Déguerpissement à Kaporo Rails : « c’est soit la prison ou la mort qui me feront quitter ma maison »

Comme annoncé précédemment, le gouvernement guinéen a entamé hier, mardi 19 février 2019, le déguerpissement des occupants du centre directionnel de Koloma. Un endroit qui touche une partie de Koloma et une autre de Kaporo Rails et qui, officiellement, doit abriter les sièges des ministères et de certaines institutions nationales.

Mais, sur le terrain, ce déguerpissement est naturellement accueilli avec beaucoup de peine. Les citoyens concernés dénoncent « une injustice pure et dure » d’autant plus que le gouvernement n’a prévu aucune mesure d’accompagnement pour eux. C’est le cas de Thierno Sadou Barry qui est appelé à quitter sa maison, où il habite avec sa famille. Ce dernier fustige les agissements des autorités guinéennes et annonce qu’il ne quittera pas sa maison. Il s’est confié à Guineematin.com pour parler de sa peine et de sa consternation.

Décryptage !

Guineematin.com : une mission du gouvernement guinéen est venue aujourd’hui pour mettre des croix sur votre maison, vous annonçant que vous devez déguerpir les lieux dans un bref délai. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

Thierno Sadou Barry : c’est avec beaucoup de peine, parce que c’est de l’injustice ça. Une injustice pure et dure. En 2016, le Président Alpha Condé est venu à Kaporo Rails avec le ministre Bah Ousmane, il nous a dit qu’il est conscient que le premier déguerpissement qui a eu lieu sous le régime du Général Lansana Conté a été fait pour des raisons purement politiques et que c’est à cause d’eux les opposants d’alors que ce déguerpissement a été fait. Parce que le pouvoir d’alors se disait que Kaporo Rails est un fief de l’opposition. Le Président Alpha Condé nous a dit qu’il est conscient de cela et que pendant le temps que lui il passera au pouvoir, personne ne sera déguerpi de cette manière.

Il nous a assuré que si l’Etat a besoin de récupérer un domaine qui est occupé par des citoyens, il va faire en sorte que ces citoyens-là soient dédommagés convenablement avant d’être déguerpis. Mais aujourd’hui, c’est tout à fait le contraire de ces déclarations du chef de l’Etat qu’on est en train de voir à Kaporo Rails. Aujourd’hui, des gens sont venus dans notre quartier avec 8 pick-up de gendarmes pour mettre des croix sur nos concessions. Ils nous ont dit de libérer les lieux parce que c’est une zone réservée.

Moi, je suis vraiment étonné parce que je ne m’attendais pas du tout à cela, étant donné que le Président de la République en personne est venu jusqu’ici pour nous rassurer que personne ne sera désormais déguerpis dans ces conditions-là. Pour moi, le respect de la parole donné est sacré. Qui qu’on soit, on doit tâcher de respecter la parole donnée. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui à Kaporo Rails.

Guineematin.com : que comptez-vous faire maintenant ?

Thierno Sadou Barry : personnellement, je vais dire au Président de la République, à son gouvernement, à la communauté nationale et internationale, que je ne quitterai pas chez moi, parce que je n’ai nulle part ailleurs où aller. Je ne quitterai ici que si et seulement si on me dédommage convenablement. Quand on nous dit que c’est une zone réservée, je vais dire que de Coléah jusqu’à l’aéroport, c’est une zone réservée mais personne ne parle de ça. C’est chez nous ici qu’on vient toujours pour casser nos maisons, si on parle, on nous frappe et on retire nos biens. C’est nous qui subissons toujours toutes sortes d’exactions.

Mais cette fois, pour ma part en tout cas, moi Thierno Sadou je ne suis pas prêt à accepter cette injustice. Je suis prêt à aller en prison mais pas à quitter ici. Si on va en prison, c’est soit on sort après ou on meurt en prison. Ils peuvent bien sûr me tuer mais ils ne peuvent pas m’envoyer en enfer. Donc, je vais sortir d’ici peut-être pour aller en prison ou pour aller au cimetière, ça c’est possible, mais pas pour aller ailleurs. Je ne vais quitter ma maison que pour aller en prison ou au cimetière. Ça, vous pouvez en être certains.

