Massacre du 28 septembre : « c’est Dieu et mon impartialité qui m’ont sauvé », dit Amadou Diallo

Amadou Diallo

Comme annoncé précédemment, l’ancien correspondant de la BBC en Guinée, Amadou Diallo, a accordé récemment une interview à Guineematin.com, depuis Dakar où il vit et travaille désormais. Le célèbre journaliste a évoqué plusieurs sujets, notamment le massacre du 28 septembre 2009, qui a coûté la vie à plus de 150 personnes, selon le bilan des ONG. Lui, qui a été témoin oculaire des faits, a raconté ce qu’il a vu ce jour-là dans le stade du 28 septembre de Conakry et comment il en est sorti vivant.

Décryptage !

Guineematin.com : vous étiez correspondant d’un grand média international, donc vous étiez forcément sollicité par les opposants au régime Conté quand ils voulaient se faire entendre. Quels rapports aviez-vous avec les leaders de l’opposition, dont Alpha Condé, Bâ Mamadou, Siradio Diallo et Jean Marie Doré ?

Amadou Diallo : écoutez, je vous ai dit que de 1996-1997 jusqu’en fin 2009, j’étais correspondant de la BBC. A l’époque, il n’y avait pas de radios ou de télévisions privées. Ce n’est pas comme maintenant. Avant, il n’y en avait pas. Et, pendant toute cette période, évidemment, c’était la BBC, RFI et Africa N°1 qui couvraient l’actualité guinéenne. En tout cas qui couvraient les leaders de l’opposition mais aussi de la mouvance présidentielle parce que nous on couvrait tout le monde. On n’avait pas de sujets de prédilection. L’actualité, elle s’impose à vous.

Que vous soyez de la mouvance ou de l’opposition, nous on couvrait l’actualité et certainement avec beaucoup plus de professionnalisme. C’est ce qu’on a fait. Les leaders politiques, notamment ceux de la mouvance avaient la RTG ; mais, les autres, ils n’avaient pas accès à la RTG. Le Professeur Alpha Condé n’avait pas accès à la RTG, Bâ Mamadou, Jean Marie Doré, Siradio Diallo n’avaient pas accès à la RTG. Donc, s’ils devaient se faire entendre, c’est à travers nous, en tant que journalistes.

Vous pouvez aller voter pour X ou Y s’il y a élection ; ça veut dire qu’en tant que citoyen, vous avez votre opinion sur la marche de votre pays. Seulement, si vous voulez être journaliste objectif et indépendant, vos convictions politiques ne doivent pas rejaillir. Ça, quand même, c’est difficile. Beaucoup de journalistes ne parviennent pas à le faire. Et, pourtant, c’est ce qu’il faut faire. Mais, si vous ne pouvez pas faire cela, en ce moment, mieux vaut aller militer. Personnellement, je n’ai jamais milité.

Guineematin.com : vous attendez quel moment pour le faire ?

Amadou Diallo : (rires).

Guineematin.com : il y a parfois une passerelle entre le journalisme et la politique. Certains quittent l’un pour aller dans l’autre.

Amadou Diallo : absolument ! Vous savez, les journalistes côtoient les politiciens et ils voient comment les politiciens travaillent. Ils apprennent avec les politiciens la politique. Mais, personnellement, je n’ai jamais milité. J’ai préféré rester journaliste parce que déjà le médium pour lequel je travaille, la BBC, n’admet pas ce genre de positions. Vous ne pouvez pas être journaliste à la BBC et être militant, ce n’est pas possible. Là, vous allez choisir. Si vous voulez faire carrière à la BBC, vous devez rester journaliste. Et, moi, j’ai choisi de rester journaliste.

Maintenant, vous me dites jusqu’à quand je vais rester journaliste, est-ce qu’un jour je vais militer, ça, je laisse le choix à l’avenir. Tout à l’heure vous m’avez demandé quels rapports j’entretenais avec ces opposants, on entretenait d’excellents rapports avec eux. A la limite, c’était nos amis puisque vous savez que les journalistes et les leaders politiques, ce sont des partenaires. Ils ont besoin de la presse, mais la presse aussi a besoin d’eux. C’est comme ça que ça fonctionne. Mais, c’était des amis. Il n’y avait pas de problème (….)

Guineematin.com : qu’en était-il avec le capitaine Moussa Dadis Camara ?

