Kaporo-rails : « je préfère mourir avant de sortir de ma maison » (Elhadj Sadou Bary)

Elhadj Sadou Barry, habitant de Kaporo rails

Une vaste opération de déguerpissement a débuté depuis quelques jours à Kaporo rails, dans la commune de Ratoma. Après la démolition des kiosques et baraques sur le site, ce sera au tour des concessions de recevoir les bulldozers. Les victimes de cette opération de déguerpissement crient à la surprise et ne savent plus à quel saint se vouer. Elhadj Sadou Barry, rencontré par deux reporters de Guineematin.com ce vendredi, 22 février 2019, a dit qu’il préfère mourir sous les décombres de sa concession que de quitter les lieux.

Guineematin.com : comment comprenez-vous le déguerpissement qui vient de débuter à Kaporo rail où vous habitez ?

Elhaj Sadou Barry : je ne suis pas tellement content et ensuite je ne suis pas à l’aise. Le gouvernement guinéen peut faire des zones réservées, mais là où les gens n’habitent pas. Et nous, on habitait ici avant que ça ne soit une zone réservée. Donc, à l’heure actuelle, moi je ne suis pas content et je ne suis pas en bonne santé. Pourquoi, l’Etat n’a pas pitié des citoyens, il regarde son intérêt personnel seulement. Je suis venu ici depuis 1990. Sans mentir, j’ai acheté mon terrain en 1990. J’ai confectionné les briques pour quelqu’un afin d’avoir l’argent pour acheter mon terrain. Parce que, je ne voulais rester dans la maison de quelqu’un. Lorsque j’ai quitté le Libéria à cause de la rébellion, j’ai décidé de ne plus quitter la Guinée. Les gens qui m’ont vendu le terrain étaient là depuis 1960. Donc en 1970, ça a trouvé que beaucoup de personnes étaient déjà installées ici. Maintenant lorsque j’ai acheté le terrain, j’ai construis une maison traditionnelle, parce que je n’avais pas de moyens en ce moment. C’est là que je suis resté jusqu’à j’ai eu la chance d’aller à l’extérieur, gagner l’argent et venir construire une maison pour remplacer celle traditionnelle. Lorsqu’ils avaient commencé à démolir Kaporo rails en 1998, Alpha Condé lui-même avait dit que c’est à cause d’eux. J’ai le papier où tous les partis politiques d’alors ont signé pour dénoncer la démolition de Kaporo rail. Il y avait l’UNR, PRP, RPG, UPG. Avant, il n’y avait pas de démocratie, si aujourd’hui Alpha Condé est devenu président de la République et il ne pense pas à nous, c’est vraiment bizarre.

Guineematin.com : en 2015, le président Alpha Condé était venu vous voir à Kaporo. Qu’est-ce qu’il vous avait dit en ce moment ?

Elhadj Sadou Barry : lorsqu’il est venu ici en 2015, il a dit qu’ils avaient gâté Kaporo rail à cause d’eux et que lui, il ne va plus démolir la maison de quelqu’un. Il a même regretté pourquoi on avait démoli la maison des gens. Il avait promis qu’il allait recaser les gens et que nous qui avions eu la chance de rester, nous allions continuer à rester ici, car on est chez nous. Moi, je reste sur cette position jusqu’à présent. A notre surprise, avant-hier, les gendarmes sont venus pour cocher ma maison. Ça a été une surprise pour moi après le passage du président de la République. Je crois que le président de la République devait réfléchir bien, parce qu’il a dit quelque chose et son contraire. Moi-même, je ne peux pas le faire. Même pour déloger un locataire, il faut lui donner un avertissement, à plus forte raison moi qui suis le propriétaire de la maison. Si l’Etat a besoin d’ici, il y a la manière, mais pas utiliser la force. Il doit penser que le pouvoir n’est pas éternel, aujourd’hui il peut m’enfermer, il peut démolir notre maison mais un jour, je ne serai pas content, mon fils ne sera pas content. A l’heure actuelle, l’étude de mes enfants est presque menacée, parce qu’il y avait la grève et que les cours ont repris, voilà on vient pour nous déguerpir. Mes enfants risquent de faire une année blanche. Le président de la République doit se mettre à notre place. Si c’était lui, comment il allait faire ?

Guineematin.com : en achetant le terrain, est-ce que vous avez obtenu toutes les pièces légales ?

