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Boubacar Yacine sonne le tocsin : « si rien n’est fait, les radios risquent de disparaître »

Boubacar Yacine Diallo, ancien président du Conseil National de la Communication et ancien ministre
Boubacar Yacine Diallo, journaliste, Fondateur de la radio Horizon Fm, ancien ministre de l’Information, ancien président du CNC

L’humanité célèbre la huitième édition de la journée mondiale de la radio, ce mercredi 13 février 2019. Cette année, l’UNESCO a placé l’évènement sous le thème « dialogue, tolérance et paix ».

Pour comprendre le cas spécifique de la Guinée et surtout la genèse et l’évolution de ce type de média, un journaliste de Guineematin.com est allé à la rencontre de monsieur Boubacar Yacine Diallo, ancien ministre de l’Information, ancien président du Conseil National de la Communication et fondateur de la radio Horizons FM.

Dans cet entretien, Boubacar Yacine Diallo a également tiré la sonnette d’alarme sur l’avenir de la radio en Guinée.

Décryptage !

Guineematin.com : vous êtes ancien journaliste, promoteur de radio privée. Faites-nous une rétrospective sur les différentes péripéties traversées par la radio en Guinée

Boubacar Yacine Diallo : l’histoire de la radio guinéenne a commencé sous la période coloniale. A l’époque, la petite radio qui émettait sur Conakry et environs s’appelait « radio banane », à cause notamment du fait que sa ligne éditoriale portait essentiellement sur les annonces en direction des planteurs pour leur dire que les bateaux étaient arrivés et qu’ils pouvaient faire évacuer leur production. Et par la suite, quand la Guinée a pris son indépendance sous la férule du président Ahmed Sékou Touré, elle est devenue la radio nationale provisoirement, puis elle est devenue La Voix de la Révolution, un peu comme la voix du maître. Une radio unique avec un parti unique. Bien sûr, lorsqu’en 1984, l’armée a pris le pouvoir et a renversé ce qui restait du régime, elle est redevenue la radiodiffusion nationale. Puis, en une période, elle est devenue un office. Ça a duré trois ans. Mais au jour d’aujourd’hui, elle est restée la radio nationale. Du point de vue emplacement, elle a commencé par le centre ville, là où se trouve en ce moment le commissariat central de Kaloum. Ses studios étaient là-bas, sa salle de rédaction, je crois, était au 8 novembre, puis elle a transféré à Boulbinet et aujourd’hui, vous avez cette radio qui se trouve plutôt sur le plateau de Koloma.

Guineematin.com : aujourd’hui, quels sont les défis de la presse guinéenne en général et de la radio en particulier ?

Boubacar Yacine Diallo : je voudrais commencer par rappeler que cette année, l’UNESCO a placé cette journée sous le thème « dialogue, tolérance et paix » parce que l’UNESCO considère que la radio est un outil simple d’accès et qui a un impact certain sur la vie des populations où qu’elles se trouvent. Et, comme il y a trop de conflits parfois qui poussent les jeunes à l’exil malheureusement, elle a considéré donc cette année, les radios devraient fournir beaucoup plus d’efforts dans l’établissement du dialogue entre les communautés ; mais également, de prêcher la tolérance pour obtenir la paix. Pour le cas spécifique de la Guinée, comme vous le savez, les radios, notamment privées, sont aujourd’hui envahies par des communicants des partis politiques, non déguisés d’ailleurs. Ce qui est une bonne chose, parce qu’ils se présentent comme des militants des partis politiques qui défendent donc les intérêts des partis politiques. Je pense que le dialogue que les partis auraient dû mener aujourd’hui, a été rattrapé par les communicants de ces partis politiques et parfois qui sont même en avance sur beaucoup de journalistes. Je pense que ça, c’est un côté positif. Par contre, le côté négatif, ce qu’il y a certains parmi les auditeurs qui se permettent de prendre la parole, qui diffusent des fausses nouvelles, qui font des attaques gratuites et qui méritent d’être sanctionnés tout simplement.

Guineematin.com : selon vous, qu’est-ce qu’il faut pour en finir avec ce problème ?

Boubacar Yacine Diallo : je pense qu’il faut que les journalistes jouent pleinement leur rôle. Même pas de gendarme ; mais, de simple arbitre. Le journaliste, quand il anime un débat, il doit être neutre ; mais, il doit être suffisamment responsable pour ne pas permettre que des fausses nouvelles soient diffusées ou que des atteintes sur la vie privée des personnes réputées innocentes soient possibles. Et, cela est de la responsabilité du journaliste. Il faut reconnaître que beaucoup de journalistes font beaucoup d’efforts, même s’il est difficile de contenir les velléités de ceux qui sont malveillants. Mais, il est aussi regrettable de constater qu’une poignée de journalistes participe de ce mauvais comportement de certains auditeurs qui prennent la parole. Et je voudrais aussi regretter que certains journalistes versent dans la corruption et donnent plutôt voix à des accusations gratuites et parfois suffisamment graves qu’ils ne peuvent pas démontrer. Je pense que cela devrait cesser.