Amadou Diallo : je pense qu’avec Dadis, l’effervescence était au maximum. C’était le top. Tout le monde avait soutenu Dadis, comme tout le monde avait soutenu à un moment donné le CMRN. Il est venu avec des idées nouvelles, des idées novatrices. Les gens ont vu en lui quelqu’un qui pouvait changer la Guinée. Parce que vers la fin du régime du Général Lansana Conté, vous savez toute la pagaille qu’il y avait, toutes les contradictions au sommet de l’Etat au point que même les plus proches, même les parents du Général Lansana Conté se rendaient compte que ce n’était plus lui qui dirigeait la Guinée et ils se sont joints à la dynamique du changement qui avait été déclenchée par le syndicat en 2006 et 2007.

Donc, Dadis était soutenu par les forces vives à l’époque, parce que l’opposition et la société civile s’étaient coalisées et avaient créé une plateforme qu’ils appelaient les forces vives de la nation. Et, les forces vives soutenaient le capitaine Dadis et le CNDD. Comme vous le savez, ce soutien n’a pas duré parce que le capitaine Dadis a, je crois, été poussé par certains de ses proches collaborateurs… C’est très dommage. Je pense que le capitaine Dadis aurait pu faire beaucoup de bonnes choses pour la Guinée. Malheureusement, certains de ses proches l’ont poussé à commettre l’irréparable. Ils l’ont poussé à vouloir se présenter à l’élection présidentielle qui devait venir, ils l’ont poussé à dire qu’il n’avait pas été condamné par qui que ce soit, qu’il était guinéen comme tout autre guinéen et qu’il était libre de se présenter s’il veut se présenter. Et, c’est là que tout a été gâché.

Se rendant compte que le capitaine Dadis veut ainsi se présenter aux prochaines élections (alors qu’il avait dit au départ que le pouvoir ne l’intéressait pas, qu’il n’allait pas se présenter), les forces vives se sont retrouvées et lui ont retiré leur soutien. Et, c’est pour cela que la manifestation du 28 septembre a été organisée. Vous connaissez la suite. Ça a été très difficile aussi bien pour moi que pour tous les Guinéens, j’imagine. Tous les Guinéens de près ou de loin, tout le monde a été touché par les évènements du 28 septembre. J’étais au stade du 28 septembre et je sais que c’est par la grâce de Dieu que j’ai pu survivre, que j’ai pu sortir du stade du 28 septembre. Je sais aussi que c’est par la grâce de Dieu que tous ceux qui sont sortis du stade du 28 septembre sont sortis ce jour, tellement la répression était forte, tellement la violence était forte et aveugle.

Guineematin.com : qu’est-ce qui s’est exactement passé ce jour au stade du 28 septembre ?

Amadou Diallo : personne ne peut vous dire exactement tout ce qui s’est passé ce jour-là. Personnellement, je ne saurais vous dire ce qui s’est passé ce jour-là puisque lorsque les armes de guerre crépitent, vous n’êtes pas militaire, vous êtes civil, évidemment, vous vous cherchez et tout le monde se cherchait. Et, lorsqu’entre 11 heures et 12 heures ce jour-là, les armes crépitaient dans l’enceinte du stade, c’était la débandade. Le stade était plein, archicomble de jeunes surexcités, très contents d’avoir bravé l’interdiction de manifester parce que le stade avait été interdit aux jeunes. La junte n’avait pas autorisé la manifestation ; mais, l’opposition, les forces vives avaient décidé de braver l’interdiction, d’aller à la manifestation pour dire non à la candidature du capitaine Dadis.

Alors, lorsque les armes ont commencé à crépiter, c’était donc la débandade. Personne ne savait ce qui se passait. On a vu les militaires foncer sur les gens et tirer comme si c’était la chasse. Et, c’est pour cela que je vous dis que personne ne peut vous dire exactement ce qui s’est passé. Ce que vous pouvez dire, c’est ce que vous avez vu de votre côté, là où vous étiez, ce que vous avez vu. Vous ne pouvez pas embrasser tout ce qui s’est passé dans le stade étant donné que les armes crépitaient ; que les militaires tiraient sur tout ce qui bougeait ; que les gens tombaient et mouraient devant vous. Vous vous cherchez évidemment.

Guineematin.com : vous, c’est quoi votre histoire du 28 septembre ? Vous êtes arrivé comment ? Qu’est-ce qui s’est passé devant vous et comment en êtes-vous sorti ?

