Leadership féminin : entretien avec l’Hon. Zalikatou Diallo

Madame Traoré Zalikatou Diallo, première vice-présidente de l'Assemblée nationale
Mme Traoré Hadja Zalikatou Diallo

Le 08 mars prochain, l’humanité va célébrer la journée internationale de la femme. Une occasion qui sera mise à profit pour promouvoir l’émancipation de la couche féminine à travers le monde. En prélude à cette journée, Guineematin.com a eu un entretien avec la députée Dr Zalikatou Diallo, secrétaire générale du Forum des Femmes Parlementaires de Guinée(FOFPAG) et membre du parlement panafricain. Nous avons parlé du leadership féminin avec pour exemple son riche parcours.

Décryptage !

Guineematin.com : comment une femme peut-elle devenir leader ?

Honorable Zalikatou Diallo : c’est une question pertinente. Pour devenir leader, ce n’est pas facile pour une femme. Cela, pour de nombreuses causes. Les charges sociales, le ménage, les pesanteurs socioculturelles, etc… Pour autant, c’est une question possible. Une femme peut devenir leader en faisant bien ce qu’elle entreprend. Si c’est le ménage, il faut être une bonne ménagère, si tu enseignes, fais-le bien, si tu soignes exécute bien tes tâches. Même si tu décides de balayer la route, tiens bien ton balai et travaille correctement. Une femme leader doit forcément être bien formée, à défaut, elle doit avoir un métier. Pour qu’une femme arrive à ce stade, elle a besoin d’une autonomisation, elle a donc besoin d’être accompagnée pour arriver au niveau du leadership.

Guineematin.com : parlant de formation, vous personnellement vous êtes médecin de profession. Comment êtes-vous parvenue à un tel niveau quand on sait que la formation des jeunes filles reste toujours un véritable défi dans notre pays ?

Honorable Zalikatou Diallo : à ce niveau, je remercie beaucoup mes parents. Ma mère était une comptable et mon père, un économiste sortant de Sciences Pô de Paris. Ils nous ont encadrés jusqu’au bout. Grâce à mes parents, j’ai fait les études supérieures en optant pour la médecine. Pour cela, il fallait vraiment travailler très dur. Etudier en médecine n’est pas facile : les matières sont chargées et étudier l’être humain n’est pas aisé puisque l’être humain est très compliqué dans sa constitution. Imaginez-vous qu’au départ, nous étions 150 étudiants en première année médecine, au compte de la promotion Hadja Mafory Bangoura. Mais, quand on est arrivé en 6ème année, on était plus que 40 étudiants dont 5 filles. Ce qui veut dire que certains ont changé d’option, d’autres ont abandonné entretemps.

J’ai donc terminé major de ma promotion et soutenu avec mention « Excellent ». Mais, moi j’avais moins de mérite que les quatre autres filles qui étaient avec moi et qui étaient mariées. Moi, je me suis dit qu’il fallait attendre la fin des études pour me marier. D’autant plus que j’étais devenue très tôt dirigeante sportive.

Guineematin.com : justement, parlez-nous de cette autre facette de votre leadership.

Honorable Zalikatou Diallo : oui, c’est un don de soi. Moi, j’ai aimé très tôt le football. Mon père avait un club à la Minière. Un célèbre club de football qui raflait presque tous les trophées. Il dominait dans les coupes. C’est nous qui préparions pour les joueurs du club et qui les servions. Cela me fascinait énormément. On les supportait et j’ai fini par être du monde du football. Et, c’est comme ça qu’on a continué à supporter plus tard le Hafia FC et le Syli national sénior. Pour la petite histoire, lorsqu’ils ont commencé à restructurer la ligue régionale de football de Conakry, j’ai été choisie avec Agnès Camara par M. Habib Diallo qui était inspecteur régional de la jeunesse de Conakry.

Agnès Camara (Paix à son âme) et moi, étions les deux secrétaires chargées des affaires sociales et du football féminin. Par la suite, j’ai été la première femme guinéenne à être élue à la Fédération Guinéenne de Football (FEGUIFOOT). C’était au temps de Baba Sacko. M. Almamy Kabélé Camara était le vice-président de la fédération. Une année après, je me suis mariée à un diplomate, et j’ai quitté le pays.

Guineematin.com : la question allait venir puisque chez nous généralement, les femmes qui font de hautes études ou qui sont dans le monde sportif ont souvent du mal à avoir un mari. Est-ce votre cas ?

Honorable Zalikatou Diallo : c’est vrai, je me suis mariée seulement après mes études, comme je vous l’ai dit plus haut. J’ai épousé un diplomate qui était en poste en Libye. J’ai quitté la Guinée et nous avons passé 14 ans à l’étranger. Puisqu’après la Libye, mon mari a été nommé au Nigéria puis à New York entre autres. Mais je continuais à militer dans les associations des épouses des ambassadeurs que j’ai eu l’honneur de présider plusieurs fois.