Maintenant, concernant les radios elles-mêmes, la radio publique a sa ligne éditoriale qui est connue. Les radios privées ont aussi leurs lignes éditoriales. Mais, je voudrais signaler que ces radios, notamment privées, ont énormément de difficultés. Beaucoup d’entre elles pourraient disparaître rapidement si des mesures correctives n’étaient pas prises. Je pense, en particularité, les difficultés financières qu’elles traversent en ce moment. Comme vous le savez, elles existent depuis une dizaine d’années, les équipements sont vétustes pour la plupart des radios et il n’y a pas d’accompagnement ni des partenaires, ni des opérateurs économiques, ni même du gouvernement, parce que vous le savez par exemple, la subvention de 2018 n’a pas été payé à date, à ma connaissance. Ce qui fait un moins pour le fonctionnement de ces radios, même si cette subvention ne devait être qu’un appui et vous savez que la situation économique de notre pays n’est pas reluisante, contrairement à ce qu’on peut en dire. Et, les opérateurs économiques n’ont pas les moyens de communiquer. Beaucoup d’entre eux n’ont même pas la tradition de communiquer. Voilà donc des radios qui sont livrées à elles-mêmes, qui ne devraient vivre que de leurs recettes, qui n’en produisent pas et je pense qu’il y a des gros risques. Je tire donc sur la sonnette d’arme pour que tout le monde se réveille pour sauver ces radios, parce qu’elles sont d’utilité publique.

Guineematin.com : l’autre question c’est par rapport à la concurrence entre les radios et les autres types de médias. Quel est votre regard sur cette question ?

Boubacar Yacine Diallo : vous savez, on disait il y a quelques temps que la radio et la télévision avaient tués la presse écrite et plus récemment, on disait qu’internet a tué les radios et les télévisions et maintenant, les nouveaux médias, en particulier les réseaux sociaux, sont venus carrément se substituer à la presse. Je pense que c’est un défi que les journalistes et leurs organes doivent pouvoir relever parce que les réseaux sociaux sont plus prompts à diffuser les informations avec une facilité inouïe au point qu’aujourd’hui, la concurrence ce n’est plus entre les journalistes, mais c’est entre les journalistes et ces journalistes citoyens qui ont pris d’assaut la toile et qui sont parfois à des endroits où les journalistes ne sont pas, qui sortent des scoops et qui sont plus rapides et qui les partagent de manière effrénée. Je pense que le premier défi que la presse et les journalistes doivent relever, c’est celui der s’organiser mieux pour être plus près de l’information. Ce qui est difficile ; mais, aussi de se servir de ces réseaux sociaux comme sources, quand elles sont fiables, parce qu’il faut s’assurer de la fiabilité de ces sources. Aujourd’hui par exemple, la presse en ligne, elle est à la fois écrite, audio, visuelle. Donc, c’est un tout. C’est-à-dire elle joue à la fois le rôle de la radio traditionnelle, de la télévision traditionnelle, de la presse écrite traditionnelle et je pense que la profession elle-même est en danger. J’espère que les professionnels et leurs organes vont pouvoir trouver leur juste place dans ce milieu parce qu’effectivement, on a besoin toujours de ces organes. Mais, l’avantage de la radio, c’est le fait qu’elle soit accessible où que vous vous trouvez. Vous allez dans le village le plus reculé où vous n’avez pas internet, il n’y a pas de concurrence ou vous n’avez même pas la télé ou si vous l’avez, il n’y pas d’électricité. Donc, pour le moment, c’est la radio qui a plutôt la vie qui est rose parce qu’on la capte facilement et aujourd’hui, on produit le plus facilement possible.

Guineematin.com : ces derniers temps, il y a une multiplication de convocations des journalistes par la justice. Quelle appréciation faites-vous de cette situation ?

Boubacar Yacine Diallo : je pense que les journalistes devraient être heureux d’être convoqués devant les tribunaux. Ils devraient tout simplement faire en sorte de gagner les procès parce qu’on ne peut pas interdire à un usager de la communication de saisir la Haute Autorité ou la justice, c’est son droit. Mais, le journaliste doit être capable de démontrer que l’information qu’il a diffusée est vraie, tout au moins objective, parce que je voudrais rappeler que le juge qui est en charge d’un dossier, d’un délit ou d’un crime par voie de presse, commence toujours par se poser la question de savoir est-ce qu’au moment où le journaliste publiait son article, il était de bonne ou de mauvaise foi. S’il est de bonne foi, il bénéficie de circonstances atténuantes et s’il était de mauvaise fois, il bénéficie de circonstances aggravantes. Donc, le journaliste doit se mettre devant la glace et s’assurer que l’information qu’il diffuse est exacte, parce qu’une fois que son information est exacte, il peut venir au tribunal ; mais, il ne perdra pas le procès. Moi, comme journaliste, je n’ai pas du tout peur qu’on porte plainte contre moi parce que j’ai diffusé une information. Mais, j’aurais peur de perdre le procès, s’il était prouvé que mon information était fausse, mal recoupée et je pense également qu’en Guinée, nous avons une chance exceptionnelle avec le régime de la dépénalisation des délits de presse et que dans les conditions normales, les journalistes et les organes payent des contreventions et ne vont pas en prison. Je pense que cela ne devrait pas être remis en cause, parce que c’est une avancée majeure pour la Guinée dont on ne parle pas beaucoup.