Amadou Diallo : écoutez ! Le matin, c’est comme si je savais que ce jour-là, ça allait chauffer. Donc, je suis arrivé très tôt. A 9 heures, je suis arrivé avec certains confrères à l’esplanade du stade et on travaillait là. Les premiers moments d’accrochages entre les jeunes et les forces de l’ordre ont eu lieu vers 9 heures. Comme la manifestation était interdite, évidemment, les forces de l’ordre étaient là aussi, déployées comme d’habitude. Donc, les forces de l’ordre ont commencé à disperser et des accrochages ont eu lieu le matin vers 9 heures. On était donc dispersés ; mais, nous sommes restés aux alentours et les gens se sont regroupés par petits groupes. Le premier groupe qui avait été dispersé était vraiment très petit. Et, lorsque les gens ont commencé à déferler vers le stade, la police et la gendarmerie étaient débordées.

Les gens sont allés forcer les portes du stade et pénétrer à l’intérieur. Moi, j’étais avec certains amis, des journalistes. Lorsqu’on a su que le stade est plein, que les gens ont forcé les portes et les barrières qui étaient à l’intérieur et que les leaders qui étaient venus chez Jean Marie Doré devaient arriver (parce que tous les leaders s’étaient retrouvés chez lui et c’est de là-bas qu’ils sont allés au stade), j’ai demandé à certains confrères d’aller au stade parce que l’évènement ne se déroule pas là où nous étions à ce moment-là. Nous étions en périphérie et l’évènement se déroulait à l’intérieur du stade. J’avoue que certains collègues n’avaient pas voulu partir. Ils avaient certainement leur raison de ne pas partir. Moi, je suis allé. J’ai été escorté par un groupe de jeunes qui m’avait reconnu et qui était très content de voir le reporter de la BBC arriver.

Donc, je suis arrivé seul à l’intérieur du stade vers 11 heures, escorté par ce groupe de jeunes. Mais, vers midi, j’ai dû sortir de là parce que je devais faire ma communication avec la BBC. Je devais passer en direct pour le journal de midi puisque c’était programmé et c’est un évènement assez important. Je leur avais dit qu’il y avait cette manifestation, qu’elle était importante et que ça pouvait dégénérer. Et, on s’est convenu qu’à midi, je devais passer en direct. Donc, je quitte la pelouse, je sors juste parce qu’il y avait beaucoup de bruit. Je vais sous un cocotier pour avoir un peu de calme afin de faire ma communication… Et, c’est là que j’ai entendu les premiers coups de feu.

Guineematin.com : la communication n’était pas encore faite ?

Amadou Diallo : j’attendais qu’on m’appelle. Mais, à partir de là, ce n’était plus possible parce que comme je vous l’ai dit, les militaires étaient arrivés en masse et ça tirait de partout. Tout le monde se cherchait et c’était la débandade totale. Moi, j’étais à deux mètres de la pelouse. Je me suis demandé est-ce qu’il fallait courir, est-ce qu’il fallait rester débout quelque part, je me suis dit non, je ne cours pas. Je ne suis pas un manifestant, je vais rester là où je suis. Je suis resté arrêté là et j’ai aperçu d’autres confrères, notamment Mouctar Bah de RFI.

Guineematin.com : à l’intérieur du stade ?

Amadou Diallo : évidement. Il (Mouctar Bah) est venu rester avec moi. Et, d’autres journalistes de la presse privée qui nous ont aperçus, qui pensaient qu’en étant avec nous ils étaient sauvés (rires) ! Ils sont donc venus rester avec nous ; et, même d’autres personnes de la société civile. J’ai dit à Mouctar : « on ne court pas, on reste là, on n’est pas des manifestants ». Ce qui peut nous arriver, ce que j’avais imaginé, c’était qu’on nous arrête parce que lorsque les militaires vont nous trouver, nous allons présenter nos badges de presse et peut-être, ils vont nous arrêter. Je n’ai pas imaginé le scenario inverse, c’est-à-dire qu’ils vont tirer sur nous.

Guineematin.com : ou bien vous violenter.

Amadou Diallo : nous violenter, ça pouvait arriver, mais pas tirer sur nous comme ils étaient en train de le faire avec les autres. Donc, on est resté là, Mouctar et moi plus certains journalistes de la presse privée, on n’a pas couru. Entretemps, il y a un jeune militaire qui arrive et qui nous demande : « qu’est-ce que vous foutez là ? » Nous avons sorti nos cartes de presse pour dire que c’est la presse. Il dit : « la BBC et RFI, c’est vous qui parlez mal de la Guinée. C’est vous qui vendez mal la Guinée à l’étranger. C’est vous qui vilipendez la Guinée. C’est vous, allez à genoux » ! Alors, on s’est mis à genoux, il a braqué l’arme sur nous.