Mais une fois revenue en Guinée, après cette longue période d’absence, j’ai régularisé ma situation administrative et j’ai repris mes activités professionnelles et sportives à tous les niveaux. C’est comme ça que le Hafia FC m’a choisie comme Directrice des ressources humaines. De là, j’ai appris qu’il y a le congrès de la FEGUIFOOT. Je me suis portée candidate pour devenir la secrétaire chargée du développement féminin et en même temps présidente de la commission de la médecine sportive. C’était au temps d’Aboubacar Bruno Bangoura qui était le Président de la fédération.

La FEGUIFOOT a présenté ma candidature à la CAF et à la FIFA pour être commissaire de match. A ce niveau, j’ai bénéficié de nombreuses formations à travers le monde et j’ai fait le tour du continent pour être commissaire de match dans plusieurs pays. Et ensuite, au Congrès suivant, j’ai été élue 1ère vice-présidente de la FEGUIFOOT. Nous étions sur un bel élan quand une crise a éclaté entre les hommes et c’est ce qui nous a emportés. Pendant qu’on était là-bas, on avait commencé à redresser la situation du football féminin avec des résultats encourageants (…)

Guineematin.com : vous êtes médecin, dirigeante sportive sans oublier les tâches ménagères. Comment avez-vous réussi à concilier tout cela ?

Honorable Zalikatou Diallo : c’est d’abord la volonté et l’organisation. J’ai eu la chance de faire mes maternités à l’extérieur. Au moment où je rentrais, les enfants étaient devenus grands, donc autonomes. Je me rappelle au Nigeria, j’ai été choisie comme présidente des épouses des diplomates africains dans ce pays. Il arrivait que j’aie des réunions parfois un peu difficiles. Par exemple, un jour, on préparait un évènement annuel au niveau des femmes diplomates. Je convoque la réunion, entretemps, mon enfant tombe malade. Il a une prescription de trois doses dans la journée. J’ai été obligée d’aller avec le bébé à la réunion, accompagnée du chauffeur qui est resté avec lui dans la voiture. A chaque fois que l’heure de donner le médicament au bébé arrivait, je venais lui donner et retourner présider la réunion. C’est vraiment compliqué des fois avec le ménage et les activités professionnelles.

Guineematin.com : et puis, à côté du football, vous êtes devenue aussi une femme politique. Est-ce que vous pouvez nous expliquer également cet épisode ?

Honorable Zalikatou Diallo : quand les militaires ont pris le pouvoir en Guinée, en décembre 2008, nous sommes rappelés à Conakry. Et comme mon mari a décidé de fonder avec certains de ses amis un parti, j’ai décidé d’aller avec lui. Puisqu’il me soutenait toujours dans mes activités sportives. Donc, on partait faire les réunions politiques, je donnais des idées qui étaient souvent appréciées. Donc à la convention du parti, le président a été élu et il m’a choisi comme son N°2. C’est-à-dire, la secrétaire nationale du parti. Et il était souvent absent du pays. Ce qui veut dire que j’étais absorbée par les activités politiques. Cela m’a obligé d’abandonner les cours que je donnais à l’université. Je me suis consacrée à la politique. Et la suite, vous la connaissez.

Guineematin.com : la suite, c’est que vous êtes élue députée à l’Assemblée à l’issue des législatives de 2013. Avec vos collègues députées, vous avez décidé de créer le Forum des Femmes Parlementaires de Guinée. Comment est-ce que cette idée est venue ?

Honorable Zalikatou Diallo : une bonne question. Nous étions 24 femmes élues sur 114 députés. (Maintenant, nous sommes 26 au total avec les décès et les remplacements). Nous avons vu qui nous étions minoritaires. Et si avec ce nombre, on ne se donne pas les mains, nous avons compris qu’on n’aurait rien pu faire pour les femmes de Guinée. Figurez-vous que les gens ne se saluaient même pas à cause des divergences politiques. J’ai été désignée membre du Parlement Panafricain (PAP) avec 4 autres collègues. Et à ce niveau, nous avons trouvé que les femmes étaient constituées en Cocus et qu’il fallait faire une structure relai dans nos parlements. Je suis venue expliquer à l’honorable Nanfadima Magassouba qui a adhéré à l’idée et puis nous avons contacté les autres femmes qui ont unanimement salué l’idée.

Ensemble, nous les femmes de tous les bords politiques, sommes allées voir le président de l’Assemblée nationale qui a soutenu l’idée et nous avons été appuyées par le PNUD pour la mise en place du Forum, le 10 mai 2014. Le FOFPAG est né avec ses statuts et règlement intérieur et ses plans d’action. Et puis c’est parti. Quand on est au niveau du Forum, on ne parle pas de politique ou de groupe parlementaire, mais de la femme guinéenne surtout pour ses droits.

Guineematin.com : le FOFPAG justement s’est beaucoup investi pour promouvoir la représentativité des femmes dans les instances de décision. Quel a été votre constat sur le terrain ?