Elhaj Sadou Barry : oui, j’ai obtenu toutes les pièces légales. La première pièce légale que j’ai eue, c’est la donation. Ça a trouvé qu’ici était déjà loti, ils ont mis le courant, l’eau et les routes. Ici était Kipé II, ce n’était pas Kaporo rail.

Guineematin.com : vous avez dit que vous n’étiez pas concerné par le premier déguerpissement de 1998, est-ce que c’est à grâce à vos papiers ?

Elhaj Sadou Barry : ils avaient cassé Kaporo rails jusqu’à un certain niveau et ma maison n’avait pas été touchée. Un journ la femme de Conté passait ici, elle a dit ce n’est pas ce qu’elle a entendu. C’est le même jour qu’ils ont arrêté de casser les maisons. Si Lansana Conté faisait quelque chose de mal, c’est à cause de son entourage et c’est la même chose pour le président actuel Alpha Condé. Le président ne doit pas écouter son entourage, il doit penser à la réalité du terrain parce qu’Alpha Condé est informé plus que tout le monde.

Guineematin.com : le ministre de l’habitat et de l’aménagement était venu voir les habitants, comme vous avez trouvé cela ?

Elhaj Sadou Barry : j’ai entendu qu’il est venu ici. J’ai appris qu’il était venu dire qu’il allait casser les baraques, parce qu’ils pensent que les bandits sont dans les baraques. Mais, nous ne sommes pas des bandits, on habite ici depuis 30 ans. J’ai eu des enfants ici et des petits enfants. Donc, nous ne sommes pas des bandits, même les lois disent que là où quelqu’un est resté pendant 20 ans, 25 ans ou 30 ans, on ne peut plus l’enlever.

Guineematin.com : vous êtes sommés de quitter les lieux, avez-vous des voies de recours ?

Elhaj Sadou Barry : on n’a pas de recours, je n’ai pas de moyens et je suis handicapé (monsieur est un manchot, ndlr). Pour mes recours, ce sont les médias qui sont mes armes. J’utilise les médias pour montrer à l’opinion nationale et internationale, de parler au président de la République de chercher les moyens pour dédommager les citoyens. Ils ne peuvent pas nous intimider, même si c’est dans un pays sauvage pour déguerpir quelqu’un on peut le faire par une autre manière. On ne peut venir aujourd’hui et dire aux gens de quitter demain. On quitte pour aller où ? Moi j’ai dix enfants avec moi, avec trois femmes. Si on dit de quitter cette maison, on va aller où ? Au cimetière ? On n’a pas d’arme avec nous sauf seulement la presse qui peut nous aider. Je suis handicapé, mais je ne vais pas mendier, je me débrouille pour nourrir ma famille. Donc, si on quitte cette maison où on va aller ? Ils ne pensent même pas à ça, sauf nous intimider.

Guineematin.com : est-ce que vous allez accepter de quitter les lieux ?

Elhaj Sadou Barry : je ne vais pas accepter aujourd’hui, demain ou jusqu’à la fin de ma vie. Si le bulldozer vient ici, il va démolir la maison avec moi. Je ne vais pas sortir d’ici car je n’ai pas où aller. Je vais prendre toute ma famille pour rentrer dans la maison et que le bulldozer va démolir la maison avec nous et on nous enterre là-bas. Chacun de nous va porter le linceul et on se couche. Si on quitte ici, on va aller où ? Aller à Sékhoutouréyah pour dormir ? Je jure entre moi et Dieu, je préfère mourir avant de sortir de ma maison. Parce que je ne peux pas sortir ici avec les enfants pour aller dans la rue. Je demande à tout le monde de dire au président Alpha Condé de trouver solution à notre problème. Ce n’est pas difficile à régler, on ne veut pas des grands étages. On veut des terrains et de l’argent avec lequel on peut reconstruire nos maisons. On ne dit au président de nous donner du travail, on lui demande de nous dédommager. Parmi nous, il y a des maisons confisquées, il y a des propriétaires de maison qui ne bénéficient du prix de loyer que les gens paient. Cinq bâtiments sont confisqués par la gendarmerie et c’est à eux qu’on paie la location de ces maisons. On n’a pas de droit d’aller récupérer notre argent. On construit une maison pour avoir un bénéfice, mais c’est le contraire. Celui-là qui n’a pas construit, c’est lui qui tire profit des locations. Ici, les grades sont plus forts que les lois. Il n’y a aucune loi qui dit que quelqu’un peut quitter sa maison sans remboursement.

Interview réalisée par Siba Guilavogui et Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

Tél. : 620 21 39 77/ 662 73 05 31

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