Il était en train de crier et vraiment de nous insulter. Il nous a mis vraiment à terre. Et après, il a dit : « mettez les mains au dos ». C’est en ce moment que j’ai commencé à douter, même à avoir peur parce que souvent, j’ai vu des cas où on vous demande de mettre les mains au dos et puis on tire sur vous. Lorsqu’il a dit : « mettez les mains au dos », là, j’ai commencé à avoir peur. Tout au début, c’était la débandade, je n’avais pas eu peur parce que moi j’étais habitué à couvrir la violence, chaque fois que les partis politiques ont manifesté en Guinée, il y a eu de la violence. Donc, on était plus ou moins habitué à entendre les armes crépiter.

Guineematin.com : et là, il y avait l’arme sur vous ?

Amadou Diallo : oui, l’arme sur nous. C’était ma première fois. Et, là, j’ai commencé à avoir peur. Entre-temps, Dieu faisant bien les choses, et c’est pourquoi j’ai dit que c’est Dieu et mon impartialité qui m’ont sauvé parce que la situation était critique, un autre militaire, apparemment plus gradé que le jeune militaire en question est arrivé. Et, ce militaire lorsqu’il est arrivé, il a dit au jeune « non ! Arrêtes ! Les gens là, je les connais, ce sont des journalistes, levez-vous » ! Nous nous sommes levés. J’ai dit : « et pourtant, on lui avait dit que nous sommes des journalistes ». Il a dit : « non ! Comprenez la situation. A pareils cas, des choses comme ça peuvent arriver ». Le militaire dit : « nous étions ensemble à Labé, il y a deux jours ». C’est-à-dire lorsque le capitaine Dadis est allé à Labé pour, dit-il, défier Cellou Dalein Diallo parce que vous savez qu’il était allé à Labé avec un MIG. Je vous ai dit que moi, quel que soit l’évènement, je ne cherche pas à savoir qui est derrière, je le couvre. Ce qui est important, c’est l’évènement, ce n’est pas de savoir qui est derrière. Et, donc, à Labé, et Mouctar Bah et moi-même, nous étions avec le capitaine Dadis. Nous avions demandé à nos différentes rédactions de nous laisser partir à Labé puisque ça pouvait dégénérer aussi. C’était la première sortie du capitaine Dadis, ça pouvait dégénérer. On ne savait même pas qu’il serait là avec un MIG. Et, donc, nos rédactions nous ont laissés partir.

Et, lorsque le capitaine Dadis, à la tribune, nous a vus, il était tellement content. Il a dit : « voilà, la BBC est là. Mon frère Amadou est là ! Mon frère Mouctar de RFI est là ! Donc, la communauté internationale saura ce qui se passe à Labé ». Et, c’est comme ça que ce militaire nous a vus à Labé. Et, ayant entendu le capitaine Dadis dire que BBC et Mouctar Bah de RFI sont là, il a dû nous remarquer. Et ça, ça a été très utile parce que ce militaire, c’est justement grâce à ça, à notre déplacement à Labé, qu’il a su que nous sommes des journalistes. Imaginez si on n’avait pas été à Labé qu’est-ce qui allait nous arriver. C’est pourquoi, je dis aux jeunes journalistes que leur talisman, c’est leur objectivité, leur impartialité. Moi, sous le régime du président Lansana Conté, ça a été mon talisman.

C’est l’objectivité, c’est l’impartialité et c’est l’équilibre de l’information. C’est d’ailleurs les valeurs et principes de la BBC. Mais, il faut en faire son talisman. Donc, c’est ça qui m’a sauvé : Dieu et mon impartialité, mon objectivité. Parce que si je n’avais pas été à Labé, on ne sait pas ce qui allait se passer. Et, c’est comme ça que ce militaire a appelé un policier et il a dit : « il faut les conduire jusqu’à la sortie ». Je me rappelle, le policier avait une branche d’acacia qu’il brandissait. Il disait : « journalistes, journalistes », parce qu’à chaque 5 à 10 mètres, il y avait des bérets rouges et il y avait des gendarmes. Même à l’extérieur du stade, j’ai vu des gendarmes ; mais, je ne peux pas aujourd’hui les reconnaître. Même celui qui m’a sauvé, je ne peux pas le reconnaître.

Guineematin.com : vous ne savez pas qui est ce militaire ?

Amadou Diallo : non, je ne le sais pas ! Je ne le connaissais pas du tout ! Et, aujourd’hui, je ne peux pas le reconnaître aussi. Donc, ce policier à qui il avait demandé de nous conduire jusqu’à la sortie avait peur aussi. Il brandissait cette branche et disait : « journalistes, journalistes », pour qu’on puisse franchir les barrages des militaires. Il continuait à dire : « journalistes, journalistes » sans arrêt parce qu’il avait vraiment peur et on voyait ce qui se passait. Et, c’était quoi ? Ce sont des cadavres qu’on voyait.