Honorable Zalikatou Diallo : il faut le souligner que depuis deux ans, nous avons bénéficié d’un projet sur « la représentativité des femmes en politique ». C’est un projet soutenu par l’Assemblée nationale, appuyé par le PNUD et financé par l’ONU Femme et le Gouvernement du Canada. C’est dans ce cadre que nous faisons des tournées à l’intérieur du pays. Ce, en lien avec les engagements nationaux et internationaux auxquels la Guinée a adhéré pour le respect des droits de l’Homme et la promotion du genre. Mais j’avoue que le constat est très amer. Sur plus de 29 mille candidats aux élections locales de févier 2018, il n’y avait que 7 mille 44 femmes candidates, soit 23,83%. Ce qui n’atteint même pas 30%.

Après les élections, nous avons constaté qu’il y avait à peine 6 % de femmes élues conseillères. Une seule femme maire de commune urbaine et 5 autres portées à la tête de communes rurales. Là, c’est Dabola qu’il faut féliciter avec l’élection de trois femmes maires à travers la préfecture. Sinon, le constat est très amer sur le terrain : il n’est pas rare de voir des exécutifs communaux sans aucune femme à travers le pays. C’est un grave recul démocratique. Les femmes représentent plus de 52% de la population. Elles participent activement aux activités socio-économiques du pays. Comment expliquer qu’elles soient absentes dans la prise de décision même au niveau local ? C’est vraiment sérieux !

Guineematin.com : pour corriger cette faible représentativité des femmes dans les instances de prise de décision, que préconisez-vous au niveau du FOFPAG ?

Honorable Zalikatou Diallo : nous avons sillonné tout le pays à travers deux équipes du FOFPAG pour rencontrer les différents acteurs sur le terrain. Pour évaluer ensemble avec eux la situation et demander qu’à l’occasion de la désignation des chefs de districts et de quartiers, qu’on tienne compte des femmes. Nous voulons une parité homme/femme à ce niveau. Nous voulons également que les rares femmes conseillères soient portées au niveau des conseils régionaux. Voilà notre message. Mais en plus, nous avons demandé que des plateformes soient mises en place pour assurer la promotion du genre jusque dans les secteurs et à travers les associations et autres organisations non gouvernementales. Au niveau de l’Assemblée nationale, à l’occasion de la session des lois, nous entendons présenter une proposition de loi sur la parité. Et nous demandons le soutien de tous les députés.

Du côté de l’exécutif, nous saluons l’engagement du président de la République qui a dédié ses mandats aux femmes et aux jeunes. Sur le terrain, nous apprécions cette volonté d’accompagner l’autonomisation des femmes. De nos jours, les MUFFA et les LC2 sont déployés partout dans le pays. Cela doit être poursuivi et renforcé pour que les femmes soient réellement autonomes et capables de participer à la prise de décision dans le pays. Nous savons que le président nous accompagne. Récemment, il a rejeté le code civil révisé qui contenait une option de la polygamie. Nous lui restons reconnaissantes et attendons qu’il nous appuie plus, en nommant plus de femmes dans le gouvernement, dans l’administration et à tous les niveaux du commandement.

Guineematin.com : vous ne serez pas en Guinée lors de la célébration de la journée internationale de la femme, le 08 mars prochain. Quel message souhaiteriez-vous que les femmes portent en direction des autorités à cette occasion ?

Honorable Zalikatou Diallo : c’est vrai que je ne serai pas ici mais je serai à Tunis, là où les femmes ont atteint un niveau d’émancipation très élevé. Les tunisiennes sont considérées comme les femmes les plus émancipées du monde arabe voire de tout le continent africain. C’est là où je fêterai le 8 mars, à côté de mes sœurs. En Guinée, je demande aux femmes de ne pas se mettre à chanter et à danser seulement. Elles doivent travailler dans le cadre du plaidoyer lobbying dans le cadre du respect de nos engagements et conventions internationaux. Elles doivent examiner la situation, identifier les faiblesses et consolider les acquis.

Nous pensons du côté du FOFPAG, qu’en réussissant à présenter notre proposition de loi en avril, si elle passe, il y aura un moyen de coercition en vue d’amener les acteurs politiques et administratifs à tous les niveaux à contribuer à améliorer le niveau de représentativité des femmes. Nous les femmes, nous devons suivre la voie tracée par nos prédécesseurs comme Hadja Mafory Bangoura, Loffo Camara, Jeanne Martin Cissé et M’Balia Camara et compagnie qui ont lutté contre les discriminations homme/femme. Ces femmes se sont battues pour le bonheur de la femme guinéenne et le Code civil d’alors a été voté avec l’option de la monogamie même s’il y a une série d’articles soulevant des exceptions.

C’était une grande avancée puisque cette loi a été prise avant même que la Guinée ne signe des engagements et des conventions internationaux dans ce sens. Une fois encore nous saluons la clairvoyance du Pr Alpha Condé qui a renvoyé ce document pour une seconde lecture. Maintenant, il nous appartient, à nous les femmes d’être plus unies, plus solidaires et aller à la victoire.

Interview réalisée par Abdallah BALDE pour Guineematin.com

Tél : 628 08 98 45

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