A M. le Ministre de l’Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique : Lettre ouverte

Mamadou Alpha Ghadiry Diallo

Par Mamadou Alpha Ghadiry Diallo, Enseignant-chercheur à l’ISSMV de Dalaba : « La dernière grève des assistants a démontré sans ambigüité que l’avenir de l’enseignement supérieur de notre pays repose sur ces jeunes enseignants-chercheurs, les négliger dans vos prises de décision est contre-productif ; je vous en conjure Mr le Ministre. Il serait judicieux de trouver une solution honorable pour amener ces jeunes courageux à quitter le grade d’Assistant pour le grade de Maitre-assistant d’ici 2022 »

Monsieur,

Nous avons suivi, à travers les médias, votre conférence de presse du lundi, 4 février 2019 avec beaucoup de sagesse et d’espoir. A travers cette communication, nous avons compris que vous êtes en train de ferrailler dur pour que nos universités puissent jouer dans la cour des grandes écoles du monde. C’est un défi, nous le reconnaissons, mais c’est surtout pour les jeunes enseignants-chercheurs un signe d’espoir. Il m’a paru opportun d’apporter ma contribution dans votre combat de faire de l’université un acteur majeur de notre développement.

Monsieur le Ministre, l’arrêté portant sur le recrutement des assistants et des attachés de recherche dans les différentes Institutions d’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (IESRS) est tombé à pic au moment où la gestion de nos universités laisse à désirer sur le plan académique, managérial et financier. Nous assistons à un recrutement excessif de jeunes enseignants sans aucune perspective pour leur formation. A Travers cette décision courageuse vous avez apporté une bouffée d’oxygène dans le cadre de l’amélioration de la qualité des enseignements et de la recherche dans nos universités. Beaucoup de cadres vous ont précédé dans ce Département, mais aucun d’entre eux n’a eu le courage de mettre fin à cette manière de faire qui dure depuis plus de 30 ans.

Monsieur le Ministre, nous aspirons à devenir un pays émergent dans un avenir proche. Cette émergence ne se fera pas sans un investissement conséquent dans le domaine de la science, de la technologie et de la recherche. Nous devons investir sur le capital humain pour promouvoir notre émergence. La formation des formateurs doit être une priorité pour vous. Les jeunes enseignants-chercheurs, recrutés ces dernières années avec les diplômes de Licence et rarement de Master, forment la majorité du personnel chargé des cours dans nos institutions d’enseignement supérieur. Parmi ces assistants, il y’a des enseignants qui ont fait plus de 30 ans de carrière sans augmenter en grade. Le recrutement des enseignants se faisait sans aucune politique de formation des formateurs. C’est une injustice qui mérite une réparation.

La dernière grève des assistants a démontré sans ambigüité que l’avenir de l’enseignement supérieur de notre pays repose sur ces jeunes enseignants-chercheurs, les négliger dans vos prises de décision est contre-productif ; je vous en conjure Mr le Ministre.

Il serait judicieux de trouver une solution honorable pour amener ces jeunes courageux à quitter le grade d’Assistant pour le grade de Maitre-assistant d’ici 2022. Pour solutionner définitivement ce problème de grade, je vous suggère de :

 prendre un arrêté courageux pour attribuer le grade de Maitre-assistant a tous ceux qui ont enseigné pendant plus de vingt ans à titre honorifique;

 créer des écoles doctorales dans tous les domaines pour permettre aux assistants d’obtenir ce grade sans quitter le pays d’ici 2022, afin qu’ils puissent faire face au reclassement par le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) ;

 conditionner l’obtention de ce grade à la publication de quatre articles scientifiques dont deux à l’international d’ici 2022.

Monsieur le Ministre, pour une mesure d’urgence, mettre en application l’une de ces suggestions me parait meilleure que de faire revenir des enseignants-chercheurs retraités qui ne savent même pas comment allumer un ordinateur à plus forte raison préparer une diapositive. Je vous supplie d’éviter le maximum possible d’écouter cette vieille communauté d’universitaires et de chercheurs qui, au crépuscule de leurs vies continuent toujours de dire, à qui veut l’entendre, qu’ils sont « irremplaçables ».

Abandonnez l’éducation de la nation dans les mains des bailleurs de fonds est une erreur. Nous ne pouvons plus nous permettre de nous contenter des bourses octroyées par les institutions et les pays amis. Peut-être convient-il de ficeler un contrat du genre « Mines contre formation » à l’image de « Mines contre Infrastructures » avec les différents partenaires au développement pour accélérer la formation des formateurs.

Monsieur le ministre, à l’instar de votre collègue du Ministère de la Justice, l’amélioration des conditions de vie des enseignants-chercheurs devrait être l’une de vos priorités. Vous connaissez mieux que quiconque que le salaire des enseignants-chercheurs guinéens est très bas par rapport à ceux de la sous-région. Ces salaires dérisoires encouragent toutes les formes de corruption, de détournement et de mauvaise gestion.

Certains enseignants sont obligés de pratiquer une activité parallèle pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Ces activités de survie varient en fonction des zones géographiques. Les enseignants se trouvant dans les grandes villes, se mettent à la disposition des écoles et universités privées pour survivre. Pour le reste des enseignants, surtout ceux qui servent dans les Préfectures, les activités de survie vont de l’agriculture au petit commerce.

La fuite des cerveaux est inéluctable et elle continuera à affaiblir notre système éducatif si la tendance ne change pas. La revalorisation du statut des enseignants doit être votre cheval de bataille. C’est la seule solution pour attirer davantage de professeurs de rang magistral dans nos universités. Nous pensons que c’est votre devoir en tant que banquier, de mettre fin à cette gestion opaque du budget alloué aux différentes institutions d’enseignement supérieur.

Mr le Ministre, le sport universitaire est une très bonne chose pour la santé de nos étudiants « un esprit sain, dans un corps sain ». Mais en orientant une partie de nos maigres ressources vers le sport universitaire, nous sacrifions la formation et la qualification de nos jeunes étudiants. Au moment où notre population s’interroge sur la pertinence de l’université au regard du chômage qui frappe nos diplômés, notre priorité doit être de former des « têtes bien faites » au service de la nation.

A mon humble avis, mettre les universités en compétition dans le cadre de la recherche, en organisant annuellement une grande conférence scientifique ou toutes les institutions d’enseignement et de recherche sont conviées ; Faire face à l’absence de connexion internet, au faible équipement de nos bibliothèques et de nos laboratoires me semble plus approprié.

Monsieur le ministre, ne vous arrêtez pas à mi-chemin en vous contentant de quelques reformes, gravez votre nom à jamais dans les annales de l’histoire de l’Enseignement Supérieur de notre pays. Vous êtes l’homme de votre peuple parce que tout simplement vous êtes un homme de votre temps.

Mr le Ministre pour finir, je dois paraphraser le savant burkinabé Joseph Ki-Zerbo « Sur toutes ces questions, nous avons déjà produit des Himalaya de résolutions et des rivières de salive. Ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des actions concrètes ».

En espérant que vous tiendrez compte de mes suggestions, je vous prie monsieur le Ministre, d’agréer l’expression de ma plus haute considération.

Mamadou Alpha Ghadiry Diallo

Enseignant-chercheur à l’ISSMV de Dalaba

Email : [email protected]

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