est de faire en sorte que l’opposition se recentre, comme on avait fait du temps de l’opposition républicaine. Il y a beaucoup de gens qui font une confusion. Ils pensent que l’opposition républicaine, c’est l’UFDG, non. L’opposition républicaine, c’est plusieurs courants, plusieurs partis qui se sont mis ensemble et qui ont créé cette opposition qui est en train de se déliter parce que tout le monde est presque parti. Aujourd’hui, il nous faut ça. Si on l’avait pas eu du temps des Forces vives, on n’aurait pas eu des élections démocratiques. Donc, aujourd’hui, cette unité devrait nous permettre d’obtenir des élections législatives durant ce premier trimestre de 2019.

Parce que si jamais on ne les a pas, ça veut dire qu’on risque d’avoir un calendrier glissant. De deux, c’est de demander à l’opposition qui est représentée dans les institutions de ne pas siéger. Que ça soit à la CENI, que ça soit à l’Assemblée nationale. En bloquant les institutions, ça nous évite de faire des manifestations de rue, d’avoir certains désagréments, ça permet aux leaders de prendre leur responsabilité. Si demain on doit faire un sit-in à la CENI, il faudrait que ça soit les leaders. Je crois qu’en nous exposant de cette façon, on met la pression sur le pouvoir. Mais, si on laisse faire, je parie qu’on risque de donner raison au Président qui a son calendrier bien ficelé.

Sachant qu’il ne peut pas obtenir un 3ème mandat parce qu’il n’a pas de bilan, il va pouvoir surfer sur le glissement et ce glissement est déjà programmé. C’est d’abord face à des députés qui ne pourront pas dire nous on a joué les prolongations ; mais vous, vous n’avez pas le droit. Ou bien, ça va être la politique du vide parce que quand on dit la nature a peur du vide, ce n’est pas par rapport à l’existence. C’est par rapport à ce qui n’est pas encore fait. Et donc, ça va permettre au Président de rester en place.

Pour éviter ce glissement et éviter d’avoir des institutions qui ne fonctionnent pas, il faudrait faire en sorte que la donne change. Et c’est nous qui pouvons le faire. C’est nous qui pouvons nous donner la main. Avec cette unité d’action, ça nous permettra d’obtenir tout de suite un chronogramme. Maintenant que la CENI est en place, même si personnellement je conteste la composition de cette CENI, on l’a dit politique, j’estime qu’elle ne l’est pas.

Guineematin.com : ce n’est pas une CENI politique ?

Fodé Mohamed Soumah : non ! Le ministère de l’Administration n’a rien à avoir avec une CENI. Dans tous les pays, c’est l’administration du territoire, elle seule, qui organise les élections. Ailleurs, on l’appelle ministère de l’intérieur. La société civile n’a rien à faire dans cette structure parce qu’elle sert de contre-pouvoir, de garde-fou contre l’opposition, le pouvoir et les autres institutions. Elle ne peut pas être juge et partie.

Et donc, j’estime qui si on voulait vraiment une CENI politique, c’était la majorité présidentielle et l’opposition. On n’a pas été écouté à l’époque, on nous a mis en minorité. Aujourd’hui, l’opposition telle qu’elle se présente avec ses 7 membres ne pourra rien changer parce que la majorité est toujours du côté du pouvoir, dans la mesure où l’administration du territoire est de facto liée avec la mouvance. Et quant aux deux représentants de la société civile, on ne sait pas.

A suivre !

Interview réalisée par la rédaction de Guineematin.com

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