Guineematin.com : en sortant du stade ?

Amadou Diallo : oui, en sortant du stade, c’est des cadavres qu’on a vus. Des gens qui étaient morts, sur lesquels on avait tiré ; des gens qui étaient là blessés par balles et qui demandaient de l’aide. On les observait ; mais, on ne pouvait rien faire.

Guineemaitin.com : on a parlé aussi de viol. Personnellement, est-ce que vous avez vu des cas de viols ce jour ?

Amadou Diallo : ça, je n’ai pas vu. C’est pourquoi, je vous ai dit que personne ne peut dire tout ce qui s’est passé ce jour-là. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de viols, il y en a eu certainement parce qu’à Dakar ici, j’ai vu des filles qui avaient été victimes de viol, qui ont fui la Guinée et qui sont venues se réfugier ici. Donc, des viols, il y en avait eu ; mais, moi, je n’en ai pas vu. Mais, j’ai vu des gens qui étaient morts, des blessés par balles ; et, j’ai demandé même à certains de regarder, ils ont dit non, on ne regarde pas tellement que c’était effrayant.

Et, donc, ce policier, arrivé au niveau du portail, à la sortie, il a soulevé ses deux mains pour nous dire : « ma mission s’arrête là ». Mais, sa mission ne s’arrêtait pas là parce qu’à l’esplanade aussi, c’est là où il y avait tellement de militaires. Maintenant, on est sorti du stade ; mais, comment quitter l’esplanade pour arriver au quartier Landréah ? C’était au maximum 50 mètres ; mais, pour nous, c’est comme si c’était 10 000 kilomètres.

Guineematin.com : ça continuait à tirer ?

Amadou Diallo : évidemment que ça continuait à tirer et les gens continuaient à mourir. C’était toujours la débandade. Les gens mourraient comme des mouches, on peut dire ! Mais, puisque le policier a dit que sa mission s’arrêtait là, moi, je suis resté serein. Je suis venu vers une femme militaire, de grande taille et que je ne connaissais pas non plus. J’ai dit : « madame, nous sommes des journalistes, est-ce que vous pouvez nous aider à traverser ? » Parce qu’il fallait absolument avoir de l’aide pour traverser cette route où il y a la station-service, je ne sais pas si elle est toujours là-bas.

Guineematin.com : bien sûr ! Elle est toujours là-bas.

Amadou Diallo : pour arriver là-bas, c’était vraiment compliqué ! J’ai dit donc à cette dame militaire, de taille imposante : « madame, nous sommes des journalistes. Est-ce que vous pouvez nous aider à passer ? » La dame n’a absolument rien dit. Elle ne m’a pas répondu. Elle a accédé à ma demande sans rien me dire parce qu’elle a pris son fusil qu’elle tenait de façon horizontale. Elle nous poussait avec son fusil en disant « dégagez ! Dégagez ! »…

Guineematin.com : c’était pour vous aider à passer ?

Amadou Diallo : c’était pour nous aider par rapport à ses collègues militaires qui pouvaient s’en prendre à elle aussi parce qu’en pareille situation, elle-même, elle risquait. Mais, pour nous aider, elle a fait semblant de nous bousculer avec son arme qu’elle tenait avec ses deux mains. Elle nous a poussés jusqu’à ce qu’on traverse la route, elle s’est retournée. Cette femme aussi nous a vraiment aidés. Mais, sitôt qu’on traverse, nous tombons cette fois sur des gendarmes. Ces gendarmes aussi nous entourent. Là aussi, on dit journalistes, BBC et RFI, puisque j’étais avec Mouctar. Il ne fallait pas le dire ! Ils se sont excités sur nous pour dire encore c’est vous qui vilipendez la Guinée, c’est vous qui disiez de mauvaises choses sur la Guinée. Vous allez voir, vous allez comprendre, vous allez entendre. Et, le premier qui est venu vers moi a mis sa main dans ma poche, j’avais mon portable, il l’a pris et je sais que d’autres aussi avaient pris le portable de Mouctar. Et, j’avais mes appareils dans mon sac puisque jusqu’à maintenant j’avais mon sac de reporter et j’avais mis mes appareils à l’intérieur. J’avais un sac qui avait plusieurs poches ; et, je mettais toujours les appareils au milieu par précaution. Et, c’est là qu’un gendarme qui était parmi ceux qui nous entouraient a sorti son poignard, il a pris ma main et il m’a donné un coup.