Guineematin.com : et pourtant, les autorités actuelles semblent vouloir remettre cet acquis en cause…

Boubacar Yacine Diallo : je ne crois pas. Si c’est le ministre Somparé, je l’ai entendu dire et répéter à souhait que les articles concernant la dépénalisation ne seront pas touchés. Je le crois aux mots. Je sais que plusieurs membres du gouvernement souffrent de cette dépénalisation, plusieurs députés également. C’est un combat que les journalistes et les associations de défense des droits de l’homme devraient pouvoir faire. Je pense que le Président Alpha Condé ne reviendra pas sur cette mesure, lui qui, pendant 40 ans…, et qui a aussi été victime de ces lois. Je parie qu’il ne reviendra pas sur cette décision et à mon avis, la dépénalisation a des beaux jours devant nous dans notre pays. Mais, cela ne devrait pas non plus autoriser les journalistes à accuser gratuitement sous réserve qu’ils n’iront pas en prison. Il faut qu’ils soient suffisamment responsables. Sous un régime de dépénalisation, on doit être suffisamment responsable et ne pas faire montre de légèreté. Autrement, on donnerait l’occasion à tout le monde de fédérer leurs causes pour que la dépénalisation soit annulée. Je pense qu’en Guinée, ça ne sera pas le cas et si c’est le cas, nous nous battrons pour ne pas que cela arrive. Nous ferons partie de ce combat.

Guineematin.com : selon vous, qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui à la presse guinéenne en général ?

Boubacar Yacine Diallo : il faut des journalistes qualifiés. Il y en a, mais pas assez. A mon avis, c’est le premier défi. C’est de former des journalistes comme on forme des médecins, des chirurgiens, des ingénieurs. L’Etat ne fait rien dans ce domaine. La deuxième chose, comme je l’ai dit, il faut voler au secours des médias privés. Leurs équipements sont vétustes. Ils n’ont pas de ressources. Il faut que les bailleurs de fonds, les partenaires fassent attention parce que de tout les temps, ils réclament un Etat de droit, l’exercice assidu des libertés, alors que la radio et la télévision privées sont des moyens privilégiés et on ne fait rien. Je pense que l’Etat aussi doit pouvoir faire sa part parce que ces radios, quoi qu’on en dise, font du service public. Lorsqu’il y a eu par exemple l’épidémie à virus Ebola, je voudrais rappeler que l’URTELGUI (Union des Radiodiffusions et Télévisons Libres de Guinée) à l’époque avait fait plusieurs synergies gratuitement pour rendre ce service public et il arrive aussi que pour des causes nationales que ces journalistes de ces radios s’investissent. Je voudrais dire aussi, le simple fait que ces radios diffusent de l’information, elles satisfont un droit fondamental : le droit pour le citoyen d’être informé. Ce droit est public et il est même inscrit dans la Constitution. Donc, nous faisons aussi du service public bien que nous soyons dans un régime privé et il faut que l’Etat fasse sa part, notamment en versant la subvention, mais aussi en imaginant d’autres aides. Pourquoi l’Etat ne ferait pas un don d’équipements aux radios privées comme on le ferait aux hôpitaux ? Par exemple, faire une opération de charme à l’occasion de la journée de la liberté de la presse, donner des émetteurs, des groupes électrogènes, des ordinateurs, etc. Je me souviens que lorsque le ministre Mathurin Bangoura était ministre des Télécommunications, il avait offert des ordinateurs aux radios privées. Je pense que c’est un bon exemple qui doit être répété et je sais que les ministres, notamment Tibou Kamara, Moustapha Naïté, Papa Koly s’étaient investis pour rapprocher la presse du Président pour que des gestes soient faits. Malheureusement, d’autres personnes qui n’ont pas du tout envie que la presse respire ont dû peut-être stopper cet élan. Mais, j’espère qu’ils auront la chance de renouer ce contact pour que la presse puisse profiter de l’Etat pour pouvoir survivre.

Guineematin.com : quel est le mot de la fin ?

Boubacar Yacine Diallo : c’est de souhaiter bonne fête aux journalistes de la radio et de se souvenir des grands journalistes de radio qui ne sont plus et de m’incliner devant leurs mémoires et souhaiter prompt rétablissement à tous les journalistes qui sont alités actuellement, souhaiter également que l’année 2019 soit une année de bonheur pour la presse dans son ensemble.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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