Prise du pouvoir par l’armée, le 03 avril 1984 : les souvenirs de Boubacar Yacine Diallo

Boubacar Yacine Diallo, ancien président du Conseil National de la Communication et ancien ministre
Boubacar Yacine Diallo, ancien président du Conseil National de la Communication et ancien ministre

Ce mercredi, 03 avril 2019, marque le 35ème anniversaire de la prise du pouvoir par l’armée guinéenne avec à sa tête, à l’époque, un certain colonel Lansana Conté. L’armée prenait ainsi le pouvoir après les 26 ans de règne du PDG-RDA, suite à la mort du président Ahmed Sékou Touré. Un tournant décisif dans la tumultueuse histoire de la Guinée.

Pour comprendre ce qui s’est passé ce jour, un reporter de Guineematin.com a tendu son micro à Boubacar Yacine Diallo, ancien ministre de la communication, actuellement vice-président de l’INDH (Institution Nationale Indépendante des Droits Humains). A la prise du pouvoir par l’armée, monsieur Diallo était jeune reporter à Radiodiffusion Télévision Guinéenne. Il a été parmi les tout premiers à pénétrer au tristement célèbre camp Boiro où des milliers de guinéens ont été embastillés.

Décryptage !

Guineematin.com : ce mercredi, 03 avril 2019 marque le 35ème anniversaire de la prise du pouvoir par les militaires en Guinée, le 03 avril 1984. Vous avez été témoin oculaire de cette journée, racontez-nous ce qui s’est passé ce jour-là.

Boubacar Yacine Diallo : ce jour-là, assez de choses se sont passées à l’intervalle d’une journée. Je voudrais rappeler que l’armée a pris le pouvoir à 07 heures du matin. Habituellement, c’est tard la nuit, mais les militaires ont décidé d’attendre 07 heures, parce que la radio nationale ouvrait habituellement à 06 heures. Donc, ils ont décidé d’attendre 07 heures.

A 7 heures, une musique militaire est passée à l’antenne, suivie du communiqué numéro 1 lu à l’époque par le capitaine Facinet Touré ; une voix percutante qui annonçait la fin du régime Sékou Touré et qui annonçait en même temps l’arrivée des militaires au pouvoir. Et déjà, des militaires qui promettaient la construction d’un Etat de droit et de libéralisme économique…

Guineematin.com : justement, qu’est-ce qui a changé en Guinée après cette prise du pouvoir par l’armée ?

Boubacar Yacine Diallo : tout de suite, ce qui a changé, c’est que les militaires ont décidé d’ouvrir le cachot du Camp Boiro et tous les pensionnaires, sans exception, ont été libérés. Cela juste après, c’est-à-dire aux alentours de 09 heures et 10 heures. Les portes impitoyables du Camp Boiro ont été ouvertes. J’ai bien le souvenir parce que j’étais jeune reporter, mais le hasard a voulu que je sois embarqué avec les grands journalistes de l’époque comme les Mamady Condé, Alkhaly Mohamed Soumah, Odilon Théa et puis quelques techniciens comme Cissé Watt, Moïse.

Et, Bago Zoumanigui, c’est lui qui a tiré trois coups de pistolet en l’air pour annoncer que les prisonniers étaient libres. Les grilles se sont ouvertes et c’est en ce moment qu’on a pénétré dans l’enceinte du Camp. On a vu des scènes horribles dans les cellules. Des gens qui ont écrit avec leur propre sang et d’autres d’ailleurs avec leurs matières fécales, je m’excuse du terme mais c’est de la réalité de l’histoire. Cela arrachait moins de larmes et plus d’horreur.

Tous ces pensionnaires ont été libérés pour ceux qui pouvaient marcher encore. Les autres ont été envoyés à l’hôpital Donka, qui est plus proche, et tous ceux qui étaient en bon état ont été transportés à travers des bus vers le Camp Alpha Yaya Diallo. Et, c’est là où j’ai vu pour la première fois, le colonel Lansana Conté qui avait juste dit : « vous êtes libres, rentrez revoir vos familles et nous nous reverrons très prochainement ».

Après, lorsque nous avons replié pour venir en direction de la radiodiffusion qui se trouvait à Boulbinet, à la hauteur de Téminétaye, les femmes ont entonné la chanson : « Sâ barâ mafindi ». Et, Moïse qui était très alerte a pu capter ce son-là et il a été diffusé comme l’ode de la prise du pouvoir par l’armée.

Guineematin.com : vous parlez de cette prison, le Camp Boiro, où des milliers de guinées ont perdu la vie et jusqu’à nos jours, soit 35 ans après, justice n’a toujours pas été rendue. Etant aujourd’hui un défenseur des droits de l’homme, comment vous percevez cela ?

Boubacar Yacine Diallo : je voudrais déjà regretter la démolition des cellules. Je pense qu’on aurait dû les garder pour la mémoire collective de notre histoire, au-delà même du fait que des gens allaient venir là se recueillir en mémoire de la disparition de leurs proches. Je me souviens lorsqu’avec le Président Conté, nous avons été à Cuba, il a visité la prison où était détenu Fidel Castro et même son pot de toilette était encore là. Son unique livre était là.

Lorsque le Président Conté a visité cette cellule, il a coulé des larmes. Je pense que la Guinée aurait pu préserver ce monument. C’est tragique mais c’est notre histoire, et on aurait pu le réhabiliter. Malheureusement, il a été démoli et je pense que justice doit être rendue. Et, la meilleure façon de rendre justice, c’est de reconnaître à ces familles là le tort qui leur a été causé.

Elles pourraient ne pas oublier, mais elles pouvaient pardonner. Je pense que, où ce pouvoir actuel ou bien un autre, on devrait y faire face. Déjà, c’est une bonne chose que le Président actuel décide d’assumer tout le passé de notre histoire. Mais, je pense qu’au-delà de ça, il faut aussi poser des actes de nature à réconforter ces familles.

Guineematin.com : il y a l’association des victimes du Camp Boiro qui continue à réclamer au moins la mise en place de stèles à cet endroit et même au niveau du pont 8 novembre appelé pont des pendus ; mais, elle n’est toujours pas entendue. Quel est votre avis sur la question ?

Boubacar Yacine Diallo : je pense que c’est le minimum qu’on puisse leur offrir, parce que leurs papas ont été parfois des artisans de notre indépendance et ils ont occupé de très hautes fonctions. Les choses se sont mal terminées pour eux, et pour l’histoire, on devrait tout simplement les immortaliser comme toutes les autres victimes. Je pense que ce que ces familles demandent, c’est le minimum. On doit pouvoir le leur apporter.

Guineematin.com : quel est votre mot de la fin ?

Boubacar Yacine Diallo : je voudrais me souvenir du Général Lansana Conté, un haut gradé qui a pris le pouvoir et qui a pu démocratiser son pays. Il a permis à des partis politiques de se constituer, il a permis des élections, même contestées mais, qui ont quand même inscrit la Guinée dans les Etats qui respectent les principes d’Etat de droit et des libertés fondamentales.

Je voudrais aussi saluer son passage à la tête de la Guinée et qui a permis la libéralisation des ondes, l’audiovisuelle en particulier. Et, je suis tout admiratif au général Lansana Conté. Je prie Dieu pour qu’il repose en paix.

Propos recueillis par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél.622 68 00 41

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