Guineematin.com : il vous a poignardé ?

Amadou Diallo : non ! Il ne m’a pas poignardé, il a tenu la lame. Et, je pense que certains avaient des poignards dans les poches puisque lui, il avait sorti son poignard de sa poche. Il a tenu la lame et m’a tapé avec la manche ; et, ma main s’est enflée automatiquement. Il voulait prendre mes appareils ; mais, c’est en ce moment que quelqu’un qui me connaissait aussi est arrivé. Et, c’est pour cela que je remercie toujours Dieu parce que ce jour-là, sans la présence de Dieu, je ne sais pas si je serais en train de parler aujourd’hui. Donc, là aussi, lorsqu’il a voulu prendre les appareils alors que j’avais enregistré beaucoup de sons, j’allais perdre tous ces sons, il y a un jeune du CNDD qui est arrivé. Il était dans le quartier, aux alentours, et observait ce qui se passait.

Guineematin.com : il n’était pas du maintien d’ordre ?

Amadou Diallo : non ! C’est un civil. Il n’était pas avec les gendarmes et il n’était pas avec les militaires. Il était distant ; mais, il observait les choses. Il était du protocole du CNDD et il s’appelle Katy. Il est neveu ou petit fils d’Emmanuel Katy qui a longtemps été Directeur Général de la RTG ; mais, qui est décédé (paix à son âme). C’est ce Katy qui sort, quand il a vu les gendarmes avec nous, il est venu pour dire non ! Il a brandit son badge du CNDD pour dire : « laissez-les, je les connais, c’est des journalistes ». Il est venu parler aux gendarmes avec beaucoup d’autorité pour dire : « laissez-les c’est des journalistes ». C’est en ce moment que les gendarmes se sont dispersés. Mais, l’un d’entre eux avait pris mon portable ; et, heureusement, il n’avait pas pu prendre les appareils. J’ai dit à Katy : « écoutes, ce gendarme-là (que je ne peux pas reconnaître aujourd’hui), il a pris nos portables ». Il a appelé le gendarme et lui a dit : « donnes les portables ». Le gendarme a sorti les portables, j’ai pris mon portable et puis j’ai continué. C’est comme ça que nous sommes rentrés dans le quartier et nous avons été accueillis par une famille que je remercie aujourd’hui. Une famille d’un avocat à Landréah.

Imaginez-vous, de 12 ou 13 heures, jusqu’aux alentours de 20 heures. Et, c’est dans cette famille qu’on faisait maintenant tous nos papiers. Nous avons transformé le salon et la cour de cette famille en une salle de rédaction parce qu’il y avait moi, Mouctar et d’autres journalistes. On était très nombreux. On a transformé leur salon et leur cour en une salle de rédaction. Ils nous ont donné à manger. Cette famille, honnêtement, je la remercie aussi. Mais, tout cela, je dis que ce sont les différentes manifestations de Dieu. C’est comme ça qu’on est resté là jusqu’aux alentours de 20 heures ; et, à partir de là, nous avons décidé de quitter parce que les choses se sont calmées, il n’y avait plus de tirs. Mais, on se demandait s’il n’y avait pas de barrages. C’était dangereux. Nous avons emprunté des ruelles ; mais, il n’y avait personne dans la circulation.

Guineematin.com : il n’y avait pas de véhicules ?

Amadou Diallo : pas de véhicules ! On a pris nos véhicules et on a forcé. Et, moi, j’avais aussi des amis que je devais déposer avant d’arriver chez moi. J’arrive chez moi vers 20h30- 21h ; mais, j’avais oublié mon sac dans lequel j’ai mes appareils et tout ce que j’avais enregistré, j’avais oublié ce sac à Dixinn dans cette famille. Il fallait évidemment que je retourne là-bas parce que ce sont des choses précieuses et je devais faire un reportage pour les éditions matinales de la BBC, le lendemain, parce que j’avais l’électricité, j’avais la connexion internet et je pouvais rester chez moi la nuit et travailler.

Mais, je n’avais pas de sac et pas d’appareils. J’ai dit que je vais repartir pour chercher mon sac ; mais, la famille a dit : « pas question, vous ne sortez plus » ! J’ai dit qu’il me faut sortir, je ne peux pas enregistrer ça et garder, par la grâce de Dieu, on n’a pas saisi mon sac parce que les appareils d’autres journalistes avaient été cassés. Donc, j’ai dit qu’il me faut ressortir. Mon premier garçon a dit : « Papa, si vous devez sortir, nous allons sortir ensemble parce que si vous allez mourir, nous allons tous mourir ensemble ».