Guineematin.com : selon les autorités, ici c’est une zone réservée et que les gens se sont installés là illégalement. Quand vous êtes venu ici, ne saviez-vous pas que c’est une zone réservée ?

Thierno Sadou Barry : je vais vous dire que cette zone n’était pas une zone réservée au départ. C’est un décret du Président Lansana Conté qui a fait d’ici une zone réservée. J’ai même la copie de ce décret que je suis allé chercher à l’Assemblée nationale. Si ma mémoire est bonne, il a pris ce décret en 1988. Mais, déjà, des gens habitaient ici. Donc, on a fait d’ici une zone réservée alors que des gens avaient déjà occupé la zone. En plus, si c’était vraiment une zone réservée, pourquoi alors les autorités du pays ont accepté de lotir la zone et d’y envoyer l’eau courante et le courant ?

Le Président Alpha Condé lui-même sait très bien qu’ici, ce n’était pas une zone réservée. C’est à cause de lui Alpha Condé, Bâ Mamadou et Siradio Diallo que Lansana Condé avait décidé de déguerpir les gens à Kaporo Rails en 1998. Maintenant, si lui aussi il vient au pouvoir et veut faire la même chose que par le passé, c’est dommage. Je vais seulement lui rappeler que ce qui était au temps de Sékou Touré, ce n’est pas ce qui était au temps de Lansana Conté ; ce qui était au temps de Lansana, n’était pas au temps de Dadis Camara ; et ce qui a été au temps de Dadis Camara, n’est pas aujourd’hui à son temps, lui Alpha Condé.

Je le prie de revoir sa façon de faire et de ne pas écouter ses ennemis. Parce que je pense que ce sont ses ennemis qui sont en train de le guider vers le mauvais chemin. Qu’il s’ache qu’il ne peut pas chasser quelqu’un de chez lui et vouloir être ami à ce dernier. Ce n’est pas possible. Quand vous me chasser de chez moi, je ne vais jamais vous aimer et je ne vais même pas aimer quelqu’un qui vous aime. Je vais lui dire aussi qu’on n’a pas besoin de faire la campagne quand on est au pouvoir. Si vous faites la campagne et vous réussissez à vous faire élire, vous n’avez plus besoin de faire la campagne. A ce moment, c’est votre travail qui fera la campagne pour vous.

Aujourd’hui, on a 8 pick-up de gendarmes qui sont là pour nous intimider, pour nous chasser de chez nous, comme ça est-ce que je vais aimer le pouvoir. J’ai 3 épouses et 10 enfants. Si on vient me chasser d’ici avec ces gens-là, je vais aimer ce pouvoir ? Je dis non. Il faut qu’on se dise la vérité. Et la vérité, c’est que c’est de l’injustice que le gouvernement est en train de faire à Kaporo Rails. Une injustice que moi je ne suis pas prêt d’accepter, je le répète.

Je rappelle que j’ai confectionné des briques cuites pour pouvoir acheter ce terrain. J’ai construit une case ici, après je suis sorti du pays. Je suis allé à l’étranger pour chercher de l’argent et j’ai envoyé l’argent pour qu’on construise cette maison pour maison.

Guineematin.com : il y a déjà les occupants des abords de la route qui sont en train d’être déguerpis depuis hier. Après eux, ça sera les concessions dont la vôtre. Vous, vous dites que vous ne quitterez pas votre maison, qu’allez-vous faire alors si les machines arrivent avec les agents de sécurité pour démolir ici ?

Thierno Sadou Barry : comme je l’ai dit, ils vont peut-être nous prendre pour nous envoyer en prison ou bien nous tuer tous avant de démolir notre maison. Ce sont les deux options qui s’offrent au gouvernement : nous arrêter et nous envoyer en prison ou tuer. A part cela, nous ne quitterons pas notre maison. Que cela soit entendu et compris.

Entretien réalisé par Alpha Fafaya Diallo pour Guineematin.com

Tel : 628124362

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