Guineematin.com : il avait quel âge ?

Amadou Diallo : il était au lycée. Qu’est-ce qu’il pouvait ou qu’est-ce que moi je pouvais devant ces militaires ? Mais, il a dit : « si vous devez mourir, on va mourir ensemble. Vous ne sortirez pas seul, nous allons sortir ensemble, si vous tenez à ressortir ». J’ai dit « OK » !

Guineematin.com : d’accord de sortir avec lui ?

Amadou Diallo : sortir avec le garçon parce que sinon ce n’était pas possible. Toute la famille s’est arrêtée devant moi : madame, les enfants pour dire « non ! Vous ne sortez pas ! Vous ne sortez pas » ! Mais, l’alternative que j’ai trouvée, c’est de sortir avec le jeune. Je suis sorti avec lui et on a emprunté des routes, on est arrivé quand même à Dixinn parce que j’avais appelé la famille, ils m’ont dit que le sac est là. J’ai dit : « gardez-le très bien, j’arrive ». Donc, je suis revenu à Dixinn, reprendre le sac et repartir. J’ai fait un reportage que beaucoup de personnes retiennent aujourd’hui encore parce que j’avais des sons précieux. C’était les coups de feu qu’on entendait. On entendait le crépitement des armes distinctement. J’avais tout enregistré et c’est justement lorsque ce reportage a été diffusé le matin que la junte s’est dite : « il faut l’avoir ». C’est là que mes ennuis ont commencé. Parce que les gens ont dit : « il faut l’avoir » parce qu’avec ce reportage, il est clair… jusqu’à présent les gens ont ce reportage sur leurs portables. A partir de là, évidemment, mes ennuis ont commencé. La junte voulait coûte que coûte avoir ma peau…

Guineematin.com : et vous n’avez pas cherché à négocier ?

Amadou Diallo : négocier avec qui ?

Guineematin.com : avec les responsables de la junte.

Amadou Diallo : mais, le capitaine Dadis, lui-même disait à l’époque qu’il ne maîtrisait pas l’armée. Vous allez négocier avec qui ? Vous allez appeler qui ? Sinon, le capitaine Dadis, je le connaissais et il me connaissait. D’ailleurs, il avait beaucoup d’admiration pour moi. Je connaissais aussi beaucoup d’autres de la junte ou beaucoup qui sont autour de lui ; mais, c’était une époque de folie. Le capitaine avait lui-même dit qu’il ne maîtrisait pas l’armée.

Guineematin.com : certains estiment qu’il n’y avait pas que l’armée. Il y avait d’autres qui ont perpétré des actes pas forcément au compte de la junte ; mais, qui ont plutôt crée des problèmes à la junte. Est-ce que vous croyez à de telles explications ?

Amadou Diallo : je ne sais pas parce que comme je viens de vous le dire, telle que les choses se sont passées au stade du 28 septembre, c’était difficile de distinguer même qui est militaire, qui est ceci, qui est cela parce que ça tirait dans tous les sens. Et, comme on n’était pas dans les secrets de Dieu, c’est difficile de dire est-ce qu’il y a eu d’autres personnes. Honnêtement, ça, je ne peux pas le dire. Je sais qu’il y avait des militaires au stade et je sais qu’il y avait des gendarmes au stade. C’est ce que je sais, honnêtement.

Guineematin.com : et vous n’avez pas réellement su si c’est Dadis qui a dit d’aller tirer sur les gens ?

Amadou Diallo : ça aussi, je ne peux pas le savoir. Je ne peux pas dire que c’est lui ou bien ce n’est pas lui. Est-ce que les gens sont allés d’eux-mêmes ? Je ne peux pas faire ce témoignage. Je ne peux accuser qui que ce soit ; je dis ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu. C’est à la justice de faire le reste du travail.

Guineematin.com : l’arrivée des leaders de l’opposition au stade, comment cela s’est passé ?

Amadou Diallo : écoutez ! Je vous ai dit que c’était la débandade. Quand les leaders sont arrivés, moi, j’étais déjà au stade. Ce que je dis, les leaders étaient chez Jean Marie Doré. Tous étaient regroupés là. Et, eux aussi, lorsqu’ils ont appris que les jeunes ont bravé l’interdit, les barrières de sécurité et même le portail du stade, parce que je crois que la porte était fermée, et que les gens sont à l’intérieur, en nombre, c’est en ce moment qu’eux aussi se sont décidés à venir. Mais, quand même, ce n’était pas facile d’atteindre le stade parce que les gendarmes et les militaires étaient déployés déjà.

Donc, moi, j’étais déjà à l’intérieur du stade. Mais, je crois que quand ils sont arrivés eux-mêmes, ils n’ont pas pu prononcer un seul mot. Je crois qu’ils n’ont pas pu prononcer de discours parce que dès leur arrivée, les tirs avaient commencé. Et, de toutes les façons, beaucoup ont dit qu’il n’y avait même pas une sonorisation. Même s’ils avaient voulu prononcer leurs discours, ils ne pouvaient pas se faire entendre avec cette marée humaine.

Guineematin.com : le capitaine Dadis avait demandé aux leaders de l’opposition de reporter le rassemblement, ce que ces derniers ont refusé. Avec le recul, pensez-vous qu’ils auraient dû reporter la manifestation ? Et quel conseil donneriez-vous aux opposants au cas où ils souhaitent manifester et que les autorités interdisent la manifestation ?

Amadou Diallo : écoutez ! Est-ce que j’ai la qualité de donner un conseil ? Je ne le pense pas. Je suis journaliste, je ne suis pas un acteur politique. Je ne fais pas la politique et je n’ai pas fait la politique. Qu’est-ce que je vais conseiller aux acteurs politiques, c’est un peu difficile. Je sais seulement que la manifestation était interdite et que, semble-t-il, tard la nuit, le capitaine Dadis avait parlé avec certains leaders politiques pour dire d’annuler la manifestation. Mais, pouvaient-ils annuler la manifestation parce que si la conversation entre le capitaine Dadis et ces leaders a eu lieu vers 1 heure ou 2 heures du matin ou même minuit, comment ils pouvaient annuler cette manifestation ? Etant donné qu’entre eux leaders politiques, ils pouvaient se concerter ; mais, comment ils allaient toucher leurs militants ?

Je pense que c’était quasiment impossible pour eux de toucher leurs militants entre minuit, 1 heure, 2 heures du matin et 6 heures, 7 heures du matin pour dire aux militants que la manifestation a été annulée. Je crois que les leaders politiques n’avaient pas le choix que de venir au stade parce qu’ils n’avaient même pas le temps. Mais aussi, je pense que la Guinée ne doit pas être dirigée par l’humeur de ceux qui gèrent le pays. La Guinée doit être, à mon avis, gérée par les lois et les principes. Tant que le pays va être géré par l’humeur du chef, évidemment, ce qui est arrivé au stade du 28 septembre va toujours arriver. Je pense qu’il est important que la Guinée soit dirigée par les lois. Et, si les lois autorisent les manifestations, elles doivent se tenir. Si les lois n’autorisent pas, voilà. Mais, je pense qu’on a une constitution qui autorise les manifestations. Maintenant, c’est à la discrétion de ceux qui organisent les manifestations de faire en sorte qu’il n’y ait pas de débordement. Ensuite, à l’Etat d’encadrer les manifestations pour empêcher qu’il y ait des débordements, des infiltrations, parce que j’entends souvent dire en Guinée : « on ne veut pas qu’il y ait la manifestation parce qu’il se peut qu’il y ait une infiltration ». Mais, qui infiltre qui ? Je pense que c’est aux organisateurs d’en tenir compte et d’avoir leur propre structure de maintien d’ordre ; mais aussi au pouvoir public de jouer son rôle, sa partition qui est d’encadrer la manifestation.

Je pense qu’une manifestation autorisée évite à 90% des affrontements entre forces de l’ordre et militants qu’une manifestation qui est interdite et qui doit se tenir parce que les leaders politiques vont se dire nous allons manifester parce que la loi nous autorise. Pourquoi ne pas organiser les manifestations et les encadrer ? Pourquoi ils interdisent si la loi guinéenne autorise ? Maintenant, ceux qui gèrent le pays disent toujours qu’il y a troubles à l’ordre public. Peut-être, ils ont des raisons ; mais, à mon avis, on peut interdire une fois ou deux fois, mais quand on interdit une fois, deux fois, trois fois, quatre fois et même cinq fois, ça devient une habitude. En ce moment, ça veut dire qu’on gère le pays par les humeurs du Président et non pas par les règles et par les lois. Ça devient autre chose.

A suivre très prochainement la dernière partie de cette interview avec le célèbre journaliste Amadou Diallo. Nous parlerons entre autres de ses ennuis après le 28 septembre 2009 et il nous dira comment il a réussi à sortir de la Guinée.

Interview réalisée à Dakar par Nouhou Baldé pour Guineematin.com

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